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Horat. lib. 2,
Epist.3.

et de rudesse qui leur restait encore de leur ancienne origine, et leur inspira du goût pour les arts propres à cultiver, à adoucir et à humaniser les esprits.

Græcia capta ferum victorem cepit, et artes

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Intulit agresti Latio. Sic horridus ille

Defluxit numerus Saturnius, et grave virus
Munditiæ pepulère.

Cet heureux changement commença par la poésie, qui s'applique principalement à plaire, et dont les charmes, pleins de douceur et d'agrément, se font goûter avec plus de facilité et de promptitude. Elle fut pourtant elle-même fort grossière et inculte dans les commencements. Ce fut sur le théâtre qu'elle prit sa naissance, ou du moins qu'elle commença à prendre un air plus poli et plus orné. Elle s'essaya, pour ainsi dire, dans la comédie, la tragédie, la satyre, qu'elle conduisit peu à peu, et par des accroissements insensibles, à un grand degré de perfection.

Les Romains ayant été près de quatre cents ans sans aucun jeu scénique, le hasard et la débauche leur firent trouver dans une de leurs fêtes les vers 2 fescennins, qui leur tinrent lieu de pièces de théâtre près de six vingts ans. Ces vers étaient rudes, et sans presque aucun nombre, comme étant nés sur-le-champ, et faits par un peuple encore sauvage, et qui ne connaissait d'autres maîtres que la joie et les vapeurs du vin. Ils étaient

Horace marque ici le temps où la poésie commença à se perfectionner chez les latins; car elle était connue à Rome dès le temps de Numa;

Saliare Numa carmen.

(HORAT. lib. 2, ep. 1.)

2 Ces vers furent ainsi appelés d'une ville d'Étrurie, nommée Fescennia, d'où ils furent apportés à Rome.

remplis de railleries grossières, et accompagnés de pos

tures et de danses.

Fescennina per hunc inventa licentia morem
Versibus alternis opprobria rustica fudit.

Horat. lib. 2,
Epist. 1.

n. 2.

A ces vers licencieux et déréglés succéda bientôt une Liv. lib. 7, autre espèce de poëme plus châtié, qui était aussi rempli de railleries plaisantes, mais qui n'avait rien de déshonnête. Ce poëme parut sous le nom de satyre (satura) à cause de sa variété; et cette satyre avait des modes réglés, c'est-à-dire une musique réglée et des danses; mais les postures déshonnêtes en étaient bannies. Ces satyres étaient proprement des farces honnêtes, où les spectateurs et les acteurs étaient joués indifféremment.

Livius Andronicus trouva les choses en cet état, Liv. ibid. quand il s'avisa le premier de faire des comédies et des tragédies à l'imitation des Grecs. D'autres poètes, en puisant dans les mêmes sources, suivirent son exemple : Nævius, Ennius, Cécilius, Pacuvius, Accius et Plaute. Ces sept poètes, dont je vais parler, vécurent presque tous en même temps dans l'espace de soixante ans.

Dans ce que je me propose de rapporter ici des poètes latins, je ne suivrai point l'ordre des matières, comme je l'ai fait en parlant des poètes grecs, mais l'ordre des temps, qui m'a paru plus propre à faire connaître la naissance, les progrès, la perfection et la décadence de la poésie latine.

Je diviserai tout ce temps en trois âges. Le premier comprendra l'espace d'environ deux cents ans, pendant lesquels la poésie latine est née, s'est accrue, et s'est fortifiée par différents progrès. Le second âge sera de

Euseb.

cent ans environ, depuis Jules César jusqu'au milieu de l'empire de Tibère : c'est le temps où la poésie a été portée à son dernier degré de perfection. Le troisième âge contiendra les années suivantes, où, par des déclins assez prompts, elle est déchue de cet état, et a enfin dégénéré entièrement de son ancienne réputation.

§ I. Premier áge de la poésie latine.

LIVIUS ANDRONICUS.

Le poète Andronicus prit le prénom de Livius, parce in Chron. qu'il avait été mis en liberté par M. Livius Salinator, dont il avait instruit les filles.

AN. M. 3764.

n. 72.

lib. 17,c. 21.

Il représenta sa première tragédie un an avant la Cic. in Brut. naissance d'Ennius, la première année après la preAul. Gell. mière guerre punique, qui était l'année de Rome 514, sous le consulat de C. Claudius Cento et de M. Sempronius Tuditanus: environ cent soixante ans depuis la mort de Sophocle et d'Euripide, cinquante depuis celle de Ménandre, deux cent vingt avant celle de Virgile.

AN.M.3769.
Aul. Gell.

lib. 17, c.21.

Euseb.

in Chron.

CN. NEVIUS.

Nævius, selon Varron, avait servi dans la première guerre punique. Animé par l'exemple d'Andronique, il marcha sur ses traces, et commença, cinq ans après lui, à donner des pièces de théâtre : c'étaient des comédies. Il s'attira la haine de la noblesse, et surtout d'un Métellus ; ce qui l'obligea de sortir de Rome. Il se

retira à Utique, où il mourut. Il avait composé en vers T'histoire de la première guerre punique.

Q. ENNIUS.

devir. illust

Aurel. Vict.

c. 47. 1. Tusc. n. 3.

Il était né l'an de Rome 514 ou 515, à Rudiæ, ville AN. M.3764. de Calabre. Il vécut dans la Sardaigne jusqu'à l'âge de quarante ans. C'est là qu'il fit connaissance avec Caton, qui apprit de lui la langue grecque dans un âge fort avancé, et qui l'emmena ensuite avec lui à Rome. M. Fulvius Nobilior le mena avec lui en Étolie. Le fils de ce Nobilior lui fit accorder le droit de bourgeoisie romaine, ce qui était, dans ces temps-là, un honneur fort considérable. Il avait composé en vers héroïques les Annales de Rome, et en était au douzième livre à Aul. Gell. l'âge de soixante-sept ans. Il avait aussi célébré les victoires du premier Scipion l'Africain, avec qui il était lié d'une amitié particulière, et qui lui donna toujours de grandes marques d'estime et de considération. Quelques-uns même croient qu'on lui accorda une place dans le tombeau des Scipions. Il mourut âgé de soixante-dix ans.

I

Scipion était bien assuré que, tant que Rome subsisterait, et que l'Afrique serait soumise à l'Italie, la mémoire de ses grandes actions ne pourrait être abolie: mais il crut aussi que les écrits d'Ennius étaient fort capables d'en illustrer l'éclat et d'en perpétuer le souvenir; digne certainement d'avoir pour héraut de ses

1-Charus fuit Africano superiori Boster Ennius. Itaque etiam in sepulcro Scipionum putatur is esse constitutus.» (Cic. pro Arch. poeta, n. 22.)

2 Non incendia Carthaginis impiæ,

Ejus, qui domita nomen ab Africa
Lucratus rediit, clariùs indicant
Laudes, quàm calabra Pierides....
(HORAT. lib. 4, od. 8.)

lib. 17,c. 21.

éclatantes victoires un Homère plutôt qu'un poète dont le style répondait mal à la grandeur de ses actions!

grace,

On comprend aisément que la poésie latine, faible encore et presque naissante dans les temps dont je viens de parler, ne pouvait pas avoir beaucoup de beauté et d'ornement. Elle montrait quelquefois de la force et des traits de génie, mais sans élégance, sans et avec de grandes inégalités. C'est ce que Quintilien, en traçant le portrait d'Ennius, exprime par une comparaison admirable: Ennium sicut sacros vetustate lucos adoremus, in quibus grandia et antiqua robora jam non tantam habent speciem, quantam religionem. « Révérons Ennius, dit-il, comme on révère «< ces bois que leur aacienneté a consacrés, dont les grands et vieux chênes n'offrent plus aux yeux autant « de beauté qu'ils inspirent un sentiment de respect

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I

Cicéron, dans son traité de la Vieillesse, nous apprend un fait qui doit faire beaucoup d'honneur à la mémoire d'Ennius. Il dit que « ce poète, à l'âge de <«< soixante-dix ans, chargé de deux fardeaux qu'on regarde comme accablants, la pauvreté et la vieillesse, « les portait non-seulement avec constance, mais avec gaîté; ce qui donnait presque lieu de penser qu'elles lui faisaient même plaisir, et lui étaient agréables. »

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CÉCILIUS. PACUVIUS.

Ces deux poètes vécurent du temps d'Ennius, plus jeunes pourtant que lui. Le premier, natif, selon quel

1 «Annos septuaginta natus (tot enim vixit Ennius ), ita ferebat duo, quæ maxima putantur onera, pau

pertatem et senectutem, ut eis penè delectari videretur.» (De Senect. n. 14.)

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