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plusieurs mois, malgré son courage et sa continuelle activité, il se sentait défaillir. Il était troublé par de tristes pressentiments, et par ces frissons involontaires qui sont moins des symptômes de faiblesse morale que des avant-coureurs de mort. Il vit avec tristesse, dans les murs de Missolonghi, l'anniversaire de sa trente-sixième année. Il le pleura dans des vers admirables, ses derniers vers, où, disant adieu à la jeunesse et à la vie, il ne souhaitait plus que « la fosse du soldat; cette pensée lui revenait souvent. Il disait à un fidèle serviteur italien: « Je ne sortirai pas d'ici, les Grecs, les Turcs ou le climat y mettront bon ordre. Dans ses lettres, il plaisantait encore sur les scènes de désordre et de misère dont il était le témoin; mais sa mobile et nerveuse nature en souffrait profondément, et il y avait du désespoir dans son rire sardonique. Deux nobles sentiments soutenaient son âme, la gloire et l'amour de l'humanité. Mais son corps, vieilli de bonne heure, succombait. On lui écrivait des îles Ioniennes pour l'engager à quitter Missolonghi. Ses compatriotes, ses amis, le colonel Stanhope, le corsaire Trelawney partirent. Il resta dans ce « tombereau de boue, » comme il disait énergiquement, au milieu des marais et des pluies insalubres de Missolonghi. Il en ressentit bientôt la mortelle influence.

Surpris par l'orage dans une promenade à cheval, et revenant trempé d'eau et de sueur, il monta dans une barque pour gagner sa demeure, et fut saisi d'une fièvre violente. Le lendemain, cependant, il parcourut encore à cheval un bois d'oliviers voisin de la ville, avec son fastueux cortége de Souliotes. Il rentra plus malade, se débattit deux jours contre les médecins,

ÉTUDES DE LITT.

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qui voulaient le saigner, et leur céda enfin, par crainte pour sa raison plutôt que pour sa vie.

Cette saignée n'arrêta point la fièvre, et ne prévint point le délire. On voulait faire venir de l'île de Zante un médecin plus renommé ; mais le gros temps y mit obstacle. Byron, consolé seulement par un ou deux amis fidèles, et par les pleurs de son vieux domestique, était là gisant presque sans secours, dans une pauvre et tumultueuse demeure, dont sa garde de Souliotes occupait le rez-de-chaussée. C'était le jour de Pâques, si joyeusement fêté par les Grecs, qui se répandent alors dans les rues, dans les places, en criant « Le Christ est ressuscité! le Christ est ressuscité!» Ce jour la ville fut moins bruyante. On alla tirer l'artillerie loin des murs; et les habitants s'invitaient l'un l'autre au silence et au recueillement. Le soir, la tête de Byron s'embarrassa, sa langue ne put prononcer que des mots entrecoupés, et, après de vains efforts pour faire entendre ses dernières volontés à son vieux domestique anglais, Fletcher, il fut saisi de délire. Ayant pris une potion calmante, il eut encore un retour de raison, exprima des regrets obscurs, prononça quelques touchantes paroles sur la Grèce, et puis, en disant : « Je vais dormir, » tomba dans une léthargie qui se termina le lendemain par la mort, au moment où un orage éclatait sur la ville et faisait dire aux Grecs « Le grand homme se meurt!» Le grand homme! il l'était en effet pour ceux qu'il était venu défendre, et auxquels il avait si noblement sacrifié sa vie.

Le lendemain, le mardi de Pâques, on rendit à Byron les derniers honneurs, selon le rite grec. L'archevêque d'Anatolikon et l'évêque de Missolonghi

étaient présents, avec tout leur clergé et tous les chefs militaires et civils. Un jeune Grec, Tricoupi, prononça l'éloge funèbre. Le cœur de Byron, renfermé dans une urne, fut seul porté jusqu'à l'église, et déposé dans le sanctuaire, au milieu des bénédictions. Le corps devait être ramené en Angleterre; et l'on fit à Missolonghi des prières pour souhaiter à ces restes glorieux un passage favorable et le repos de la tombe dans la terre natale. Le navire chargé de ce dépôt toucha bientôt l'Angleterre. M. Hobhouse et un autre ami de Byron vinrent recevoir son corps pour le conduire à la sépulture de famille, près du domaine de Newstead, dans le caveau où reposait sa mère. Le rang du noble lord était marqué par la magnificence du cortége. Des constables et des hérauts d'armes marchaient en avant. Suivait un coursier de bataille couvert de velours noir, conduit par deux pages, et monté par un cavalier qui portait à demi renversée une couronne de pair d'Angleterre. Puis venait le char funèbre et une longue suite en deuil.

Ce triste appareil s'avançait sur la route de Nottingham, lorsqu'il fut rencontré par une dame à cheval qu'accompagnait son mari. La curiosité les fit approcher. Cette femme se trouble en reconnaissant les armoiries de Byron; elle tombe dans le délire, et est reportée mourante dans le château qu'elle habitait. Elle ne sortit d'une fièvre brûlante que par de longs accès de folie. Cette dame était lady Caroline Lamb, qui, autrefois abandonnée de Byron, l'avait peint sous les plus noires couleurs dans un roman satirique, et, se croyant guérie de l'amour par cette vengeance, avait, loin du monde, retrouvé la paix et l'affection de

son mari. Troublée de cette funeste rencontre, sa tête ne revint pas; elle expira d'une mort lente, en invoquant sans cesse le nom de celui qui lui avait ôté l'honneur et la raison.

Cette douloureuse anecdote, attachée encore à la mémoire de Byron, n'était pas faite pour affaiblir les préventions que sa conduite et ses écrits avaient excitées. Elles lui ont survécu, et ne furent pas seulement, comme on l'a dit, une rancune du grand monde et de l'aristocratie, mais la réaction d'un sentiment moral que le poëte a trop souvent blessé. Pour beaucoup d'âmes pieuses, Byron était en Angleterre une sorte de mauvais génie. Cette impression se mêlait à l'enthousiasme même qu'il avait inspiré parmi les femmes assez heureuses pour ne connaître de lui que son nom et ses vers : « Il en est qui priaient pour lui, comme Clarisse pour Lovelace.

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En cela, Byron portait la peine de son orgueil autant que de ses faiblesses. Il avait voulu frapper les esprits par une singularité hautaine et mystérieuse. Il avait affecté de donner quelques-uns de ses traits à ses héros fantastiques, pour se confondre lui-même avec eux, et se parer de leur audace. Il fut pris au mot, et soupçonné de noirceurs qui étaient loin de son âme. Rien ne prouve dans sa vie que son cœur fût corrompu mais son imagination l'était à quelques égards.

Il n'a pas fait ce qu'il peint avec complaisance; mais, plus d'une fois peut-être, il l'avait rêvé, comme une expérience à tenter, comme une émotion qui eût dissipé son ennui et réveillé son âme. Que, tout petit enfant, il se promit de commander à cent cavaliers

noirs, appelés les Noirs de Byron, ou que, dans son âge viril, il fasse fabriquer des casques de chevalier pour son expédition de Grèce, on voit toujours le poëte qui dessine ses actions d'après ses rêves. Qu'il veuille se peindre lui-même dans le Corsaire et dans Lara, il faut reconnaître là moins les aveux d'une vie coupable que les jeux d'une imagination mal réglée, qui se fait parfois des châteaux en Espagne de crimes et de remords. Il en résulte, indépendamment de toute question morale, un point de vue particulier sous le rapport de l'art; c'est ce caractère de préoccupation personnelle, cet égoïsme de l'écrivain, cause puissante d'intérêt et de monotonie. On a vu de grands poëtes, dont l'imagination a toujours travaillé hors d'euxmêmes et du cercle de leur vie, simples par les habitudes, sublimes par la pensée : tel Shakspeare, dont la personne disparaît, et qui existe tout entier dans ses inventions poétiques; tels nos tragiques, Corneille, Racine. C'est là, quoi qu'on dise, la grande imagination. Elle crée ce qu'elle n'a pas vu; elle entre par le génie dans un ordre de sentiments et d'idées dont elle n'a pas fait l'expérience, et qui ne naît pas pour elle des choses qui l'entourent. Corneille n'avait pas de Romains ni de martyrs sous les yeux; il inventait ces types sublimes. Voilà le poëte au plus haut degré.

Il est une autre sorte d'imagination plus restreinte et plus physique, pour ainsi dire, qui a besoin d'être excitée par les épreuves immédiates et les sensations de la vie. Le poëte alors n'agit pas, ne crée pas; il souffre et rend vivement sa souffrance. C'est le génie de quelques élégiaques c'est le tour d'imagination rêveur, égoïste, douloureux, qui a coloré de si vives

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