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Mais notre hôte surtout, pour la justesse et l'art,
Elevoit jusqu'au ciel Théophile et Ronsard',
Quand un des campagnards relevant sa moustache,
Et son feutre à grands poils ombragé d'un panache,
Impose à tous silence, et d'un ton de docteur :

« Morbleu! dit-il, La Serre est un charmant auteur !
Ses vers sont d'un beau style, et sa prose est coulante.
La Pucelle est encore une œuvre bien galante,
Et je ne sais pourquoi je bâille en la lisant.
Le Pays, sans mentir, est un bouffon plaisant :
Mais je ne trouve rien de beau dans ce Voiture 5.
Ma foi, le jugement sert bien dans la lecture.
A mon gré, le Corneille est joli quelquefois.
En vérité, pour moi j'aime le beau françois;
Je ne sais pas pourquoi l'on vante l'Alexandre,
Ce n'est qu'un glorieux qui ne dit rien de tendre
Les héros chez Quinault parlent bien autrement,
Et jusqu'à Je vous hais, tout s'y dit tendrement".
On dit qu'on l'a drapé dans certaine satire;
Qu'un jeune homme. Ah! je sais ce que vous voulez dire,
A répondu notre hôte: «Un auteur sans défaut,
<< La raison dit Virgile, et la rime Quinault. »

Justement. A mon gré, la pièce est assez plate.
Et puis, blâmer Quinault!... Avez-vous vu l'Astrate®?
C'est là ce qu'on appelle un ouvrage achevé.
Surtout l'anneau royal me semble bien trouvé.
Son sujet est conduit d'une belle manière;

Et chaque acte, en sa pièce, est une pièce entière.
Je ne puis plus souffrir ce que les autres font.

Il est vrai que Quinault est un esprit profond, »

A repris certain fat qu'à sa mine discrète

Et son maintien jaloux j'ai reconnu poëte;

<< Mais il en est pourtant qui le pourroient valoir.

Ma foi, ce n'est pas vous qui nous le ferez voir, » A dit mon campagnard avec une voix claire,

4. Théophile Viaud, poëte licencieux, condamné comme tel par le Parlement, mort à trente-sept ans, en 1626.

Ronsard mourut le 25 décembre 1595, près de Tours.

2. Écrivain célèbre pour son galimatias. (B.) - Son Secrétaire de la cour ou Manuel de lettres a eu trente éditions.

3. Poëme de Chapelain.

4. Écrivain estimé chez les provinciaux à cause d'un livre qu'il a fait, intitulé Amitiés, amours et amourettes. (B.)

5. Il étoit de l'Académie françoise, qui prit le deuil à sa mort, en 1848. 6. Tragédie de Racine.

7. Allusion aux scènes vi et vi de l'acte II de Stratonice.

8. L'Astrate, tragédie de Quinault.

Et déjà tout bouillant de vin et de colère.

<< Peut-être, a dit l'auteur pâlissant de courroux : Mais vous, pour en parler, vous y connoissez-vous ?

Mieux que vous mille fois, dit le noble en furie.

- Vous ? mon Dieu! mêlez-vous de boire, je vous prie, » A l'auteur sur-le-champ aigrement reparti.

« Je suis donc un sot, moi? vous en avez menti, »
Reprend le campagnard; et, sans plus de langage,
Lui jette pour défi son assiette au visage.
L'autre esquive le coup; et l'assiette volant
S'en va frapper le mur, et revient en roulant.
A cet affront l'auteur, se levant de la table,
Lance à mon campagnard un regard effroyable :
Et, chacun vainement se ruant entre deux,
Nos braves s'accrochant se prennent aux cheveux.
Aussitôt sous leurs pieds les tables renversées
Font voir un long débris de bouteilles cassées :
En vain à lever tout les valets sont fort prompts,
Et les ruisseaux de vin coulent aux environs.

Enfin, pour arrêter cette lutte barbare,

De nouveau l'on s'efforce, on crie, on les sépare;
Et, leur première ardeur passant en un moment,
On a parlé de paix et d'accommodement.
Mais, tandis qu'à l'envi tout le monde y conspire,
J'ai gagné doucement la porte sans rien dire,
Avec un bon serment que, si pour l'avenir
En pareille cohue on me peut retenir,

Je consens de bon cœur, pour punir ma folie,
Que tous les vins pour moi deviennent vins de Brie,
Qu'à Paris le gibier manque tous les hivers,

Et qu'à peine au mois d'août l'on mange des pois verts.

SATIRE IV.

1664.

A M. L'ABBÉ LE VAYER'.

LES FOLIES HUMAINES.

D'où vient, cher Le Vayer, que l'homme le moins sage Croit toujours seul avoir la sagesse en partage,

Et qu'il n'est point de fou qui, par belles raisons,

Ne loge son voisin aux Petites-Maisons ?

4. Traducteur de Florus, et fils de La Mothe Le Vayer, qui a laissé un très-grand nombre d'ouvrages.

Un pédant, enivré de sa vaine science,
Tout hérissé de grec, tout bouffi d'arrogance,
Et qui, de mille auteurs retenus mot pour mot,
Dans sa tête entassés, n'a souvent fait qu'un sot,
Croit qu'un livre fait tout, et que, sans Aristote,
La raison ne voit goutte, et le bon sens radote.

D'autre part un galant, de qui tout le métier
Est de courir le jour de quartier en quartier,
Et d'aller, à l'abri d'une perruque blonde,
De ses froides douceurs fatiguer tout le monde,
Condamne la science, et, blâmant tout écrit,
Croit qu'en lui l'ignorance est un titre d'esprit;
Que c'est des gens de cour le plus beau privilége,
Et renvoie un savant dans le fond d'un collége.
Un bigot orgueilleux, qui, dans sa vanité,
Croit duper jusqu'à Dieu par son zèle affecté,
Couvrant tous ses défauts d'une sainte apparence,
Damne tous les humains, de sa pleine puissance.

Un libertin d'ailleurs, qui, sans âme et sans foi,
Se fait de son plaisir une suprême loi,

Tient que ces vieux propos de démons et de flammes
Sont bons pour étonner des enfans et des femmes,
Que c'est s'embarrasser de soucis superflus,
Et qu'enfin tout dévot a le cerveau perclus.

En un mot, qui voudroit épuiser ces matières,
Peignant de tant d'esprits les diverses manières,
Il compteroit plutôt combien, dans un printemps,
Guenaud et l'antimoine ont fait mourir de gens,
Et combien la Neveu devant son mariage,
A de fois au public vendu son pucelage.

Mais, sans errer en vain dans ces vagues propos,
Et pour rimer ici ma pensée en deux mots,
N'en déplaise à ces fous nommés sages de Grèce,
En ce monde il n'est point de parfaite sagesse :

Tous les hommes sont fous, et, malgré tous leurs soins,
Ne diffèrent entre eux que du plus ou du moins.

Comme on voit qu'en un bois que cent routes séparent Les voyageurs sans guide assez souvent s'égarent, L'un à droit, l'autre à gauche, et, courant vainement, La même erreur les fait errer diversement : Chacun suit dans le monde une route incertaine, Selon que son erreur le joue et le promène; Et tel y fait l'habile et nous traite de fous, Qui sous le nom de sage est le plus fou de tous.

1. Guenaud, médecin de la reine.

2. Infame débordée, connue de tout le monde. (B.)

Mais, quoi que sur ce point la satire publie,
Chacun veut en sagesse ériger sa folie
Et, se laissant régler à son esprit tortu,
De ses propres défauts se fait une vertu.
Ainsi, cela soit dit pour qui veut se connoître,
Le plus sage est celui qui ne pense point l'être;
Qui, toujours pour un autre enclin vers la douceur,
Se regarde soi-même en sévère censeur,

Rend à tous ses défauts une exacte justice,
Et fait sans se flatter le procès à son vice.
Mais chacun pour soi-même est toujours indulgent.
Un avare,
idolâtre et fou de son argent,
Rencontrant la disette au sein de l'abondance,
Appelle sa folie une rare prudence,

Et met toute sa gloire et son souverain bien
A grossir un trésor qui ne lui sert de rien.
Plus il le voit accru, moins il en sait l'usage.
Sans mentir, l'avarice est une étrange rage,
Dira cet autre fou non moins privé de sens,
Qui jette, furieux, son bien à tous venans,
Et dont l'âme inquiète, à soi-même importune,
Se fait un embarras de sa bonne fortune.
Qui des deux en effet est le plus aveuglé?

L'un et l'autre, à mon sens, ont le cerveau troublé,
Répondra, chez Fredoc,'ce marquis sage et prude,
Et qui sans cesse au jeu, dont il fait son étude,
Attendant son destin d'un quatorze ou d'un sept,
Voit sa vie ou sa mort sortir de son cornet.
Que si d'un sort fâcheux la maligne inconstance
Vient par un coup fatal faire tourner la chance,
Vous le verrez bientôt, les cheveux hérissés,
Et les yeux vers le ciel de fureur élancés,
Ainsi qu'un possédé que le prêtre exorcise,
Fêter dans ses sermens tous les saints de l'Église.
Qu'on le lie; ou je crains, à son air furieux,
Que ce nouveau Titan n'escalade les cieux.

Mais laissons-le plutôt en proie à son caprice,
Sa folie, aussi bien, lui tient lieu de supplice.
Il est d'autres erreurs dont l'aimable poison
D'un charme bien plus doux enivre la raison :
L'esprit dans ce nectar heureusement s'oublie.
Chapélain veut rimer, et c'est là sa folie.
Mais bien que ses durs vers, d'épithètes enflés,

1. Fredoc tenoit une salle de jeu au Palais-Royal.

2. Cet auteur, avant que son poëme de la Pucelle fût imprimé, passoit pour le premier auteur du siècle. L'impression gâta tout. (B.)

Soient des moindres grimauds chez Ménage sifflés1,
Lui-même il s'applaudit, et, d'un esprit tranquille,
Prend le pas au Parnasse au-dessus de Virgile.
Que feroit-il, hélas ! si quelque audacieux

Alloit pour son malheur lui dessiller les yeux,
Lui faisant voir ses vers et sans force et sans grâces,
Montés sur deux grands mots, comme sur deux échasses;
Ses termes sans raison l'un de l'autre écartés,

Et ses froids ornemens à la ligne plantés?
Qu'il maudiroit le jour où son âme insensée
Perdit l'heureuse erreur qui charmoit sa pensée!
Jadis certain bigot, d'ailleurs homme sensé,
D'un mal assez bizarre eut le cerveau blessé,
S'imaginant sans cesse, en sa douce manie,
Des esprits bienheureux entendre l'harmonie.
Enfin un médecin fort expert en son art
Le guérit par adresse, ou plutôt par hasard;
Mais voulant de ses soins exiger le salaire,
Moi vous payer! lui dit le bigot en colère,
Vous dont l'art infernal, par des secrets maudits,
En me tirant d'erreur m'ôte du paradis !

J'approuve son courroux; car, puisqu'il faut le dire,
Souvent de tous nos maux la raison est le pire.
C'est elle qui, farouche au milieu des plaisirs,
D'un remords importun vient brider nos désirs.
La fâcheuse a pour nous des rigueurs sans pareilles;
C'est un pédant qu'on a sans cesse à ses oreilles,
Qui toujours nous gourmande, et, loin de nous toucher,
Souvent, comme Joli2, perd son temps à prêcher.
En vain certains rêveurs nous l'habillent en reine,
Veulent sur tous nos sens la rendre souveraine,
Et, s'en formant en terre une divinité,

Pensent aller par elle à la félicité :

C'est elle, disent-ils, qui nous montre à bien vivre.
Ces discours, il est vrai, sont fort beaux dans un livre:
Je les estime fort; mais je trouve en effet

Que le plus fou souvent est le plus satisfait.

i. On tenoit chez Ménage toutes les semaines une assemblée où alloient beaucoup de petits esprits. (B.)

2. Illustre prédicateur, alors curé de Saint-Nicolas des Champs, * Paris, et depuis évêque d'Agen. (B.)

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