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Cet éditeur (M. Lefebvre de Villebrune de Senlis), l'un des plus savans hommes de nos jours, a comme rendu la vie à Silius par son infatigable. travail; il a consulté les meilleurs manuscrits; il a remis Silius en possession d'un fragment précieux que Pétrarque s'était arrogé, et avait inséré, avec quelques changemens, dans un poëme de l'Afrique, livre 6.; il a conféré jusqu'à trente-sept éditions différentes de Silius, depuis 1471, jusqu'en 1775. C'est le plus beau travail d'éditeur qu'on ait vu depuis long-tems. Ses notes sont savantes et sensées.

Outre cette édition du texte le plus pur de son auteur, il en a donné une traduction élégante et fidelle, et ce n'est que par lui qu'on peut se flatter de connaître véritablement Silius Italicus, tant en latin qu'en français.

STACE.

Nous avons à peu près la même chose à dire de Stace que de Silius Italicus son contemporain : c'est encore un singe de Virgile, car dès qu'il y a un bon modèle, en quelque genre que ce soit, il faut s'attendre à mille copies. L'homme est né imitateur. Stace, plus célèbre que connu, plus estimé que lu, a plus de talent que de charme : ses vers sont bien faits; ils sont même beaux, et on

ne les retient point : leur couleur est terne et monotone. Son poëme de la Thébaïde a de l'intérêt son style n'en a point; il n'a que de la poésie ; il fait, comme Silius Italicus, sentir par ce qui lui manque, toute l'utilité de ce précepte d'Horace :

Nec satis est pulchra esse poemata, etc.

Virgile, par une variété toujours riche et heureuse, par la justesse, la propriété précise, la convenance toujours parfaite de son expression; par un sentiment exquis de l'harmonie dans tous les genres, attache toujours, et remplace par le charme des détails, ce qui manque quelquefois à l'intérêt du fond. Il y a peut-être moins d'intérêt dans les six derniers livres de l'Énéide, que dans quelques livres de la Thébaïde, qu'on veuille choisir; mais dans chacun de ces livres, même défectueux de l'Énéide, on sera beaucoup plus attaché par le mérite intéressant des détails, que dans la ` Thébaïde entière. Cette différence se fait sentir dans les endroits mêmes que Stace imite de Virgile, et ces endroits sont nombreux. Comparez, par exemple, dans le troisième livre de la Thébaïdes les regrets d'Idée, mère de deux guerriers tués par Tidée, et les regrets de la mère d'Euryale, dans le neuvième livre de l'Enéide. Aux mouvemens si vrais, si passionnés de celle-ci, à cet abandon,

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à cet épanchement du cœur d'une mère, vous reconnaîtrez la nature, et vous ne pourrez retenir vos larmes. La douleur d'Idée, quoiqu'exprimée avec esprit et en beaux vers, vous laissera froidement observer et estimer l'art du poète imitateur, encore trouverez-vous cet art en défaut, et bien inférieur à celui de Virgile; car Virgile, avant d'exposer à vos yeux la mère d'Euryale, vous a fait aimer son / fils, et vous a fait comprendre combien une mère doit l'aimer. Ce généreux enfant s'était dévoué pour ses concitoyens; il allait mourir pour la cause la plus noble et la plus intéressante. En partant, il avait déjà fait couler vos larmes par la piété tendre avec laquelle il avait recommandé sa mère au pieux fils d'Énée.

Hanc ego nunc ignaram hujus quodcunque pericli est,
Inque salutatam linquo. Nox et tua testis.

Dextera, quòd nequeam lacrymas perferre parentis.
At tu, oro, solare, inopem, et succurre relictæ.
Hanc sine me spem ferre tui; audentior ibo
In casus omnes.

Vous avez pleuré Euryale avant que sa mère fût instruite de son sort; vous avez pressenti avec douleur et avec effroi le moment où la nouvelle de la mort d'un tel fils parviendrait aux oreilles d'une telle mère; mais les deux fils que pleure Idée ne sont que de vils assassins, apostés par

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un tyran pour égorger un ambassadeur: leur cause est odieuse et infâme; ils succombent dans un combat inégal, où ils sont cinquante contre un: tout l'intérêt est pour leur vaillant ennemi Tidée, qui en tue quarante-neuf, et n'en laisse vivre qu'un pour porter à Thèbés la nouvelle de ce combat. Idée est mère : on souffre sa douleur, mais on ne la partage pas, parce que ceux qu'elle regrette, ne sont pas intéressans. On pourrait même faire de cette observation une espèce de règle, et mettre en principe que, pour que la douleur en pareil cas soit intéressante, il faut, et que l'objet qu'on regrette, et que l'objet qui regrette, soient intéressans: si l'un des deux ne l'est pas, la pitié est nulle ou du moins faible. Lausus est vertueux; il meurt pour son père. Mézence est malheureux sans doute de perdre un tel fils; mais Mézence est pour ainsi dire indigne de le pleurer, Mézence est un scélérat et un impie Virgile n'a pas même songé à rendre sa douleur touchante; il donne à cette douleur le caractère de la fureur qui étonne, mais qui n'attendrit pas. Voyez au contraire combien est touchante la douleur d'Évandre, qui, dans cette même guerre, perd son fils Pallas; c'est qu'Évandre et Pallas sont

:

tous deux vertueux et intéressans.

Nous ne devons pas dissimuler ici que ce charme attirant et attachant de Virgile, qui nous paraît

manquer à Stace, ce dulce que nous lui refusons en lui accordant le pulchrum, est précisément le mérite que paraît louer en lui Juvénal, qui devait s'y connaître mieux que nous, et qui en général n'était pas disposé à prodiguer ni à exagérer la louange. Voici le jugement qu'il porte de Stace, dans la saytre 8°.

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Curritur ad vocem jucundam et carmen amica
Thebaidos, lætam fecit cum Statius urbem
Promisitque diem, tantâ dulcedine captos
Afficit ille animos, tantâque libidine vulgi
Auditur !

que

Nous répondrons, 1o. Juvénal parle peutêtre en général du succès des lectures de la Thébaide, et du plaisir que paraissait faire ce poëme, plutôt qu'il ne veut caractériser avec précision la nature de ce plaisir et le mérite de l'ouvrage;

2o. Que Juvénal était peut-être l'ami de Stace, dont il était certainement le contemporain, et qu'il voyait peut-être ou voulait que l'on vît dans l'ouvrage de son ami un mérite qui n'y était

pas. 3. Nous ne prétendons pas refuser entiérement à la Thébaïde, le mérite dont il s'agit; mais tant que nous aurons des objets de comparaison, tels que l'Énéide et les Métamorphoses, nous dirons toujours que Stace, avec des beautés continues, n'a

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