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« cette injustice des hommes, même sans le cortége de « la guerre, voilà ce qu'un homme ne peut pas ne pas « déplorer. Voilà d'étranges misères, et celui qui ne les «sent pas a perdu tout sentiment humain. » (XIX, 7.)

Et ces misères, il se trouve des hommes pour s'en réjouir, il s'en trouve d'autres pour célébrer les premiers. « Salluste fait à César un mérite de désirer la guerre. « C'était le vœu des plus grands hommes que Bellone, « armée de son fouet sanglant, excitât de malheureuses << nations à prendre les armes afin d'avoir une occasion « de faire briller leurs talents. Et voilà les effets de cette << ardeur avide pour les louanges et de ce grand amour « de la gloire. » (v, 12.)

<< A quoi bon m'alléguer ces beaux noms de gloire et << de triomphe? Il faut écarter ces vains préjugés, il faut « regarder, peser, juger ces actions en elles-mêmes... Il << faut avouer que cette passion de dominer cause d'étran«ges désordres parmi les hommes. Ecartons donc ces dé«<guisements artificieux et ces fausses couleurs, afin de « pouvoir juger nettement les choses. Que personne ne « me dise celui-là est un vaillant homme! car il s'est « battu contre un tel et l'a vaincu. Les gladiateurs com<«< battent aussi et triomphent, et leur cruauté trouve des << applaudissements. Mais j'estime qu'il vaut mieux être « taxé de lâcheté que de mériter de pareilles récom<< penses.

« Cependant si dans ces combats de gladiateurs l'on « voyait descendre dans l'arène le père contre le fils, qui <«< pourrait souffrir un tel spectacle, qui n'en aurait << horreur?...

« Au lieu de l'arène, c'était un vaste champ, où on ne << voyait pas deux gladiateurs, mais des armées entières, « joncher la terre de leurs corps. Le combat n'était pas

« renfermé dans un amphithéâtre, mais il avait pour « spectateurs l'univers entier et tous ceux qui, dans la « suite des temps, devaient entendre parler de ce spec«<tacle impie. » — (II, 14.)

Ne croyez pas que ces paroles soient une pure déclamation et que l'auteur ne fasse point la part des nécessités humaines. S'il maudit la guerre comme homme et comme chrétien, conseille-t-il aux peuples de se laisser écraser par ceux qui la déclarent? Non, sans doute, et malgré son horreur pour le sang versé, il ne dénie point aux états le droit de défense. La guerre est légitime quand un état l'entreprend pour son salut, c'est l'opinion de Cicéron (De Republica, III), et saint Augustin la soutient. La durée d'un état est son essence; les particuliers meurent, l'état doit durer, comme tombent les feuilles du laurier et de l'olivier, tandis que l'ombrage subsiste. (XXII, 6.)

Mais le saint docteur d'Hippone regarderait comme un blasphème la doctrine qui fait remonter jusqu'à Dieu, pour le sanctifier, l'horrible fléau de la guerre. C'est outrager la divinité que de prétendre qu'elle a fait une loi du carnage entre les hommes. « Les guerres éclatent « par la permission de la Providence divine qui a « coutume de châtier les méchants pour les amender « et qui se plaît mème quelquefois à exercer par ces << sortes d'afflictions la patience des gens de bien. » — (1, 1.) Mais c'est à l'exemple impie des divinités du paganisme, dont les sectateurs imitaient les fureurs détestables, que saint Augustin attribue les guerres qui ont ravagé le monde. - (II, 25.)

« C'est véritablement outrager Dieu que de prétendre « que l'établissement du christianisme a contribué à «< perpétuer les guerres. Il ne faut pour réfuter ce so

«phisme que considérer combien de guerres ont eu lieu << avant la venue de Jésus-Christ. » — (v, 22.) « Dans « leurs guerres cruelles, les hommes offraient pour ainsi << dire aux démons des jeux sanglants, et enrichissaient « en quelque sorte les enfers de dépouilles opimes. >> (III, 28.)

Tels sont, Messieurs, les divers passages de la Cité de Dieu dans lesquels saint Augustin parle de la guerre ; telle est la sévérité avec laquelle il juge les héros et les conquérants. Est-il besoin de vous dire qu'à mon avis, la doctrine du Père de l'Eglise latine me semble plus conforme à la saine morale et au véritable esprit du Nouveau-Testament que celle du philosophe implacable qui donne une interprétation terrible à l'expression biblique le Dieu des armées?

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Le monde fut créé : de quoi? Profond abîme!
Dieu garde son secret. Depuis l'œuvre sublime,
Rien n'est venu de rien, rien ne retourne à rien.
Tout mort laisse aux vivants quelque chose du sien.
Né d'un regard du Ciel descendu sur la terre,
L'homme tient de tous deux un double caractère ;
Il est, de sa nature, une combinaison :

Matière avec esprit, folie avec raison.

Cet hymen, c'est la vie ; et quand il faut qu'on meure,
L'esprit remonte au ciel, sa première demeure,

Vers l'éternel séjour de son l'ère éternel;

La matière, nos corps, dans le sein maternel,

Mélange terraqué, va lentement résoudre

En vapeur notre lymphe, et notre chair en poudre.

Ce travail, sous la tombe, à nos yeux est caché.

Pieux, le survivant, sur des restes penché,
Pleure, mais se souvient; et son cœur aime à croire
Qu'il garde encor l'ami dont il garde mémoire.

Nous, chrétiens, sur les morts tel va notre souci.
Ceux dont l'œil par la foi n'était point éclairci,
Les païens, avant nous, suivaient mêmes croyances.
Dien leur avait donné ces douces clairvoyances.
Toutefois c'était peu pour ces cœurs attendris,
C'était peu quand les corps de tant d'êtres chéris,
Gardés dans le sépulcre et sous la terre sainte,
Dormaient, tous protégés par la commune enceinte ;
Ils voulaient, plus près d'eux, dans leurs propres séjours,
Y penser à toute heure, et les aimer toujours.
Ils savaient s'entourer d'ingénieux prestiges,
Aimant à recueillir ces joyaux, ces vestiges,
Ces souvenirs d'un mort, des vivants recherchés,
Et par qui nous touchons ceux qui les ont touchés.
Les lieux où séjournait la personne ravie,
Lieux témoins des vertus ornements de sa vie,
Lieux où sa voix si chère avait souvent parlé,
Où cet esprit si pur un jour fut exhalé,

Où sa vie et sa mort furent tout un exemple,
Etaient plus qu'un asile on en faisait un temple;
Et de ces morts chéris, les Lares du foyer,
On se faisait des dieux qu'on aimait à choyer.

Au fond de la demeure on dressait leur image;

Ils avaient leurs autels, on leur rendait hommage.
Près de ces souvenirs déjà multipliés,

Les vivants à leurs morts étaient encore liés :

Ils honoraient en eux les Mânes et les Ombres.

Les Mânes séjournaient aux Enfers, gouffres sombres.

De là, surtout la nuit, ils remontaient souvent,

Et, messagers de mort, visitaient un vivant.

Ou muets ou plaintifs, entourés de lumière,

Ils venaient, revêtus de leur forme première,

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