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thousiasme, quelques scènes des tragédies du grand poëte.

Quant aux peuples nombreux des États-Unis, qui n'ont eu longtemps d'autre littérature que les livres de la vieille Angleterre, ils n'ont pas encore d'autre théâtre national que les pièces de Shakspeare. On fait venir à grands frais, d'au delà des mers, quelque célèbre acteur anglais, pour représenter aux habitants de New-York ces drames du vieux poëte anglais, qui doivent être si puissants sur un peuple libre; ils y excitent encore plus de frémissements et d'ivresse que dans les théâtres de Londres. Le bon sens démocratique de ces hommes si industrieux et si occupés saisit avec ardeur les pensées fortes, les profondes sentences dont Shakspeare est rempli; ces gigantesques images plaisent à des esprits accoutumés aux plus magnifiques spectacles de la nature et à l'immensité des forêts et des fleuves du nouveau monde. Sa rudesse inégale, ses grossièretés bizarres ne choquent pas une société qui se forme de tant d'éléments divers, qui ne connaît ni l'aristocratie ni les cours, et qui a plutôt les calculs et les armes de la civilisation, qu'elle n'en a la politesse et l'élégance.

Là, comme sur sa terre natale, Shakspeare est le plus populaire de tous les écrivains; il est le seul poëte peut-être dont quelques vers se mêlent parfois dans la simple éloquence et les graves discours du sénat d'Amérique. C'est surtout par lui que ce peuple, si habile et si actif aux travaux matériels, semble communiquer avec cette noble jouissance des lettres, qu'il a longtemps négligée. A mesure que le génie des arts s'éveillera dans ces contrées d'un aspect si poć

tique, mais où la liberté n'a d'abord inspiré que le commerce, l'industrie et les sciences pratiques de la vie; à mesure que, dans les courts loisirs d'une société libre et puissante, les plaisirs de l'imagination et de la pensée prendront plus de place, l'autorité de Shakspeare et l'enthousiasme de ses exemples s'étendront sur cette littérature nouvelle.

Ce comédien du siècle d'Elisabeth, cet auteur réputé si inculte, qui n'avait pas lui-même recueilli ses ouvrages, rapidement composés pour d'obscurs et grossiers théâtres, sera le chef et le modèle d'une école poétique qui parlera la langue répandue dans la plus florissante moitié d'un nouvel univers. Il nourrira de sa séve puissante cet idiome transplanté ; il sera, sur cette terre nouvelle, l'antiquité et la mythologie de ce peuple immense, qui n'a pas d'aïeux indigènes; il s'avancera avec lui, du nord et du midi, vers l'est, et viendra rejoindre et ranimer au Mexique ce génie espagnol dont les inspirations l'avaient précédé en Europe, et qu'il a tant surpassé par le sérieux et la profondeur. Nous aimons, nous admirons le génie dramatique de la France, si fortement expressif sans barbarie, si vrai sans bassesse; et, malgré le découragement trop désintéressé d'un illustre écrivain 1, nous croyons à l'éternelle durée des monuments gracieux et sublimes de notre poésie. Cinna, Polyeucte, Athalie, ne périront jamais; on lira toujours La Fontaine et Molière. Mais quand ce nouveau monde anglais d'Amérique, qui se défriche et s'élabore si vite, sera peuplé comme l'Europe; quand ses

1. M. de Chateaubriand, Essai sur la Littérature anglaise,

bateaux à vapeur traverseront l'isthme de Panama, percé par un canal, quelle immense étendue ne parcourra pas la parole de Shakspeare, dans quels lieux lointains et ignorés de lui ne seront pas lus ses ouvrages, et sur quels théâtres ne sera pas entendu ou imité son génie!

ÉTUDES DE LITT.

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MILTON.

Milton naquit à Londres, le 9 décembre 1608. Son père, homme instruit, passionné pour les arts, ayant même un talent distingué pour la musique, exerçait dans cette ville la profession de notaire. Le jeune Milton reçut l'éducation la plus savante; et, dès l'âge de douze ans, son application à l'étude et ses veilles prolongées avaient commencé d'affaiblir sa vue. 11 suivit avec éclat les cours de l'université de Cambridge; l'imagination de l'auteur du Paradis perdu s'annonçait par des poésies latines, où l'on ne peut méconnaître une élégance et une douceur, bien rares parmi les latinistes du nord. Mais son humeur altière lui attira quelques inimitiés qui l'éloignèrent de Cambridge après cinq ans de séjour. Le ministère ccclésiastique avait été sa première vocation il y renonça sans retour, incapable de plier son esprit sous le joug de l'Église établie, et voulant garder l'indépendance de la foi.

A l'âge de vingt-quatre ans, Milton revint près de son père, qui s'était retiré des affaires et habitait à la campagne. Il y passa plusieurs années dans l'ardeur de l'étude et embrassa presque toutes les connais

sances humaines antiquités, langues modernes, histoire, philosophie, mathématiques. La poésie latine, qu'il aima et cultiva toujours, et la poésie anglaise, qu'il devait embellir d'une gloire nouvelle, servaient seules de diversion à ses travaux. C'est à cette époque, sans doute, qu'il faut reporter la composition de quelques pièces que Milton publia plus tard, et qui sont pour peu de chose dans sa renommée. Elles indiquent seulement les fortes études et le goût profond de l'antiquité, qui se mêlaient à son génie original, et qui semblent quelquefois le ralentir sous le poids de l'érudition et des souvenirs. Ses vers latins ont beaucoup de correction et d'harmonie; ses vers anglais, qu'il n'osait pas encore affranchir du joug de la rime, sentent l'effort et la contrainte. On a beaucoup vanté, parmi ses premiers essais, l'Allegro et le Penseroso, deux pièces où ne se trouve pas le contraste que promet l'opposition de leurs titres. Le génie de Milton semblait dès lors ami des idées tristes et élevées; et le Comus, espèce de comédie-féerie qu'il fit à cette époque, à l'imitation des Italiens, présente plus de bizarrerie que de gaieté.

Après plusieurs années passées dans l'étude et la retraite, Milton, qui venait de perdre sa mère, partit pour un voyage en Italie. Il passa par la France, dont il connaissait la littérature, encore peu formée à cette époque, et se rendit à Florence, où il eut plusieurs fois occasion de voir le grand Galilée dans sa prison. Le beau ciel de l'Italie, le spectacle de cette contrée poétique, toute pleine des monuments des arts, et toute retentissante de la gloire du Tasse, charmaient l'imagination du jeune Anglais. Il visita deux fois

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