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« Cité ceux qu'à revoir vous aspiriez le moins. »>
Alors on vit paraître une foule éplorée
D'animaux mutilés, de veuves, d'orphelins,
Débris ensanglantés d'une affreuse curée.
La foudre, en éclatant sur nos bons pèlerins,
Leur eût causé moins d'épouvante.

« Grâce, grâce, écoutez notre voix pénitente, »
Bégayaient-ils avec frayeur.

« Mes amis, dit le roi, d'un ton froid et railleur, « Une étoile malencontreuse

« Me fit, vous le savez, l'oreille paresseuse.

« Je ne vous entends point; mais voyez-vous là-bas

« Ces gardiens de nos lois, ces graves magistrats,

<< Qui, la trompe immobile, ont l'air de vous attendre ?
« Abordez-les sans crainte; ils sont prompts à comprendre,
« Et si votre roi n'entend pas,

« Ses fidèles vizirs sauront bien vous entendre. »
Ainsi, quoique marchant d'un pas tardif et lourd,
Le châtiment de loin veillait sur les coupables,
Et l'on put se convaincre à leurs cris lamentables
Qu'il se faut défier de l'oreille d'un sourd.

LES DEUX CHEVAUX DE COURSE

APOLOGUE

Par M. NOEL, Membre titulairc.

"Maudite la mesure et maudite la rime!

<< Depuis ce matin je m'escrime

« Pour tourner ma pensée en vers;
« Comme un vrai forçat je travaille,

« Et de ma cervelle à l'envers
« Je ne puis tirer rien qui vaille !

« Je voudrais que la fièvre prît
«Le premier qui dans ces entraves
<< Emprisonna, pauvres esclaves,
« Tous les élans de son esprit.

<< Mon Dieu ! l'abominable chose,

« De s'astreindre à versifier

« Ce qu'on pourrait simplifier

« Et mettre bonnement en prose! >>

Je pestais ainsi furieux

Autant qu'un rimeur le peut être,
Quand un soleil clair et joyeux
Étincela sur ma fenêtre,

Et, quittant papiers et bureau,

Je pris ma canne et mon chapeau

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Aiguillonner avec des paris clandestins
La cupidité dans les âmes,

Et développer chez les femmes,
Outre bien d'autres goûts malsains,
L'amour effréné des toilettes,
Du Champagne et des cigarettes,
Jusqu'à présent voilà les fruits

Que chez nous le Turf a produits.

J'étais là, je restai toutefois, et la chance
M'avait conduit près de deux chevaux bais
Qui causaient avec leurs jockeys,

Et j'entendis la confidence

Que je vous rapporte en substance:

« Délivre-moi du frein, disait l'un, ou du moins
« Que ta main plus légère, en me rendant la bride,

« Me livre aujourd'hui pour tout guide

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et ne prends d'autres soins. »>

L'autre au contraire : « En toi, maître, j'ai confiance; «Esclave de ton bras nerveux,

«Ma force maîtrisée, à cette résistance

« Opposant des efforts constants et vigoureux,

« Pourra d'un prix commun nous donner l'espérance. »

Qu'arriva-t-il? Celui qui de sa liberté
Comptait faire un brillant usage,

En bonds impétueux dans l'abord emporté,
Mollit bientôt... et, perdant le courage,
Au dernier rang se trouva réjeté ;
Pendant que son rival, sur le mors qui l'arrête
Forçant de toute son ardeur,

Arrive au but, premier d'une longueur de tête,
Et les mains et les cris le proclament vainqueur.

Je rentrai tout pensif, méditant sur l'épreuve,
Et je rendis grâce au hasard,

Qui me fournissait une preuve

A l'appui des règles de l'art.

Je vis qu'à la pensée une entrave était bonne,
Que l'esprit vagabond ne profite à personne ;
Et courageusement penché sur mon labeur,

« Il faut, disais-je, en vain la paresse le nie,

« Pour qu'ils puissent tous deux déployer leur vigueur, «Et le frein au cheval, et l'obstacle au génie. »

LA RECHERCHE DU BONHEUR

Par M. COURTEVILLE, Membre titulaire.

J'ai fait, la nuit dernière, un rêve assez étrange
Et dont les souvenirs me sont si bien présents
Que je me crois toujours sur les rives du Gange,
Sous le ciel des palmiers aux sommets imposants.

Dans les jungles touffus, les tigres à l'œil fauve,
L'éléphant gigantesque et son cornac bronzé
Côtoient à chaque pas le lama qui se sauve,
Et le boa rampant près du singe rusé.

Je vois dans la pagode, asile du mystère,

Les prêtres de Brahma dans leurs vêtements blancs,

Et les livres sacrés, gardiens de la prière,

Et les dons généreux du monde des croyants.

Voici la bayadère et ses poses lascives,

Le vieux bonze extatique aux yeux clos à demi,
Et la pâle odalisque au milieu des captives,
Jetant vers l'Occident un regard endormi.

Mais la nuit parfumée arrive et tend ses voiles,
La nuit faite de chants, d'ivresses et d'amour,
La nuit qui pour veilleuse a ses milliers d'étoiles,
Et sa lampe d'argent pour attendre le jour.

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