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Au milieu de tant de merveilles, de tant de miracles, je ne vois que Jésus qui n'agit pas, que Jésus dans le silence. Les mères s'abaissent et prophétisent; Jean tressaille : il n'y a que Jésus qui paroît sans action; et c'est Jésus qui est l'ame de tout ce mystère. Il ne fait aucune démonstration de sa présence: lui, le moteur invisible de toutes choses, paroît immobile; il se tient dans le secret, lui qui développe et découvre tout ce qui est caché et enveloppé. Nous voyons souvent cette grande merveille, et nous ressentons ses bienfaits; mais il cache la main qui les donne. A la faveur de cette nouvelle lumière, je découvre ce que dit le prophète : « Vrai»ment vous êtes un Dieu caché, un Dieu sau» veur (1) », un Dieu qui s'est humilié, un Dieu qui s'est épuisé lui-même dans ses abaissemens, un Dieu abaissé dans un profond néant.

Mais pénétrons dans ce mystère ineffable, où Jésus paroît sans action. Que ce repos de Jésus est une grande et merveilleuse action! Le grand mystère du christianisme, c'est de comprendre la secrète opération de Dieu dans les ames. Dieu est descendu du ciel en terre, pour se communiquer aux hommes, soit par la participation de ses mystères, soit en se donnant à eux par la communion. Il veut se donner à nous, et que nous nous donnions à lui. Il opère dans les cœurs de certains mouvemens pour les attirer à lui, un entretien secret qui les élève à la plus intime communication; mais c'est dans la solitude que l'ame ressent ses divines approches. Que doit faire une ame dont Dieu s'approche par sa grâce

(1) Isai. XLV. 15.

et

et ses fréquentes visites? Elle doit apporter trois dispositions; un saint abaissement, une humilité profonde, une sainte frayeur. Abaissement, humilité, frayeur; voilà la première disposition: la seconde, c'est un transport divin, un transport admirable; elle s'éloigne par humilité, et s'approche par désir : la troisième, c'est une joie céleste en son salutaire, qu'elle a le bonheur de posséder.

Je m'assure que vous prévenez déjà mes pensées, et que vous considérez ces saintes dispositions dans les trois personnes qui ont part à ce mystère. Vous voyez Elisabeth qui s'abaisse : « D'où me vient ce » bonheur »? Jean qui se transporte; « L'enfant a » tressailli (1) » Marie qui s'élève et se repose en Dieu : « Mon ame magnifie le Seigneur » : voilà les trois secrets de ce mystère. L'anéantissement d'Elisabeth, qui s'abaisse à l'approche de son Dieu; le transport divin de Jean qui le cherche; et la paix de la Vierge qui le possède. L'approche de Dieu produit l'abaissement de l'ame, le transport dans celle qui le cherche, la paix dans celle qui le possède. C'est le sujet de cet entretien familier.

Ténèbres qu'il vient illuminer, néant qu'il vient remplir, que dois-tu faire quand Dieu approche? A l'approche d'une telle grandeur, néant, que doistu faire? tu dois t'abaisser. Abaissez-vous, néant. Et toi, pécheur, que dois-tu faire? Pécheur, tu dois t'éloigner: une sainte frayeur te doit saisir; puisque le péché a plus d'opposition à la sainteté de Dieu, que le néant à sa grandeur. Grandeur que rien ne peut égaler; sainteté qui ne peut être comprise: deux (1) Luc. 1. 44.

BOSSUET. XV.

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perfections en Dieu, qui nous doivent faire entrer dans des sentimens d'une humilité profonde.

Voyez les prophètes, quand l'Esprit de Dieu étoit sur eux, combien ils étoient épouvantés. Jérémie, saisi d'effroi, tremble et se confond (1); en sorte que ses os sembloient se disloquer, et prêts à se dissoudre. Ezéchiel, au travers des ailes des chérubins, voit je ne sais quoi de merveilleux; il s'étonne, il se pâme, il tombe sur sa face (2). Mais ce qui doit nous jeter dans l'étonnement aux approches de notre Dieu, c'est qu'il vient à un néant, et à un néant qui lui est opposé par le péché. Aussi saint Pierre, pénétré de cette vue, dit-il à Jésus-Christ : « Reti>> rez-vous de moi; car je suis un pécheur (3) ». Et le Centenier: «< Seigneur, je ne suis pas digne : une parole, une parole de votre part (4) ».

>>

Où sont ces téméraires, qui n'ont point de honte de faire entrer Jésus-Christ dans une bouche sacrilége. Vous les voyez qui traitent avec Dieu, soit dans le secret de leur coeur, soit qu'ils reçoivent la viande sacrée, sans tremblement et sans crainte. Ce sont des profanes, qui ne méritent pas d'être au nombre des fidèles, et qui veulent goûter le pain des anges, le pain des saints. Mais vous, ames saintes et tremblantes, venez et goûtez que le Seigneur est doux, venez dans un profond abaissement; et saisies d'admiration, vous devez dire: « D'où me vient a » bonheur »? car vous ne sauriez, sans l'aveuglement le plus déplorable, vous persuader que vous l'avez mérité. Et pour peu que vous vous rendiez

(1) Jer. xxIII. 9. (2) Ezech. 11. 1. — (3) Luc. v. 8.- (4) Matth VIII, 8.

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justice, combien n'êtes-vous pas forcées de vous en reconnoître indignes?

En effet, si je pouvois pénétrer le secret des cœurs de ceux qui composent cet auditoire, que d'orgueil secret sous l'apparence d'humilité, que de jalousie sous des complimens d'amitié et de complaisance! Voyons même les ames les plus parfaites : il ne m'appartient pas de les sonder; mais qu'elles parlent elles-mêmes: elles avoueront qu'elles ont toujours en elles la racine du péché, dont il faut arracher jusqu'à la moindre fibre qui s'oppose à la grâce; grâce qui nous prévient toujours, et qui ne trouve rien en nous qui l'attire, que notre extrême misère.

Il n'y a en l'ame que misère; misère en son origine, misère dans toute la suite de la vie; misère profonde, misère extrême: mais la misère est l'objet et le but de la miséricorde. Dieu veut une misère toute pure, pour faire voir une miséricorde entière. Ce n'est pas qu'il n'y ait un vrai mérite dans les justes; et c'est une erreur intolérable, dans les hérétiques de ce temps, d'avoir osé avancer que la grâce ne servoit que d'un voile pour couvrir l'iniquité. Les misérables, ils n'ont jamais goûté ses attraits: je ne m'en étonne pas; ce n'est pas elle qui les meut et les conduit; ils n'agissent que par hypocrisie et par passion.

Mais quoiqu'il y ait des mérites dans les justes, la grâce n'en est pas moins grâce; parce que leurs mérites sont le fruit de son opération dans leurs cœurs. La grâce tire son nom de son origine: semblable à ces grandes rivières, qui pour se répandre en différens ruisseaux, ne perdent point leur nom. La grâce

prévient les justes pour les faire mériter; mais elle récompense après, par justice, le mérite qu'elle leur a fait acquérir. C'est une grâce qui nous défend, c'est une grâce qui nous prévient : elle nous justifie par miséricorde, et nous récompense par justice, comme les paroles de saint Paul nous l'attestent : « J'attends, dit-il (1), la couronne de justice que » Dieu, comme juste juge, me rendra ». Mais, dit saint Augustin (2), Dieu ne seroit pas juste juge, s'il n'avoit été auparavant un père miséricordieux.

Voilà, mes chères Filles, le fondement de votre abaissement devant Dieu. S'il vous a retirées du monde, Unde hoc? Si vous avez eu des tentations durant votre noviciat, et que vous les ayez surmontées, Unde hoc? Si dans la suite vous vous êtes élevées au-dessus des dégoûts et des difficultés de la vie spirituelle, Unde hoc? S'il a plu à Dieu de vous gratifier de quelque grâce extraordinaire, Unde hoc?

Mais disons, en passant, que c'est par Marie que la grâce nous est distribuée, pour combattre l'opinion de ceux qui nous blâment d'honorer la Vierge comme mère de Dieu. Ils voudroient établir une secrète jalousie entre Dieu et la créature, à cause de l'honneur que nous rendons aux saints. Gens peu versés dans l'Ecriture, esprits grossiers et pesans dans leur prétendue subtilité; qu'ils écoutent sainte Elisabeth. Elle ne dit pas : D'où me vient ce bonheur que mon Seigneur vienne à moi; mais, que la Mère de mon Seigneur vienne à moi? « Sitôt, dit» elle (3), que la voix de votre salutation est venue

(1) II. Tim. IV. 8. (2) De Grat. et lib. Arbit. n. 14, tom. x, col. 725.- (3) Luc. 1. 44.

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