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DES CYCLES ÉPIQues de l'orient et du moyen age.

Les Chinois n'ont pu s'élever jusqu'à l'épopée. Leur caractère raisonneur et prosaïque paraît déjà dans leur plus ancien livre, dans le Chou-King, qui rapporte les paroles et les décrets mémorables des premiers souverains de la Chine, sages et pacifiques personnages qui n'ont rien d'héroïque. Ce livre très-philosophique et d'une morale très-pure n'a pas d'analogie avec l'épopée héroïque, qui a brillé en Grèce d'un si vif éclat. Mais si les Chinois n'ont point d'épopée, ils ont en revanche une foule de romans où sont dépeints avec finesse les caractères et les relations de la vie ordinaire.

De quelque côté que l'on envisage la littérature indienne, elle présente le caractère de l'infini, et la plus longue vie ne suf firait pas à lire ses principaux poëmes. Les plus anciens et les plus célèbres sont le Mahabharata et le Ramayana, composés environ 18 siècles avant J.-C. Le Mahabharata, attribué à Vyasa, ne contient pas moins de 250,000 vers de 16 syllabes. On le lisait autrefois en présence de plusieurs milliers d'auditeurs, et cette lecture durait quatre mois de l'année. Ce poëme n'a pas encore été imprimé en entier, pas plus que le Ramayana, attribué à Valmiki, et court en comparaison du Mahabharata, car il ne contient que 50,000 vers.

Le Mahabharata embrasse tout le cercle de la mythologie indienne; il célèbre ces dieux incarnés, dont la nature vague flotte entre l'humanité et la divinité, et les luttes grandioses et fantastiques des héros et des géants. Il serait ridicule de chercher l'unité d'action dans ce poëme, composé de longs épisodes où sont racontées les incarnations des dieux et les pénitences ascétiques qui donnent la puissance sur les éléments, et de digressions non moins longues où le poëte expose des doctrines morales et métaphysiques. La véritable unité de ce poëme, ainsi que de toutes les productions primitives de la

Muse indienne, c'est l'esprit profondément poétique qui le pénètre, esprit si naturel à cette époque et surtout chez ce peuple, que l'on peut dire qu'il aurait été incapable de comprendre la prose ou de s'exprimer d'une manière prosaïque.

Le Ramayana célèbre les exploits et les amours de Rama, incarnation du dieu Vischnou, qui descend sur la terre pour combattre les géants Ravana et ses frères. Encore enfant, Rama délivre le sage Viswamitra des mauvais génies qui troublaient ses prières. Le sage, pour le récompenser, lui donne le pouvoir sur les éléments et sur les armées célestes. Rama aime Sita, et cherche à l'obtenir par les exploits les plus héroïques. Mais le géant Ravana, son rival, enlève Sita et l'enferme dans le fort de Lanka. Rama, aidé par une armée de singes (ce sont probablement des hommes de race noire), défait et tue Ravana après de terribles batailles sous les murs de Lanka.

On a tiré du Ramayana un drame qui se joue à Bénarès, au commencement de chaque année, et qui dure dix jours.

Un épisode du Mahabharata a fourni au poëte Kalidasa le beau drame de Sacontala qui, de nos jours, a été traduit dans toutes les langues européennes. Kalidasa, à qui l'on doit aussi un poëme, le Ragavansa ou les Enfants du soleil, vivait dans le Ier siècle de notre ère, à la cour de Bicker-Madjid, rajah d'Oudjaïn, qui avait rassemblé autour de lui neuf poëtes, désignés sous le nom des neuf perles, dont la plus brillante était sans contredit Kalidasa. Valmiki, Vyasa et Kalidasa furent les trois plus grands poëtes indiens, témoin une jolie épigramme composée en hindoustan moderne, qui dit que <la poésie fut la fille joyeuse de Valmiki, et qu'ayant été élevée par Vyasa, elle choisit Kalidasa pour époux.

Les fictions qui servent de base au Mahabharata et au Ramayana, sont d'une haute antiquité, puisqu'on les trouve en grande partie représentées et sculptées sur des rochers, sur des monuments du monde primitif. Ces fictions, conservées par les monuments et la tradition populaire, furent chantées

par des poëtes dont Valmiki et Vyasa ne furent sans doute que les principaux. Le Mahabharata et le Ramayana leur furent attribués, comme les épopées du cycle Troyen à Homère, et Kalidasa qui, dit-on, réunit et mit en ordre les deux grandes épopées indiennes, fit pour ces chants ce que Solon, les Pisistratides et Zénodote avaient fait pour les poëmes homériques.

Des épopées indiennes plus récentes, les Pouranas ou poëmes du passé, complétèrent le cycle de cette mythologie. Ce sont des récits, déjà plus prosaïques, de tous les événements qui forment le cercle mythique d'un dieu, et qui s'étendent depuis la création des dieux et du monde, jusqu'aux premières généalogies des héros et des princes.

Le Shah Nameh, ou livre des rois, composé au XIe siècle après J.-C. par Ferdousi, le poëte céleste, retrace avec une grande richesse d'imagination, la période mythologique et héroïque de l'histoire persane. Le règne glorieux de Dschemschid, que le poëte persan représente comme un reflet de la divinité sur la terre, est l'âge d'or de l'ancien empire des Perses et de tout le monde asiatique. Mais ce prince, d'abord soleil de justice, finit par s'abandonner à l'orgueil, et alors commence la lutte entre Iran et Turan, le pays des lumières et celui des ténèbres, centre autour duquel gravitent toutes les fictions persanes. Le magnifique Féridun défait le méchant Zohac, mais il est vaincu par Afrasiab, et une nuit épaisse couvre l'Empire. Roustan, le sauveur de la Perse, chasse le féroce souverain qui, après de longues aventures, est vaincu par le roi Chosroès, premier fondateur historique de la puissance persane. Partout, dans ce poëme, on trouve exprimé comme tradition héroïque le dualisme religieux des anciens Persans, la lutte entre le bien et le mal, la lumière et les ténèbres.

C'est dans les poëmes scandinaves qu'il faut chercher, selon F. Schlegel, l'origine de la poésie des peuples germaniques. Ces poëmes furent composés en différents lieux et à différentes époques par les scaldes, qui les chantaient, comme les anciens

chanteurs grecs, devant les princes, dans les assemblées populaires et dans les grandes fêtes. Quelques-uns remontent pour la forme jusqu'au VIIIe siècle, et pour l'idée qu'ils représentent, jusqu'à l'époque de l'émigration des peuples d'Asie dans le Nord 1. Au XIe siècle, en Islande, tandis que les prêtres prêchaient l'Évangile dans les églises, l'histoire des anciens dieux, de Thor, d'Odin, etc., occupait encore l'imagination du peuple. Sæmund, prêtre lui-même, se fit redire par les vieillards les traditions et le culte d'un autre temps; il recueillit les vers des scaldes, les épopées païennes conservées par la parole. Sœmund acheva paisiblement son œuvre, mais son caractère de prêtre lui défendait de la publier. Son recueil, auquel on donna le nom d'Edda 2, resta près de cinq siècles ignoré en Islande. En 1639, Brynhiolf Svendsen, êvêque de Skalholt, découvrit un manuscrit qui contenait les principaux chants de l'Edda. En 1787 parut le 1er volume de la grande édition de Magnussen 3.

Les poëmes de l'Edda se divisent en deux parties : les poëmes mythologiques et les poëmes historiques. Les premiers renferment la théogonie et la cosmogonie des Scandinaves; les seconds se rattachent au cycle populaire répété dans le Kæmpeviser et dans les Nibelungen.

La Voluspa commence le cycle cosmogonique des Scandinaves. Elle est complétée par les chants de Vafthrudner, de Grimner et d'Alvis, où les poëtes n'ont fait qu'encadrer dans une nouvelle fable les mêmes dogmes cosmogoniques. Dans le second, Odin, sous le nom de Grimner, dépeint à Geirrod les planètes, la demeure céleste, le Valhalla. Il lui raconte la création du monde et les actions des dieux. A côté de cet enseignement religieux, il faut placer les leçons de morale et de prudence du Havamal, livre des Proverbes de cette Bible scandinave, dont la Voluspa est la Genèse. Puis viennent les

1 V. Marmier, Lettres sur l'Islande.

* Ce mot signifie aïeule. Peut-être aussi vient-il d'Odda, où vivait Sœmund. 3 Edda Sæmundar hinns Feoda. In-4°.

poëmes symboliques, récits des voyages de Thor et d'Odin, et de leurs luttes contre les géants. Tous ces chants, qui nous apparaissent au premier abord comme des romans fantastiques, étaient sans doute, comine les voyages d'Isis chez les Égyptiens et les travaux d'Hercule chez les Grecs, autant de mystères religieux et astronomiques.

La seconde partie de l'Edda renferme les traditions du Nord, l'histoire de Volsung, le Dédale scandinave, puis l'épopée de Sigurd, qui provient de la même tradition que l'épopée germanique de Sigfrid, et représente la même idée de valeur impétueuse et de cruelle vengeance. Tous les principaux caractères se retrouvent identiquement dans les deux poëmes, toutes les scènes les plus saillantes y sont répétées. Il est probable que cette tradition remonte jusqu'à l'Asie. Les tribus voyageuses l'apportèrent avec elles en émigrant dans le Nord; elle se répandit à travers l'Allemagne et la Scandinavie, en se nuançant çà et là de diverses couleurs. Peut-être aussi les scaldes scandinaves l'ont-ils empruntée à l'Allemagne, comme au XV siècle les poëtes islandais transportèrent dans leur langue les poëmes de Charlemagne et ceux de la Table-Ronde, la chronique merveilleuse de Fortunatus et celle de l'empereur Octavien. L'épopée des Nibelungen fut écrite d'après d'anciennes poésies dont on n'a pas retrouvé de traces. Telle que nous la connaissons, elle date du XIIe siècle. L'épopée scandinave est beaucoup plus ancienne. Elle est aussi plus rude et plus sombre. On n'y remarque pas, comme dans les Nibelungen, un certain art de composition.

La seconde Edda, ou Edda prosaïque, date du XIIIe siècle. On l'attribue au célèbre Snorri Sturleson, qui fut chef de la république islandaise et grand historien 2.

Elle se divise en deux parties: 1° les Doemi-saeger, exposé

1 Finn Magnussen, de ældre Edda. Indledning. - Grimm, Heldensagen. - Müller, Saga Bibliothek.

2

wége.

Aug. Thierry estime beaucoup son Heimskringla ou Chronique des rois de Nor

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