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images la prose de Rousseau et de Bernardin de SaintPierre. Byron appartient à cette école. Son imagination est inépuisable à le peindre lui-même, à découvrir toutes les plaies de son âme, toutes les inquiétudes de son esprit, à les approfondir, à les exagérer. Mais hors de lui, il invente peu. Parmi tant d'acteurs de ses poëmes, il n'a jamais conçu fortement qu'un seul type d'homme et un seul type de femme; l'un, sombre, altier, dévoré de chagrin ou insatiable de plaisir, qu'il s'appelle Harold, Conrad, Lara, Manfred ou Caïn; l'autre, tendre, dévouée, soumise, mais capable de tout par amour, qu'elle soit Julia, Haïdée, Juléika, Gulnare ou Médora. Cet homme, c'est lui-même; cette femme, celle que voudrait son orgueil. Il y a dans ces créations uniformes moins de puissance que de stérilité. Et malheureusement, par un faux système ou par une triste prétention, dans ces personnages dont il est le modèle, le poëte affecte d'unir toujours le vice et la supériorité. Il semble dire, comme le Satan de Milton : « Mal, sois mon bien. »

A cet égard, le goût n'est pas moins blessé que la morale dans les écrits de Byron. Le plus grand charme et la vraie richesse du génie, la variété lui manque. C'est un trait de ressemblance qu'il offre avec Alfieri, dont il a, dans son théâtre, imité la régularité sévère. Byron, en effet, hardi sceptique en morale et en religion, ou plutôt disciple involontaire de notre scepticisme, n'est pas novateur dans les questions d'art et de goût. Son innovation était toute dans l'originalité de ses impressions et de sa physionomie, et non dans une théorie littéraire. Par principe et par étude, il tenait au goût ancien et aux plus purs modèles du

siècle de la reine Anne, dont il possédait admirablement la langue expressive et savante. La pureté nerveuse du style, l'élégance, l'harmonie de l'expression sont en effet essentielles au talent de Byron. Il n'aimait pas l'affectation subtile et le germanisme mystique de quelques-uns de ses contemporains. Il ne prétendait pas renouveler de fond en comble la langue poétique, tandis que le brillant et pompeux Moore, la bouquetière d'Orient, le hardi et métaphysique Shelley, le jeune et prétentieux Keats méprisaient Pope, comme un génie timidement classique, Byron le reconnaissait pour un désespérant modèle, et se moquait des nouveaux créateurs de hardiesses poétiques. S'accusant parfois de leur ressembler et de leur avoir ouvert la route, il disait avec une componction qui accablait ses amis : « Nous nous sommes embarqués dans un système de révolution poétique qui ne vaut pas le diable. » Byron revient souvent sur cette idée et sur l'éloge exclusif du goût classique, tel du moins que le conçoit un Anglais. Il composa même à ce sujet deux lettres critiques, d'une forme très-piquante, où ses contemporains sont toujours traités comme des barbares qui maçonnent de petites constructions de terre et de brique, au pied des beaux marbres de l'antiquité.

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Dans son zèle pour la pureté du goût, Byron va même jusqu'à juger sévèrement Shakspeare, Milton et les vieux dramatistes anglais, dont il trouve la langue admirable, mais les ouvrages absurdes. Il repousse également la naïve barbarie, l'énergique rudesse du XVIe siècle, et la barbarie savante, la subtilité laborieuse de son temps, qui lui paraît tout claudien, dit-il.

En rejetant sur l'humeur et sur le caprice une partie de cet anathème, dont Byron ne s'exemptait pas, on avouera qu'il n'a pas tort dans le fond, et que les plus vantés de ses ouvrages portent l'empreinte de décadence qu'il voyait autour de lui. Son style, nerveux et brillant, a beaucoup de rapports avec la concision affectée, la roideur, la déclamation de Lucain. Comme lui, il exagère et il a cette emphase que l'imagination trop jeune prend pour de la force. Mais il peint des choses neuves, à commencer par lui-même, dont il décrit sans fin la fantasque et sombre nature. Par là, il cesse d'être rhéteur, en devenant original. Sa poésie, née d'une veine féconde et d'un art savant, n'est presque jamais que descriptive ou sentencieuse. Elle n'a rien de dramatique. Coleridge et quelques autres modernes l'accusent de négligence et de faiblesse. Mais cette poésie est pleine d'éclat et de mouvement; elle choisit habilement et transforme la langue; elle est logique et passionnée, régulière et neuve. Peu variée dans les conceptions, elle est infinie dans la forme, et parcourt rapidement toute l'échelle des tons harmoniques, depuis les plus gracieux jusqu'aux plus sévères.

Byron, malgré son entière misanthropie et le dédain qu'il affecte pour ses lecteurs, comme pour le reste des hommes, était singulièrement épris de la mode et docile au goût de la foule. De là ces formes bizarres et rapides pour réveiller la curiosité et ménager l'impatience d'un siècle sceptique et politique. Il n'entreprend point de longs poëmes pour un temps où Milton lui-même n'était pas lu, dit-il. Il ne compose pas avec art. De brillantes ébauches, ou même

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des fragments lui suffisent. Rien de plus heureux quand le poëte a bien choisi; car il n'y a pas d'inégalité dans sa composition, ni de lassitude pour sa verve. Qu'est-ce que son Mazeppa? un poëme, un trait d'histoire, un conte? Il n'importe. Jamais plus vive peinture, jamais plus intime alliance de la description, de la passion, de l'harmonie, n'ont animé des vers. Mazeppa, œuvre sublime de poésie, finissant par une plaisanterie, c'est le chef-d'œuvre et le symbole de Byron. Ailleurs, que son imagination soit frappée de la mort et des obsèques militaires d'un général anglais, John Moore, tué en Espagne, il s'élève au ton de la plus austère simplicité, et il est lyrique comme Tyrtée. Aucune beauté de la poésie classique n'a donc été refusée à Byron; il tendait même naturellement aux formes les plus élevées de l'art et à la pompe savante du langage. Toutefois, à notre avis, son chef-d'œuvre, c'est le poëme incomplet, moitié sérieux, moitié bouffon, où il a jeté pêle-mêle toutes ses fantaisies; c'est Don Juan, poëme sans règle et sans frein, comme le héros, mais plein de feu, d'esprit, de grâce et d'énergie. Au fond, ce héros est encore une variante de Byron lui-même; c'est du moins l'idéal qu'il se proposait pour se distraire des mélancoliques dégoûts de Childe Harold. Cet ouvrage est le fruit du séjour de Byron en Italie, et marque en lui le triomphe de la vie molle et sensuelle sur les fortes passions et la tristesse amère. On ne peut le comparer qu'à l'épopée licencieuse de Voltaire; mais on y trouve, avec moins de cynisme, une imagination plus amusante et une plus vive gaieté. De la diversité des aventures naît un charme singulier de poésie. Ce ne

sont guère que faciles inventions de roman; mais quel art dans le récit! et quand l'auteur touche à l'histoire, quelle force poétique! La peinture du siége d'Ismaïloff est un des plus sublimes tableaux de guerre qu'on ait tracés. Et cela vous saisit après des contes de sérail et quelques gracieuses aventures des îles grecques.

Quant à la satire des mœurs anglaises, qui occupe tant de place dans Don Juan, elle ne nous semble pas aussi ingénieuse qu'offensante. Le poëte nous paraît tomber quelquefois dans le mauvais goût et les redites ennuyeuses; mais il se relève par l'esprit. Nul poëte n'en eut davantage, et du plus vif et du plus hardi, depuis Pope et Voltaire. Malheureusement cet esprit, par prétention ou par légèreté, a souvent l'impitoyble ironie du mauvais cœur, et diffame également la gloire, la vertu, l'infortune. Bien des choses peuvent donc choquer dans Don Juan; mais nulle œuvre de Byron ne montre mieux la merveille de son talent. N'eût-il fait que Don Juan, la postérité s'en souviendrait comme d'un génie original.

Esprit indépendant, nourri d'émotions et d'études, Byron ne bornait pas aux vers son talent d'écrire. Sa prose est vive, étincelante, légère, comme l'est rarement la prose anglaise. Elle abonde en saillies d'amusante humeur et en expressions heureuses. On ne peut, à cet égard, trop regretter la perte des Mémoires qu'il avait donnés à Thomas Moore, et que le légataire a supprimés par scrupule, en y substituant une compilation de lettres originales, d'analyses et de lieux communs. Les lettres de Byron, qui, seules, surnagent dans ce recueil, nous laissent deviner com

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