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ESQUISSE EN PROSE DE LA SATIRE IX.

à bien parler, qu'une suite; mais je ne doute point que les gens de lettres, et ceux surtout qui ont le goût délicat, ne lui donnent le prix, comme à celle où il y a le plus d'art, d'invention et de finesse d'esprit. Il y a déjà du temps qu'elle est faite; l'auteur s'étoit en quelque sorte résolu de ne la jamais publier. Il vouloit bien épargner ce chagrin aux auteurs qui s'en pourront choquer. Quelques libelles diffamatoires que l'abbé Kautain' et plusieurs autres eussent fait imprimer contre lui, il s'en tenoit assez venge par le mépris que tout le monde a fait de ces ouvrages, qui n'ont été lus de personne, et que l'impression même n'a pu rendre pu blics; mais une copie de cette satire étant tombée, par une fatalité inévitable, entre les mains des libraires, ils ont réduit l'auteur à recevoir encore la loi d'eux. C'est donc à moi qu'il a confié l'original de sa pièce, et il l'a accompagnée d'un petit discours en prose3, où il justifie, par l'autorité des poëtes anciens et modernes, la liberté qu'il s'est donnée dans ses satires. Je ne doute donc point que le lecteur ne soit bien aise du présent que je lui en fais.

SATIRE IX.

COMPOSÉE EN 1667, PUBLIÉE EN 1668.

A SON ESPRIT“.

C'est à vous, mon esprit, à qui je veux parler.
Vous avez des défauts que je ne puis celer:
Assez et trop longtemps ma lâche complaisance
De vos jeux criminels a nourri l'insolence;
Mais, puisque vous poussez ma patience à bout,
Une fois en ma vie il faut vous dire tout.

On croiroit à vous voir dans vos libres caprices
Discourir en Caton des vertus et des vices,
Décider du mérite et du prix des auteurs,
Et faire impunément la leçon aux docteurs,
Qu'étant seul à couvert des traits de la satire
Vous avez tout pouvoir de parler et d'écrire.

Mais moi, qui dans le fond sais bien ce que j'en crois,

1. Cotin.

2. Coras, l'auteur anonyme du Satirique berné, etc. Pradon n'avoit pas encore écrit contre Despréaux en 1668, et Boursault ne fit imprimer qu'en 1669 sa comédie intitulée la Satire des satires; mais il avoit tenté de la faire jouer.

3. C'est celui qu'on a lu ci-dessus ayant la satire I.

4. Cette satire est entièrement dans le goût d'Horace et d'un homme qui se fait son procès à soi-même pour le faire à tous les autres. (B.)

Qui compte tous les jours vos défauts par mes doigts,
Je ris quand je vous vois si foible et si stérile,
Prendre sur vous le soin de réformer la ville,
Dans vos discours chagrins plus aigre et plus mordant
Qu'une femme en furie, ou Gautier' en plaidant.

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Mais répondez un peu. Quelle verve indiscrète
Sans l'aveu des neuf Sœurs vous a rendu poëte?
Sentiez-vous, dites-moi, ces violens transports
Qui d'un esprit divin font mouvoir les ressorts?
Qui vous a pu souffler une si folle audace?
Phébus a-t-il pour vous aplani le Parnasse?
Et ne savez-vous pas que, sur ce mont sacré,
Qui ne vole au sommet tombe au plus bas degré,
Et qu'à moins d'être au rang d'Horace ou de Voiture,
On rampe dans la fange avec l'abbé de Pure?
Que si tous mes efforts ne peuvent réprimer
Cet ascendant malin qui vous .force à rimer,
Sans perdre en vains discours tout le fruit de vos veilles,
Osez chanter du roi les augustes merveilles :
Là, mettant à profit vos caprices divers,
Vous verriez tous les ans fructifier vos vers;
Et par l'espoir du gain votre muse animée
Vendroit au poids de l'or une once de fumée.
Mais en vain, direz-vous, je pense vous tenter
Par l'éclat d'un fardeau trop pesant à porter.
Tout chantre ne peut pas, sur le ton d'un Orphée,
Entonner en grands vers la Discorde étouffée;
Peindre Bellone en feu tonnant de toutes parts,
Et le Belge effrayé fuyant sur ses remparts2,
Sur un ton si hardi, sans être téméraire,
Racan pourroit chanter au défaut d'un Homère;
Mais pour Cotin et moi, qui rimons au hasard,
Que l'amour de blâmer fit poëtes par art,
Quoiqu'un tas de grimauds vante notre éloquence,
Le plus sûr est pour nous de garder le silence.
Un poëme insipide et sottement flatteur
Déshonore à la fois le héros et l'auteur :

4. Avocat célèbre et très-mordant. (B.) Cet avocat étoit surnommé Gautier la Gueule.

2. Cette satire a été faite dans le temps que le roi prit Lille en Flandre et plusieurs autres villes. (B.)

3. Honorat de Bueil, marquis de Racan, né en Touraine, l'an 1589, ne put jamais apprendre le latin, pas même, dit-on, retenir le Confiteor; mais devenu page et placé sous les ordres du duc de Bellegarde, il rencontra chez ce seigneur le poëte Malherbe et le prit pour maître. Racan fut l'un des premiers membres de l'Académie françoise, et mou

ut en 1670.

Enfin de tels projets passent notre foiblesse.

Ainsi parle un esprit languissant de mollesse',
Qui, sous l'humble dehors d'un respect affecté,
Cache le noir venin de sa malignité.

Mais, dussiez-vous en l'air voir vos ailes fondues,
Ne valoit-il pas mieux vous perdre dans les nues,
Que d'aller sans raison, d'un style peu chrétien,
Faire insulte en rimant à qui ne vous dit rien,
Et du bruit dangereux d'un livre téméraire
A vos propres périls enrichir le libraire?

Vous vous flattez, peut-être, en votre vanité,
D aller comme un Horace à l'immortalité;
Et déjà vous croyez dans vos rimes obscures
Aux Saumaises futurs préparer des tortures.
Mais combien d'écrivains, d'abord si bien reçus,
Sont de ce fol espoir honteusement déçus!

Combien, pour quelques mois, ont vu fleurir leur livre,
Dont les vers en paquet se vendent à la livre!
Vous pourrez voir, un temps, vos écrits estimés
Courir de main en main par la ville semés;
Puis de là, tout poudreux, ignorés sur la terre,
Suivre chez l'épicier Neuf-Germain' et La Serre 3;
Ou, de trente feuillets réduits peut-être à neuf,
Parer, demi-rongés, les rebords du Pont-Neuf *.
Le bel honneur pour vous, en voyant vos ouvrages
Occuper le loisir des laquais et des pages,

Et souvent dans un coin renvoyés à l'écart
Servir de second tome aux airs du Savoyard!

Mais je veux que le sort, par un heureux caprice,
Fasse de vos écrits prospérer la malice,

Et qu'enfin votre livre aille, au gré de vos vœux,
Faire siffler Cotin chez nos derniers neveux :
Que vous sert-il qu'un jour l'avenir vous estime,
Si vos vers aujourd'hui vous tiennent lieu de crime,
Et ne produisent rien, pour fruit de leurs bons mots,
Que l'effroi du public et la haine des sots?

Quel démon vous irrite, et vous porte à médire ?
Un livre vous déplaît: qui vous force à le lire?
Laissez mourir un fat dans son obscurité :

Un auteur ne peut-il pourrir en sûreté ?

1. Fameux commentateur. (B.)

2. Poëte extravagant. (B.)

3. Auteur peu estimé. (B.)

4. Où l'on vend d'ordinaire les livres de rebut. (B.)

5. Fameux chantre du Pont-Neuf, dont on vante encore les chan

sons. (B.) Il se nommoit Philipot.

Le Jonas inconnu sèche dans la poussière :
Le David imprimé n'a point vu la lumière;
Le Moïse1 commence à moisir par les bords.

Quel mal cela fait-il? Ceux qui sont morts sont morts :
Le tombeau contre vous ne peut-il les défendre?

Et qu'ont fait tant d'auteurs, pour remuer leur cendre?
Que vous ont fait Perrin, Bardin, Pradon, Hainaut 2,
Colletet, Pelletier, Titreville, Quinault,

Dont les noms en cent lieux, placés comme en leurs niches
Vont de vos vers malins remplir les hémistiches?

Ce qu'ils font vous ennuie. O le plaisant détour!

Ils ont bien ennuyé le roi, toute la cour,

Sans que le moindre édit ait, pour punir leur crime,
Retranché les auteurs, ou supprimé la rime.
Ecrive qui voudra. Chacun à ce métier

Peut perdre impunément de l'encre et du papier.
Un roman, sans blesser les lois ni la coutume,
Peut conduire un héros au dixième volume3.
De là vient que Paris voit chez lui de tout temps
Les auteurs à grands flots déborder tous les ans ;
Et n'a point de portail où, jusques aux corniches,
Tous les piliers ne soient enveloppés d'affiches.
Vous seul, plus dégoûté, sans pouvoir et sans nom,
Viendrez régler les droits et l'État d'Apollon!

Mais vous, qui raffinez sur les écrits des autres,
De quel œil pensez-vous qu'on regarde les vôtres?
Il n'est rien en ce temps à couvert de vos coups,
Mais savez-vous aussi comme on parle de vous?

Gardez-vous, dira l'un, de cet esprit critique
On ne sait bien souvent quelle mouche le pique.
Mais c'est un jeune fou qui se croit tout permis,
Et qui pour un bon mot va perdre vingt amis.
Il ne pardonne pas aux vers de la Pucelle,
Et croit régler le monde au gré de sa cervelle.
Jamais dans le barreau trouva-t-il rien de bon?
Peut-on si bien prêcher qu'il ne dorme au sermon?
Mais lui, qui fait ici le régent du Parnasse,

4. Poëmes héroïques qui n'ont point été vendus. Ces trois poëmes avoient été faits: le Jonas, par Coras; le David, par Las-Fargues, et le Moïse, par Saint-Amant. (B.)

2. J. Hainault, ou plutôt Hesnault, né à Paris, y est mort en 1682, on ignore à quel âge. Il est connu par une imitation en vers des actes II et IV de la Troade de Sénèque; par une traduction en vers du commencement du poëme de Lucrèce; par le sonnet de l'Avorton, et par un meilleur sonnet contre Colbert.

3. Les romans de Cyrus, de Clélie et de Pharamond sont chacun de dix volumes. (B.)

N'est qu'un gueux revêtu des dépouilles d'Horace'.
Avant lui Juvénal avoit dit en latin

Qu'on est assis à l'aise aux sermons de Cotin.

L'un et l'autre avant lui s'étoient plaints de la rime,
Et c'est aussi sur eux qu'il rejette son crime:
Il cherche à se couvrir de ces noms glorieux.
J'ai peu lu ces auteurs, mais tout n'iroit que mieux,
Quand de ces médisans l'engeance tout entière
Iroit la tête en bas rimer dans la rivièrė.

Voilà comme on vous traite : et le monde effrayė
Vous regarde déjà comme un homme noyé.
En vain quelque rieur, prenant votre défense,
Veut faire au moins, de grâce, adoucir la sentencé :
Rien n'apaise un lecteur toujours tremblant d'effroi,
Qui voit peindre en autrui ce qu'il remarque en soi
Vous ferez-vous toujours des affaires nouvelles?
Et faudra-t-il sans cesse essuyer des querelles?
N'entendrai-je qu'auteurs se plaindre et murmurer?
Jusqu'à quand vos fureurs doivent-elles durer?
Répondez, mon esprit; ce n'est plus raillerie :
Dites.... Mais, direz-vous, pourquoi cette furie?
Quoi! pour un maigre auteur que je glose en passant
Est-ce un crime, après tout, et si noir et si grand?
Et qui, voyant un fat s'applaudir d'un ouvrage
Où la droite raison trébuche à chaque page,
Ne s'écrie aussitôt : L'impertinent auteur!
L'ennuyeux écrivain! Le maudit traducteur!

A quoi bon mettre au jour tous ces discours frivolés,
Et ces riens enfermés dans de grandes paroles?

Est-ce donc là médire, ou parler franchement?
Non, non, la médisance y va plus doucement.
Si l'on vient à chercher pour quel secret mystère
Alidor à ses frais bâtit un monastère :

Alidor! dit un fourbe, il est dé mes amis,
Je l'ai connu laquais avant qu'il fût commis !
C'est un homme d'honneur, dé piété profonde,
Et qui veut rendre à Dieu ce qu'il a pris au monde.
Voilà jouer d'adresse, et médire avec art;
Et c'est avec respect enfoncer le poignard.
Un esprit né sans fard, sans basse complaisance,
Fuit ce ton radouci que prend la médisance.
Mais de blâmer des vers ou durs ou languissans,
De choquer un auteur qui choque le bon sens,
De railler d'un plaisant qui ne sait pas nous plaire

1. Saint-Pavin reprochoit à l'auteur qu'il n'étoit riche que des dépouilles d'Horace, de Juvénal et de Regnier. (B.)

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