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que le premier et le septième chant de la Pharsale; mais dans ses réflexions sur Lucain il en traduit plusieurs morceaux détachés, et toujours avec la même liberté et la même fidélité.

Pour revenir à M. le chevalier de Laurès, on a vu dans les exemples que j'en ai cités, ce qu'il prend de son original, et ce qu'il en laisse. Quand on se permet de choisir dans un auteur qu'on imite, on s'engage à choisir bien. Nous voudrions que, dans le portrait de Caton, il n'eût pas négligé des traits tels que celui-ci :

Cunctisque timentem

Securamque sui,

et qu'au contraire il eût supprimé cette froide hyperbole du discours de Brutus à Caton:

Ense mori

Quis nolit in isto

Et scelus esse tuum?

sentiment gigantesque, alambiqué, susceptible de ridicule, et qui rappelle un peu le mot du renard dans la fable des Animaux malades de la

Vous leur fites, Seigneur,

peste:

En les croquant, beaucoup d'honneur.

Je n'aime pas non plus, par la même raison, que, même dans Virgile, Enée dise à l'intéressant Lausus qu'il vient de tuer:

Hoc tamen infelix miseram solabere mortem,

Æneæ magni dextrâ cadis.

Si ce trait était dans un auteur moderne, on y trouverait d'un côté de la forfanterie, de l'autre une consolation bien ridicule à présenter à celui qui est tué.

:

M. le chevalier de Laurès, dans sa préface, vante chez Lucain l'esprit de la république et l'amour de la liberté ; il prévient l'objection qu'on pourrait faire d'après les louanges excessives, prostituées par Lucain à Néron; il prétend que ces louanges sont une ironie amère c'est faire de Lucain un insensé au lieu d'un flatteur. Je ne saurais être de cet avis: il suffit de lire ces louanges, pour s'assurer que, si elles ne peuvent avoir été données sincérement, elles l'ont du moins été très-sérieusement. Quelque outré que paraisse ce trait, Scelera ipsa nefasque

Hâc mercede placent,

on sent que l'auteur s'est étudié à le préparer, à le justifier par des exemples.

Quòd si non aliam venturo fata Neroni
Invenere viam, magnoque æterna parantur
Regna deis, cœlumque suo servire tonanti
Non nisi sævorum potuit post bella gigantum,
Jam nihil, ô superi ! quærimur.

C'est une flatterie

que

l'auteur tire habilement

de son sujet, et qu'il colore avec un art qui détruit toute idée d'ironie.

Si cette idée, d'ironie pouvait naître, ce serait à propos de ces longs détails où entre le poète lorsqu'en plaçant Néron dans les cieux, il l'engage à en bien occuper le milieu pour ne pas déranger la balance du monde, et à se placer de manière qu'il ne lance que des rayons directs sur sa chère Rome; mais Virgile place de même Auguste parmi les astres, entre la Vierge et la Balance, et le morceau de Lucain est si visiblement imité de Virgile, qu'on ne peut taxer d'ironie l'éloge de Néron sans en taxer aussi celui d'Auguste. Cette manière de louer, qui nous paraît aujourd'hui si peu ingénieuse, tenait à des idées superstitieuses du tems.

M. le chevalier de Laurès, par une suite de son système, veut que Néron ait fait périr Lucain pour se venger de l'ironie contenue dans son éloge; il le fit périr parce que Lucain était entré ou était réputé être entré dans une conspiration contre lui; et si Lucain avait conspiré, c'était parce que Néron, qui prétendait à tous les talens, enviait sa gloire poétique, et voulait la lui disputer. C'était pour désarmer cette jalousie, que Lucain s'était permis le bas et vil éloge qu'on lui reproche, et qu'il finit par préférer Néron aux dieux qui président à la poésie.

Sed nihi jam numen, nec te si pectore vares
Accipio, Cirrhea velim secreta moventem
Sollicitare Deum, Bacchumque avertere Nysâ.
Tu satis ad vires romana in carmina dandas.

Tout cela était dit aussi sérieusement que faussement, et, quelque charme qu'ait le persifflage pour de certains esprits, je ne crois pas qu'on osât se jouer à persiffler Néron vivant. Cependant Perse, qui écrivait sous son règne, se moque de ses vers et insulte sa personne; mais il ne s'adressait pas 3 lui, et les satyres de Perse n'ont paru qu'après sa

mort.

SILIUS ITALICUS.

Silius Italicus, homme consulaire, vivait aussi sous Néron, et mourut, à ce qu'on croit, sous l'empire de Trajan; il possédait une maison de campagne qui avait appartenu à Cicéron, et une autre où est le tombeau de Virgile; c'est ce qu'on apprend par l'épigramme quarante-neuvième du livre onze de Martial.

Silius hæc magni celebrat monumenta Maronis
Jugera facundi qui Ciceronis habet.
Hæredem dominumque sui tumulive Larisve

Non alium mallet nec Maro, nec Cicero.

L'épigramme suivante roule encore à peu près

sur le même sujet, et finit

par

ce vers:

Silius et vatem, non minor ipse, colit.

Ce non minor ipse, par comparaison avec Virgile, est une exagération de l'urbanité ou de l'amitié, et Pline a mieux jugé Silius Italicus en disant scribebat carmina majore curâ quàm ingenio. En effet, ses vers sont travaillés; ils ont de la régularité, de l'harmonie, de l'énergie, mais ils sont le plus souvent sans verve, sans coloris, surtout sans ce charme qui fait qu'on sait par cœur la plupart des vers de Virgile; ils sont bien faits, en un mot; mais ils ne sont pas beaux, du moins ils ne sont pas agréables. Or, ce qu'Horace a dit en général des poëmes, peut s'appliquer en particulier aux vers:

Nee satis est pulchra esse............. dulcia sunto

Et quocunque volent, animum auditoris agunto. Voilà ce qui manque aux vers de Silius, et voilà ce qui fait qu'on en a retenu assez peu. Ilest, comme on la dit, le singe de Virgile, mais il n'en est que le singe; il n'en imite que les formes; il le rappelle à tout moment par les expressions et par les tours, rarement par le talent et le génie. Non-seulement on ne trouve rien dans Silius qui puisse entrer même de loin en parallèle avec le second, le quatrième, le sixième, le neuvième livre de l'Énéide; nonseulement il n'offre aucun morceau à mettre à côté des épisodes de Pygmalion et de Sichée, de Polydore, d'Hélénus et d'Andromaque, de Polyphême, de Cacus, etc. mais on n'y trouvera pas

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