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La distinction des peuples était considérée dans les compensations; et les Romains, si long-temps maîtres du monde, étaient ceux qu'on estimait le moins, comme on le voit par la loi des Ripuaires. On y lit, titre vIII: Art. 1. Si un homme libre tue un Ripuaire de même condition, il payera deux cents sols.

Et au titre xxxvi, art. 1. Si un Ripuaire se rend coupable de meurtre sur la personne d'un étranger français, payera deux cents sols.

il

Art. 2. Si un Ripuaire se rend coupable de meurtre sur la personne d'un étranger bourguignon, il payera cent soixante sols.

Art. 3. Si un Ripuaire commet un homicide sur un étranger romain, il payera cent sols.

Art. 4. Si un Ripuaire se rend coupable d'un meurtre sur un étranger allemand, ou frison, ou saxon, il payera cent soixante sols.

L'ordre de Childebert n'eut aucun effet. Il serait trop long de rapporter tous les faits relatifs à ce sujet. Grégoire de Tours dit que le Saxon Childeric ayant tué Védaste, paya la composition à ses enfans. Chremnisinde et Sichaire s'étaient long-temps fait mutuellement la guerre; enfin ils se réconcilièrent et se promirent l'un à l'autre une entière sûreté. Ensuite, ce même Sichaire se trouvant à souper chez Chremnisinde, lui dit : « Vous

devez bien me remercier, mon cher frère, d'avoir tué beaucoup de vos parens, car vous avez reçu tant de compositions, que l'or et l'argent se trouvent chez vous en abondance. » Un Eulalius, coupable de beaucoup de meurtres, avait contracté des dettes par l'effet des compositions dont il était débiteur, et, pour y satisfaire, il engageait fort souvent l'or et les ornemens de sa femme. Ce fut ainsi qu'Egidius acheta la paix du chef Lupus et le pardon du roi Childebert lui-même.

Si l'assassin n'avait pas de quoi payer la composition, la loi salique ordonne qu'il cédera tout ce qu'il possède aux parens du mort; cette cession s'appelait chrenechruda, et fut abrogée par Childebert. Le pauvre se soumettait, comme esclave, ou à celui dont il avait encouru le ressentiment, ou au créancier qui lui avait prêté l'argent pour payer la compensation, et par-là il assurait ses jours.

Les haines des Français étaient poussées à un tel point que quelquefois la puissance royale ne pouvait les réprimer. « Il survint un grand different entre les habitans de Tournay, dit Grégoire de Tours, parce que l'un d'eux faisait les plus vifs reproches à l'époux de sa sœur, de ce qu'abandonnant sa femme, il fréquentait une fille de mauvaises moeurs. La querelle s'échauffa au point que le jeune homme se jeta sur son beau-frère, le

tua, avec les siens, et fut ensuite tué par ceux avec lesquels il était venu. De ce massacre une profonde inimitié prit naissance entre les deux familles; la reine Frédégonde les ayant vainement exhortées à la paix, invita trois membres de ces familles à un banquet et les fit asseoir près d'elle; trois hommes, portant chacun une hache cachée, se placèrent par ordre de la reine derrière les trois convives qui causaient ensemble, et leur fendirent la tête à tous trois, pour ainsi dire d'un seul coup. »

La coutume de payer des compositions devint une partie du droit public. On lit dans Frédégaire, ch. 45: « Je rapporterai pourquoi les Lombards payaient chaque année aux Francs un tribut de douze mille sols, et comment deux villes, Augusta et Siusium, devinrent dépendantes de ces derniers avec leur territoire. Cless, roi des Lombards, étant mort, ils restèrent douze ans sans rois, et obéirent à douze chefs; pendant ce temps, ils firent une irruption sur le royaume des Francs, et cédèrent à Guntchramne, pour la composition, les villes d'Augusta et de Siusium, avec tout leur peuple et leur

territoire. >>

Théodebert et Childebert menacèrent Théodate, roi d'Italie, de lui faire la guerre pour venger la mort d'Amalasontha «si vous ne composez point avec :

nous, disaient-ils, pour le crime que vous avez commis. » Théodate acheta la paix 50,000 sols d'or.

Les droits des héritiers furent aussi fixés d'après les idées que l'on se faisait des querelles particulières : car le patrimoine ne pouvait, par droit de succession, appartenir aux filles, parce qu'elles étaient incapables de remplacer le père dans ses inimitiés.

Chez les Germains, les procès n'étaient pas de longue durée. Tout s'expédiait rapidement ; les faits étaient aussitôt expliqués, les témoins entendus, et, dans le doute, on avait recours à un combat singulier entre les parties; ensuite on prononçait la sentence, sur laquelle il n'était plus permis de revenir. Velleius Paterculus dit, au sujet de la coutume barbare de vider les différents par la voie des armes, que les peuples de la Germanie s'étonnaient

que

les Romains eussent recours au barreau pour venger les offenses, et qu'ils terminassent par la justice ce qui devait dépendre du sort des armes. Aussi, dans les âges suivans, le duel judiciaire est devenu commun à tous les peuples d'origine germanique, tels que les Bourguignons, les Allemands, les Boiens, les Lombards, les Anglais, les Danois, les Saxons et les Français.

Les Germains avaient tant d'aversion pour les chicanes de la justice romaine, qu'ils les supportaient presque aussi difficilement que leur domination. Quintilius

Varus ayant osé établir dans ses conquêtes les formes judiciaires du forum, se rendit tellement odieux, que les peuples coururent aux armes, et, après avoir massacré trois légions, ils déployèrent principalement leur cruauté envers les avocats romains. Ils en prirent un, suivant le rapport de Florus, lui coupèrent la langue, et après lui avoir cousu la bouche, ils lui criaient : Vipère, cesse donc enfin de siffler! >>

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Les juges et les auditeurs se rendaient tout armés aux assemblées, la loi salique en avait fait un règlement: le tit. LXVII porte, art. 1 : « Le juge ou le centenier indiquent l'audience, et ils doivent s'y trouver avec leurs boucliers. >>

Chez les Germains le mariage semblait une espèce de vente. Celui qui désirait obtenir la main d'une fille convenait avec les parens et les proches du prix qu'il avait résolu de la payer ; si le gendre plaisait, si le prix était agréé, la jeune fille était promise, et l'on fixait le jour des noces. Voilà bien réellement un marché. A Rome, c'était l'épouse qui achetait son mari. Varron remarque que, suivant une ancienne loi, la jeune mariée avait coutume d'apporter trois as à son mari; elle en tenait un dans sa main, elle le lui donnait, comme pour acheter son époux; le second as était dans sa chaussure, elle l'en tirait et allait le déposer au foyer des dieux Lares;

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