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Remarquez bien

que, dans tous les vers rapportés ci-dessus, et auxquels on en pourrait joindre tant d'autres, il n'y en a guère que quatre dont la rime soir à peu près ce qu'on peut appeler pleine; savoir :

Et foliis lentas intexere mollibus hastas.

Solvite me pueri, satis est potuisse videri.

VIRGILE.

Non benè junctarum discordia semina rerum.

OVIDE.

Cùm tu magnorum numen læsura Deorum.
HORACE.

Partout ailleurs la rime est très-faible; il suffisait qu'elle fût sentie. On ne voulait pas qu'elle eût un degré de saillie, capable d'attirer l'attention qui est due principalement à la mesure et à l'harmonie du vers; au contraire, les poètes des douzième et treizième siècles, faute de goût, prenant l'accessoire pour le principal, avaient fait du léonisme le grand objet de leurs soins, et en perfectionnant la rime ils étaient parvenus pour ainsi dire à dénaturer les vers. Voyez les préceptes médicinaux de l'école de Salerne, mis en vers léonins : la richesse même de la rime, attirant toute l'attention, leur donne je ne sais quel air burlesque, et leur ôte toute gravité. Ces vers, dont quelques-uns pourraient être utiles, ne paraissent que plaisans, et on ne les cite guère que pour rire.

Il ne faut pas dissimuler qu'on trouve dans Ho-, race quelques vers léonins, qui, par leur tournure et surtout par la richesse de la rime, sembleraient être du douzième siècle; mais ils ne sont pas au nombre des bons vers d'Horace.

Si neque majorem feci ratione malâ rem

Ne tamen ignores quo sit romana loco res
Nocturnos jures te formidare tepores.

Il y a un genre d'ouvrages latins, où la richesse de la rime fait un très-bon effet : ce sont certaines hymnes et certaines proses de nos chants d'église; c'est toujours par une raison qui se rapporte à ce que nous venons de dire, c'est que les espèces de vers dont ces pièces sont composées, n'ayant d'autre mesure qu'un nombre fixe de syllabes, ainsi que nos vers français, la rime en devient le principal et presque l'unique ornement; alors elle ne saurait être trop riche. Voyez la prose de Noël.

Votis Pater annuit,
Justum pluunt sidera,
Salvatorem genuit
Intacta Puerpera :

Homo Deus nascitur.

Superum concentibus

Panditur mysterium,
Nos mixti pastoribus
Cingamus præsepium,
In quo Christus sternitur.

Voyez le Pange lingua, dont le principal mérite consiste dans la richesse des rimes; voyez surtout prose du saint Sacrement: Lauda, Sion, Salvatous ses versets, notamment dans

la

torem,

etc.,

dans

ceux-ci :

Fracto demum sacramento
Ne vacilles, sed memento
Tantum esse sub fragmento
Quantùm toto tegitur.

Nulla rei fit scissura,

Signi tantùm fit fractura

Quâ nec status nec statura
Signati minuitur.

Ainsi c'est par un goût exquis que les Anciens n'employaient ni trop souvent ni trop rarement le vers léonin, et qu'ils ne donnaient ni trop ni trop peu de saillie à la rime, et c'est par défaut de goût que les versificateurs du moyen-âge avaient fait du léonisme la principale affaire poétique, et qu'ils avaient chargé des vers mesurés, d'une inutile et surabondante richesse de rime; et c'est à une application plus juste et plus sage de la rime dans toute sa richesse, à des vers sans quantité, que nous devons plusieurs belles proses qui concourent avec les hymnes des Santeuils et des Coffins (non rimées parce qu'elles sont mesurées), à enrichir nos bréviaires et à faire aimer nos chants d'église.

Ce

Ce n'est pas seulement en fortifiant et en perfectionnant la rime, que les Modernes ont raffiné sur le léonisme des Anciens, c'est encore en la multipliant et en lui donnant des formes diverses, d'après lesquelles on distingue aujourd'hui différentes sortes de vers léonins

par

1o. Les vers léonins simples, qui riment un

un

les deux hémistiches, mais qui ne riment point entre eux. Tels sont presque tous ceux que nous avons cités.

: 2o. Les doubles léonins, ceux qui riment deux à deux et par les hémistiches. Ceci est un raffinement moderne. En voici cependant un exemple dans Virgile; mais celui-là pourrait bien être dû au hasard.

Fraxinus in sylvis pulcherrima, pinus in hortis
HOT 92 IL
Populus in fluviis, abies in montibus altis.

3. Les triples léonins, ceux qui, outre la rime des vers deux à deux, et la rime des deux hémis tiches dans chaque vers, mettent encore une rime après le premier pied et après le troisième, et font ainsi rimer deux à deux les vers en trois endroits, peur que les vers ne soient pas assez difficiles et assez mauvais. En voici un exemple dans l'épitaphe de Henti, comte de Champagne, à Saint-Étienne

de

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- Largus ēram, | multis dederam, | multumqué laborem Hinc tuleram nunc, quæso, feram fructum meliorem. Quæ statuo tibi templa tuo | Protomartyr, honori Perpetuo, rege daque suo | prodesse datori,

OBSERVATIONS sur lé vers saphique.

On sait que le vers saphique est composé d'un trochée, d'un spondée, d'un dactyle et de deux trochées, et que chaque strophe de vers saphiques est composée de trois vers de cette mesure, et terminée par un petit vers qu'on appelle adonique, et qui n'est autre chose que la fin d'un vers hexamètre, c'est-à-dire, un dactyle et un spondée.

la

Mais ce qu'il me semble qu'on n'a pas assez dit, si on l'a dit, c'est combien il est important pour grâce et la légéreté du vers saphique, que la césure, qui se trouve ordinairement après le spondée, et qui commence le dactyle, soit conservée dans sa forine de césure. Des exemples vont développer cette théorie.

Jam satis terris nivis atque dire
Grandinis misit Pater et rubente

Dexterâ sacras jaculatus arces,
Terruit urbem.

La césure dont je parle est très-bien observée

dans cette strophe, et en général dans

presque

toutes les odes saphiques d'Horace, à la réservé

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