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Lui qu'on aurait pu voir insensible rocher,

Tout à coup jusqu'aux pleurs il se laissait toucher;
Contraste dans son livre inscrit sur maintes pages.
Il reçoit maintenant le messager des pages.
Grâce aux ardélions qui l'ont fait avertir,
Il a su le complot, mais non le repentir,
Et par des myrmidons troublé dans sa tanière,

Le lion réveillé « secouait sa crinière. »>

«Ma mère, disait-il, ne veut pas croire au mal.
« L'oubliez-vous, ma mère ? il est un animal,

« Un monstre affreux, caché dans le fleuve d'Egypte;
« Pour faire mieux tomber les mères dans sa crypte,
Il contrefait, menteur, la voix d'un jeune enfant
«Qui, tombé dans un gouffre, appelle et se défend.
« Défiez-vous! au lieu de l'enfant qui vous touche,
« Vous trouverez dans l'antre une bête farouche:
« Ce monstre insidieux, cause de tant d'effroi,
« Là-bas est crocodile, ici, page du roi.

« Vous comprenez, ma mère ? et Monsieur, qui m'écoute, “A demi-mot, lui-même, aura compris, sans doute.

« Vous n'êtes pas discret, beau page, et moi j'ai su,

"J'ai su tous vos espoirs; mais vous serez déçu. Insulter des vieillards! une mère !..... Et la vôtre? «Dans la joie insensée où votre âme se vautre,

"Y pensiez-vous, Monsieur? Non, vous n'y pensiez pas : "Un si cher souvenir eût arrêté vos pas.

« Vous manquez... Mais je vois que j'afflige ma mère. Pour elle, non pour vous, plus de parole amère; Allez, dit-il encor d'un accent affaibli,

"Pour tout pardon, Monsieur, je vous promets l'oubli.

« Allez en paix. »>

L'oubli, c'est le dédain, en somme.
Le page en lui sentait sourdre le gentilhomme.
Étonné d'un mépris qu'il n'a pas encouru,

Il s'est transfiguré : l'enfant a disparu ;

Le gentilhomme reste, et c'est lui qui réclame :

❝-Nous ressentons, Monsieur, jusqu'au fond de notre ame

« Les torts de mes amis et les miens envers vous.
« Faire amende honorable est un besoin pour nous.
« A vos succès d'hier devant votre auditoire

«S'est jointe, à votre insu, la plus noble victoire.
« D'un essaim d'étourdis les cerveaux à l'envers
« Sont remis à l'endroit rien qu'au bruit de vos vers.
«Sous les traits du roi Lear trahi par des infâmes,
« Vous êtes apparu, grave, devant nos âmes;

« Vous étiez la victime, et nous les fils méchants;

« Grâce à vous, éclairés sur nos mauvais penchants, « Nous avons vu l'houneur, et vu de la vieillesse

« Et la majesté sainte et la sainte faiblesse. «Avant cette leçon nous étions écoliers;

« Le roi Lear et vos vers nous ont faits chevaliers; «Et, fils des anciens preux du vieil honneur apôtres, « Vrais redresseurs de torts commençant par les nôtres, « Nous venons dire ici qu'un jour nous deviendrons « Parmi votre couronne un des plus beaux fleurons, « Car vous avez de nous, au sons de votre lyre, « Comme à Saül David, expulsé le délire;

« Et nous nous accusions, et nous osions rêver «Que nous courber ainsi serait nous relever, »

Or, pendant ce discours, que la grâce accentue,
Par degrés, chez Ducis, la colère s'est tue;
Sur son front qui, plus calme, est devenu plus beau,
On peut voir le lion redevenir agneau ;

Et madame Ducis applaudit, mère tendre ;
Et le fils et la mère, assurés de s'entendre,
Chacun dans leur monnaie accablent d'amitiés
Ce page que leur cœur divise en deux moitiés :
Lui, donne au gentilhomme une virile étreinte;
Elle, au front de l'enfant laisse sa lèvre empreinte,
Et dit, serrant sa main qu'elle emplit de bonbons :
«Que ces pages, mon Dieu, sont aimables et bons! »>

SÉANCE SOLENNELLE

DU VENDREDI 30 OCTOBRE 1863,

SOUS LA PRÉSIDENCE

De M. PLOIX, Maire de Versailles.

Discours de M PLOIX, Président d'honneur.

MESSIEURS,

L'absence regrettée du premier magistrat du département appelle à l'honneur de présider cette séance solennelle un de vos collègues que vous voyez à vos séances hebdomadaires bien plus souvent auditeur attentif, toujours disposé à s'instruire, qu'empressé lui-même à se faire entendre. Mais, du moins, il a cet avantage de pouvoir attester combien, cette année comme dans les précédentes, vous avez été fidèles à l'esprit qui a inspiré la création de votre Société.

Propager le goût des études, disaient ses fondateurs, telle est sa pensée; élever l'âme et seconder le jugement, telle sera sa loi.

Votre Societé est donc une protestation vivante contre les attaques véhémentes qu'a dirigées un philosophe célèbre du dernier siècle contre la culture des sciences et des lettres, attaques qui se résument dans ces mots, textuellement extraits d'un de ses discours: « Les hommes sont pervers, ils seraient pires encore s'ils avaient eu le malheur de naître savants. »

Non, Messieurs, si les Lettres et les Sciences ont le privilége incontesté d'agrandir l'horizon de l'esprit, et de décupler les forces physiques de l'homme, elles ne le rendent pas pour cela plus per

vers. Il peut en abuser, sans doute, comme il peut le faire de la force, de la beauté, de l'intelligence native, de tous les organes que lui a donnés le Créateur, mais il peut en user aussi pour la prudence, pour la sagesse, pour l'exercice de toutes ses vertus.

Sont-ils donc criminels ces savants ou ceux qui aspirent à l'être, qui souvent, au péril de leur vie, explorent les contrées les plus sauvages, pénètrent dans les secrets de la nature, bravent la foudre pour en préserver leurs semblables, ou s'élèvent dans les airs pour s'y frayer des routes nouvelles? Qu'une censure sévère trouve dans ces tentatives audacieuses l'ambition, l'orgueil, la soif de l'or ou de la renommée ces grandes expériences font éclater aussi de grandes qualités morales, le sang-froid, l'intrépidité, le dévouement; l'amour conjugal peut même y trouver sa place. Et si nous envisageons ces études auxquelles vous vous livrez plus spécialement, voiton que les leçons sévères de l'histoire, qui peuvent ne pas rendre toujours les peuples plus sages, les rendent au fond plus méchants? Le récit des erreurs de la justice n'enseigne-t-il pas à les éviter ? Parce que Cicéron fut un orateur immortel, en a-t-il moins laissé le plus beau traité de morale qu'ait tracé une main humaine? Et quelle vie fut plus pure que celle du grand Corneille ?

Serait-ce pour les femmes que l'on paraîtrait redouter les dangers moraux de l'étude ? Qui de vous n'a lu et relu Mme de Sévigné? Cette aimable marquise ne connaissait pas seulement les langues vivantes, elle avait étudié le latin avec le docte Ménage; cette science a-t-elle étouffé en elle cette tendresse maternelle qui anime et échauffe toutes ses lettres? Une femme non moins illustre et célèbre par les saillies de son esprit, Mme de Staël, a dû ses pages les plus touchantes à la défense d'une reine infortunée, et ses écrits les plus graves et les plus élevés sont consacrés à la mémoire de son père.

Mais pourquoi chercher si haut et si loin nos exemples? Depuis près de trente ans que cette Société a pris naissance, la mort lui a enlevé la plupart de ses initiateurs; quel est celui qui n'ait laissé parmi nous une mémoire honorée ? Leurs successeurs ont marché et marchent sur leurs traces: la Société a vu affluer dans ses rangs une jeunesse studieuse qui, avec la verve et l'ardeur de son âge, a porté dans la critique et les arts des aperçus nouveaux, fait des ré

cits de voyages où respirent tout à la fois l'esprit d'observation et le patriotisme, et jeté les fleurs de la poésie sur les études sérieuses de la législation, de l'histoire et de l'archéologie. Votre honorable secrétaire, perpétuel va tout à l'heure retracer le tableau de tous vos travaux de l'année; mais ce que, organe de la Société il ne pourra pas dire, et ce que, interprète de vos auditeurs, je dois ajouter pour lui, c'est l'intérêt qui s'est attaché à vos communications, la grâce et la fraîcheur de la plupart des poésies que vous avez entendues, les applaudissements difficilement réprimés qu'ont suscités souvent l'élévation du style, et l'expression de nobles sentiments. En persistant dans cette voie qu'ont ouverte vos devanciers, vous prouverez comme eux que l'étude n'est pas seulement un délassement agréable de l'esprit, mais qu'elle échauffe et inspire le cœur, et vous continuerez de bien mériter de la ville et du pays.

Discours de M. COUGNY, Président sortant.

Messieurs,

L'objet d'une Société telle que la vôtre est sérieux et grand. Tout le monde le comprend, le nombreux et brillant auditoire qui, chaque année, accourt avec tant d'empressement à votre invitation, le comprend comme vous-mêmes, et comme l'indique le titre que vous portez depuis trente ans, sans fléchir sous le fardeau qu'il vous impose. Les sciences morales! Mais ce mot embrasse l'activité de l'âme tout entière, dans ses plus imposantes manifestations, dans la philosophie qui en étudie la nature et les facultés, qui lui rappelle son devoir et lui marque son but; dans les lettres, dont le domaine n'a d'autres limites que celles de la pensée elle-même; dans les arts, expression presque aussi vivante, presque aussi variée de l'homme et de la nature. Car les arts vous appartiennent aussi, Messieurs, par la science du beau qui en contient les principes

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