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le publier. Premièrement vous les blâmez; ils font plus, ils se condamnent, ils se châtient : secondement quand vous péchez par leurs exemples, vous faites pis qu'eux; car ils ne cherchent pas à s'excuser. « Ainsi celui-là est plus criminel que David, qui » ose se permettre les crimes de ce roi, parce que >>> c'est lui qui les a commis » : Inde anima iniquior, quæ cùm propterea fecerit quia fecit David, pejus fecit quàm David (1).

Quand vous croyez qu'on ne peut pas être homme de bien à la Cour, vous rendez témoignage contre vous-même, vous vous condamnez vous-même.

Tant qu'on est attaché au monde, on ne soupçonne pas qu'on puisse seulement aimer Dieu; on prend tout à mal.

Les méchans ne veulent point trouver de bons; de peur de conviction, et pour ne point se joindre aux bonnes œuvres. De tout temps, la profession de vouloir bien faire a été odieuse au monde.

On hait les gens de bien; « parce qu'ils rendent » témoignage contre le monde, que ses œuvres sont >> mauvaises ». Quia testimonium perhibeo de illo quod opera ejus mala sunt (2). On en médit; on donne de mauvaises couleurs à leurs actions on veut se persuader et dire qu'il n'y en a point.

On ne sauroit s'élever trop fortement contre ceux qui s'imaginent qu'il n'y a point de vrais pieux: d'où résulte, premièrement, qu'ils désespèrent de le pouvoir devenir; secondement, qu'ils ne se joignent à aucune œuvre de piété, parce qu'ils soupçonnent toujours du mal caché.

(1) S. Aug. Enar. in Ps. L; t. IV, col. 463. — (2) Joan. vi. 7.

[Pour prémunir les esprits ] contre la tentation qu'il n'y a point de gens de bien, disons - leur : Estote tales, et invenietis tales: « Soyez tels que » vous désirez de voir les autres, et vous en trou » verez qui vous ressemblent ». Dans la grange, tout semble paille, le bon grain est mêlé et caché dedans; il faut profiter de ce mélange. L'Eglise est ici-bas comme dans un pélerinage; elle est étrangère, faut-il s'étonner si elle est mêlée de tant d'étrangers?

XXX. Du Monde.

Le monde est une comédie qui se joue en différentes scènes. Ceux qui sont dans le monde comme spectateurs, souvent le connoissent mieux que ceux qui y sont comme acteurs.

Dieu envoie annoncer, avec diligence, à ceux qui espèrent toujours dans le monde, aux gens de la Cour, que leur espérance engage: Væ terræ : << Malheur à la terre ». Mais à qui ce malheur? Ite, angeli veloces, ad gentem convulsam et dilaceratam, ad gentem expcctantem et conculcatam : << Allez en diligence, ambassadeurs, vers une na» tion divisée et déchirée, vers une nation qui espère et qui attend, et qui est foulée aux pieds Et combien n'est-elle pas foulée aux pieds? Cujus diripuerunt flumina terram ejus (1): « dont la terre » est ravagée par l'inondation des fleuves » : à qui tout ce qui coule et s'échappe a ôté tout le solide.

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Les vanités, les vices nous trompent dès le com

(1) Isai. xvm. I, 2.

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mencement du monde, et nous ne sommes pas encore désabusés de leur tromperie.

XXXI. Du Temps.

Notre vie est toujours emportée par le temps qui nous échappe; tâchons d'y attacher quelque chose de plus ferme que lui.

Il est tard de ménager quand on est au fond : rien de plus essentiel que de travailler de bonne heure. Il faut épargner le temps de la jeunesse : celui qui reste au fond n'est pas seulement le plus court, mais le plus mauvais, et comme la lie de tout l'âge.

XXXII. Il faut régler sa vie.

C'est un grand défaut dans les hommes de vouloir tout régler, excepté eux-mêmes.

Il y a des gens qui commencent à vivre lorsqu'il faut cesser de vivre; ou plutôt qui ont cessé de vivre avant de commencer. Ceux-là commenceront, à la mort, une malheureuse stabilité. La Providence de Dieu a ses fins déterminées, auxquelles arriveront enfin, sans y penser, ceux qui ne se déterminent jamais. Ce sera la fin de leur inconstance. Il faut donc se déterminer; « il faut donc régler sa » vie, et l'accomplir de manière que chaque jour » nous tienne lieu de toute la vie ». Id ago ut mihi instar totius vitae sit dies (1).

Je converse avec moi-même comme avec le plus légitime censeur de ma vie.

(1) Senec. Ep. LXI.

XXXIII. De l'Homme.

Rien de moins important que ce que fait l'homme, parce qu'il est mortel: rien de plus important, par rapport à l'éternité.

Il semble que la perfection de chaque chose consiste en son action; car chaque chose a son action. La perfection et le bien d'un architecte, c'est de bâtir; et du peintre, comme tel, de faire un tableau; et ainsi des autres. Quoi donc, les artisans, ceux même qui font profession des arts les plus mécaniques ont leurs actions; les cordonniers, les maçons, les charpentiers: l'homme seul se trouveroit-il être sans action? La nature l'aura-t-elle destiné à une oisiveté éternelle ? l'aura-t-elle formé si beau, si adroit, si désireux de savoir, pour le laisser toujours inutile? ou bien ne faut-il pas dire plutôt, que si les yeux, les oreilles, le cœur, le cerveau, et généralement toutes les parties qui composent l'homme ont leur action, l'homme aura outre celles-là quelque áction, quelque ouvrage, quelque fonction principale? Quelle donc pourra être sa fonction ? car certes la faculté de croître lui est commune avec les plantes. Or il est ici besoin de quelque chose qui lui soit propre ; parce que nous trouvons que la perfection de chaque chose est d'exercer l'action que Dieu et la nature lui ont donnée, pour la distinguer des autres. Par exemple, la perfection du joueur de luth, en tant qu'il est tel, ne consiste pas en ce qu'il peut avoir de commun avec l'arithméticien et le peintre, comme peuvent être la subtilité de la

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main et la science des nombres; mais en ce qui lui est propre. Par cette même raison, il est clair que l'homme ne peut pas trouver sa perfection dans les fonctions animales; car les bêtes brutes l'égalent, et le surpassent même quelquefois en cette partie. Que si nous trouvons, après une exacte recherche de tout ce qui est dans l'homme, que la raison est tout ensemble ce qu'il a de plus propre et de plus divin, ne faudra-t-il pas décider, que la perfection de l'homme est de vivre selon la raison? Et de là il résulte que c'est dans cet exercice que consiste sa félicité. Car il est certain que chaque chose est heureuse, quand elle est parvenue à la perfection pour laquelle elle est née; et le bonheur du joueur de luth, comme tel, est de toucher délicatement cet instrument si harmonieux. Car comme le propre joueur de luth c'est de jouer du luth; aussi est-ce du bon joueur de luth d'en jouer selon les règles de l'art. Que si l'homme n'avoit autre qualité que celle de jouer du luth, il seroit parfaitement heureux quand il auroit atteint la perfection de cette science. Il en est de même de la raison; et encore qu'il y ait en l'homme autre chose que la raison, si est - ce néanmoins qu'elle est la partie dominante, et l'autre est née pour lui obéir : par où il paroît que la félicité de l'homme consiste à vivre selon la raison. En quoi il ne faut pas prendre garde aux sentimens des particuliers car l'esprit de l'homme est capable d'errer, non moins dans le choix des choses qu'il faut faire pour être heureux, que dans la connoissance de toutes les autres vérités. De sorte qu'il ne faut pas avoir égard à ceux qui se sont figurés une fausse idée

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