Page images
PDF
EPUB

A cette heure embaumée où la rosée en pleurs
Voit reverdir les champs et se rouvrir les fleurs

Sans ranimer ce fils ni consoler sa mère.

Pour qui souffre, quel charme a donc la coupe amère ?
C'était l'heure où la mort, inflexible, arriva;
C'est l'heure où vers son fils la pauvre mère va.
De ce plaisir poignant rien ne peut la distraire.
On mettrait en péril, à s'y montrer contraire,
Ses jours, ou sa raison, plus chère que ses jours.
Quelques pleurs, a-t-on dit, pourraient être un secours ;
Car la source de pleurs dans notre sein cachée
Quelquefois surabonde et veut être épanchée.
Le flot tenu captif tourmente sa prison,
Baume s'il peut couler, s'il est stagnant poison.
Volupté (1) du chagrin, pleurer a quelque charme ;
Mais regarder sa plaie avec un œil sans larme
Est le propre souvent des suprêmes douleurs.
Il semble alors qu'on sente à deux fois ses malheurs,
Et que sur l'affligé s'acharne la nature.

Cette mère est en proie à pareille torture.
Elle vient, elle vient s'agenouiller là; mais
Elle gémit toujours et ne pleure jamais.
Quel Moïse nouveau fera jaillir cette onde?

Millevoye est ému; sa surprise est profonde.
Quand la liseuse au bois paraissait un moment,
Si pour tes nobles vers un doux assentiment
Te semblait reflété sur son triste visage,

Ce n'était pas du moins, poète, un vain présage.
Maintenant tu peux voir, en dépit du moqueur,
Que, sinon dans sa main, ton livre est dans son cœur,
Et que sous le taillis, quand sa robe y frissonne,
C'est l'Amour maternel qui se montre en personne.

(1).

Est quædam flere voluptas.

(OVID, Trist., IV, 3, 37.)

[ocr errors]

Millevoye est ailleurs. Un céleste rayon
L'illumine; il s'écarte, il saisit un crayon ;
Sous le Dieu qui l'étreint, poète, il improvise
L'effusion d'un cœur, une simple devise.
Puis, cherchant le mystère et devançant le jour,
Il porte son message au funèbre séjour,

Et se signe en quittant le petit mausolée.

La mère vient, voit, prend, et lit, déjà troudlée :

J'AIME LES FLEURS QU'ICI TU JETTES PAR MONCEAU. QUE POURTANT DE TES YEUX QUELQUE ROSÉE Y TOMBE, JE CONNAÎTRAI MA MÈRE a ses pleurs SUR MA TOMBE, COMME A SON LAIT SUR MON BERCEAU.

J'écris ces vers d'après quelque douteux copiste.
Jamais nul éditeur n'en a trouvé la piste.

Toutefois elle a lu: le poète est vainqueur.

Elle étreint le billet, et le met sur son cœur.
Un doux tressaillement vient détendre ses fibres;
Elle frémit, sanglote... et ses larmes sont libres !
Et le premier tribut de leur épauchement
Arrose enfin les fleurs sur le cher monument.

La crise était venue; elle fut salutaire.
On en chercha l'auteur; l'auteur voulut se taire.
Poète, avec amour, il cultive son art;

De ses profits la gloire est la plus belle part.
Mais aux jeux de l'esprit tout écrivain austère

Sait joindre pour le cœur un plus saint ministère :

Il a vu de beaux yeux pleurer sur son quatrain,

Vu s'amollir un cœur qui s'était fait d'airain;

Il a pu raviver une raison mourante:

Ce suffrage est plus doux que celui des Quarante.
Le vers, parfum, rayon, manne, rosée ou miel,

Est gratuit, et n'attend, comme ces dons du ciel,
Ni main qui verse l'or, ni voix qui remercie.
Plus on le met à prix, plus on le déprécie.
D'un service rendu l'intime sentiment

Vaut mieux que le salaire ou l'applaudissement.
Messagère de Dieu, la Muse inspiratrice

Permet que d'un lecteur, ou mieux ! d'une lectrice,
Il ait, beau privilége! adouci les revers:
C'est assez; il bénit LA PUISSANCE DES VERS.

V

LA MAIN DROITE ET LA MAIN GAUCHE

APOLOGUE

A MONSIEUR A. ANQUETIL

INSPECTEUR D'ACADÉMIE

SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES MORALES DE SEINE-ET-OISE,

Un homme au bout de ses deux bras
Avait deux mains bien conformées,
Ouvertes sans effort, facilement fermées,
Et manoeuvrant sans embarras.
C'étaient deux bonnes ouvrières,

S'entr'aidant au travail, jointes pour les prières,
Aimant à se frotter dans leur contentement,
Paume à paume, d'accord pour l'applaudissement.
Jamais ne vit-on de jumelles

S'aimer et s'entendre comme elles.

Voilà pourtant qu'un beau matin

Un débat sérieux s'engage,

Par signes, car les mains n'ont pas d'autre langage :
La Gauche maudit son destin !

Pour la Droite, sa sœur, il n'est que privilége.
Elle a tous les honneurs, elle a tous les emplois ;
Quand la Gauche intervient, simplement elle allége
L'œuvre de sa rivale, et reste sous ses lois.
La Droite est sans cesse occupée :

Elle porte le sceptre, elle brandit l'épée.
La Droite, en toute fonction,

Soit qu'on veuille attaquer, soit qu'il faille défendre,
Qu'on ait à donner comme à prendre,

Est la première en action;

Et moi, Gauche infime et précaire,

Auprès d'elle je joue un rôle de vicaire,

Et je prends peu de part à tout ce qu'on lui rend.

Si la Droite répond, gare le différend!

Quoi ? deux sœurs ! qu'à la fin l'homme soit juge entre elles.
Elles font voir déjà leurs ongles inhumains;

Les mains vont en venir aux mains.

Vous, main gauche, dit l'homme, abjurez vos querelles.

Dès le sein maternel, m'amie, écoutez bien,⚫

Vous avez contracté, c'est lu dans mon histoire,
Votre débilité notoire (1).

Que voulez-vous ? Je n'y peux rien !

Vous nommez désaccord ce qui n'est qu'harmonie.
Sur le piano j'en trouve un emblême charmant :
La Droite y fait le chant de quelque beau génie,

(1) Une longue étude faite par M. Achille Comte a eu pour résultat d'établir que l'activité moindre de l'épaule, du bras et du côté gauches, au moment de la naissance, est l'effet de la compression que ces parties du fœtus humain éprouvent dans le sein maternel pendant les cinq premiers mois qui précédent cette naissance. (Voir M. ACH. COMTE, Traité complet d'Hist. nat., t. II, p. 52.)

La Gauche l'accompagnement.

Quand vous me secondez selon votre aptitude,
Grâce à vous, je me sens doublé ;

Si vous prenez des forts les droits et l'attitude,
L'ordre social est troublé.

Ceux chez qui la main gauche a pris le premier rôle,
Moins nombreux (1), sont gênants; je ne sais quoi de drôle,
De bizarre à notre œil est dans leurs mouvements;

Si bien qu'on y pourvoit dès l'enfance on l'exerce
A préférer sa Droite, afin que son commerce,
Quand elle aura grandi, garde ses agréments (2).
En l'honneur de la Droite, on dit d'un homme habile
Qu'il a quelque dextérité;

Sinistre (3) est l'autre main, et tout esprit débile
Pour sa gaucherie est cité.

Pour moi, je veux que rien ne me singularise
Si je puis : né droitier, droitier je reste encor;
Je suis la loi commune et m'en fais un décor.
Ce n'est pas toutefois, Gauche, qu'on vous méprise.
Vous dit-on nul office ou noble ou fatigant

N'est fait pour vous; restez dans les sphères du vague,
Et n'ôtez jamais votre gant

Que pour étaler quelque bague?

Non! quand votre concours à l'homme est retranché,
L'homme est bien incomplet, l'homme est bien empêché.

Homme, et toi, Femme aussi, c'est à vous que je rêve.
Egaux, mais différents, mais l'un à l'autre dus,

(1) Les recherches de M. Ach. Comte lui ont prouvé que sur 19,379 naissances il se trouve 17,226 droitiers et seulement 2,153 gauchers.

(2) Il résulte des faits énoncés dans les notes qui précèdent que si, pour les besoins de la société, l'éducation pousse les enfants à se servir plus souvent du bras droit, c'est que cette préférence est indiquée à l'éducation par la nature elle-même et n'a rien d'arbitraire.

(3) Sinistra est un des noms latins de la main gauche.

« PreviousContinue »