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Prenant ingénûment ses toilettes au mot,
Tous vantent ses attraits en supputant sa dot.

Le doute est-il permis? Au luxe qu'elle affiche

Comment ne pas se dire: Elle est riche... oh! très riche ! En termes de contrat, c'est un brillant parti !

Et l'amour sans argent se tient pour averti.

Eh! quoi ? soudain l'idole a perdu son prestige!
Tous ces beaux poursuivants semblent pris de vertige :
Menteurs à leurs aveux, dédaignant sa beauté,

De la coquette enfant outrageant la fierté,

Sans pudeur, sans remords, sans souci du scandale,
Ils vont d'une autre dot explorer le dédale.
Est-elle donc déchue et, la rougeur au front,
Doit-elle ainsi subir un insolent affront?

Non! mais quand, de l'amour sérieux mandataire,
L'hymen s'est présenté sous le frac d'un notaire,
Il a fallu répondre au : Combien donnez-vous?
– Rien ! rien que sa beauté, qu'elle offre à son époux.
C'est beaucoup ! et l'Amour n'en veut pas davantage.
Mais il faut autre chose à Seigneur Mariage!

Les épouseurs alors s'envolent sans chagrin
Comme des moineaux francs à qui manque le grain.
Eh! vraiment sans vouloir (ce serait félonie)
Que l'hymen soit pour l'homme une Californie,
Il faut bien que la femme aux goûts dispendieux,
Pour solder ses marchands, ait plus que ses beaux yeux.
Des deux côtés enfin l'amour marche plus libre,
Quand au double budget règne un sage équilibre.

Elle est toujours charmante et peut attendre encor;
Confiante on la berce avec des rêves d'or;
Espoir délicieux dont son esprit se leurre,

Qui naft, meurt pour renaître et mourir à chaque heure.

Las! d'espoir en espoir les ans, suivant leur cours,
Ont chassé le printemps, puis l'été des amours ;
Et des fleurs de beauté, si vite épanouies,

Les suaves senteurs se sont évanouies :

Trésors venus du ciel, vers le ciel remontés;
Par le simoun des ans à jamais emportés !
Autour d'Ève vieillie horrible chevauchée!

La mort fait en courant sa funèbre fauchée ;
Père, mère, parents, tout descend au cercueil.
Pour l'aider à marcher dans cette nuit de deuil,
D'un époux dévoué lui manquent les tendresses,
D'un enfant adoré lui manquent les caresses.
Vieille fille bientôt, dans cet isolement
Sa vie hélas! n'est plus qu'un long déchirement!
Et, maudissant le jour où, faussant sa nature,
En elle on fit germer l'amour de la parure,
Par l'égoïsme affreux lentement consumé,
Son cœur cesse de battre avant d'avoir aimé !

Mais non ! elle a daigné, ne pouvant pas mieux faire,
Accepter un mari vivant de son salaire :
Peintre, graveur, commis, écrivain, professeur,
Que courbe sans relâche un incessant labeur;
Qui croit que sans regret coquetterie abdique
Quand la femme prend place au foyer domestique.
Dans son rêve d'amour, modeste en ses désirs
Il la vit, limitant sagement ses plaisirs,
S'imposant avec joie un dur apprentissage,
Avec ordre, avec soin diriger son ménage;
Et, belle de vertus et de simplicité,
Bénir, le cœur content, sa médiocrité !
Vain espoir ! le poison sucé dans son enfance
Dans son ménage encor la trouve sans défense.
L'ardent amour du luxe a gangrené son cœur;
De ses meilleurs vouloirs son orgueil est vainqueur!
La gêne est au logis, l'amour se décourage;

Le ciel tout bleu d'azur n'est plus qu'un ciel d'orage.
La discorde se glisse au chevet des époux,

Où déjà l'insomnie a pris ses rendez-vous;
Bientôt des créanciers l'exigeante cohorte

A chaque heure du jour vient assiéger la porte;
Pour sauver le présent on grève l'avenir.

Le mal grandit, grandit... et l'instant peut venir,
Où le mauvais esprit qui guette sa victime
La précipite enfin jusqu'au fond de l'abîme!

En pensant déroger, subissant un vouloir,
Siége-t-elle, à regret, dans un humble comptoir ?
Cette soif de briller, que la contrainte irrite,
De l'amoureux marchand entraîne la faillite.
Heureux dans son malheur si le pauvre mari,
Comme un banqueroutier voyant son nom flétri,
Désespéré, perdu, sans courage et sans guide,
A lui n'appelle point l'aveugle suicide!

Mais voilons ces tableaux, aux sombres dénoûments;
Sans eux, pour la coquette, il est des châtiments:
Le sarcasme railleur qui s'acharne après elle;
L'Envie au cœur jaloux, qui toujours la harcelle,
L'infâme Calomnie autour de la maison
Dans l'ombre distillant son infernal poison;
Aux hontes du crédit la servante mêlée,
Des créanciers pressants augmentant l'assemblée;
Avoir la joie au front mais au cœur les soucis ;
Mentir! et tout à coup, à des signes précis,
S'apercevoir, trop tard ! que le mal qu'on se donne
N'est qu'un grotesque effort qui ne trompe personne.

J'ai parlé bien longtemps, et cependant mes vers
Ont à peine effleuré ce funeste travers,

Fléau contagieux, marée envahissante
Qui monte chaque jour, terrible et menaçante;
Qui, lorsque devant elle on ne sait que ployer,
Bat en brèche l'amour et l'honneur du foyer.
Mais faut-il, après tout, misanthrope et morose,
Voir un hideux insecte au cœur de chaque rose !
Dans cette sombre nuit que fait la vanité

La raison fait encor jaillir quelque clarté.
En soit loué le Ciel ! Il est plus d'une mère
Qui garde dans son âme une tendresse austère ;
Dont l'amour n'est jamais aveuglé par l'orgueil;
Qui met tout son honneur à sauver de l'écueil
Ces frêles cœurs d'enfant, vivantes sensitives
Qu'un souffle peut priver de leurs vertus natives,
Mais qui, faites d'avance à la simplicité,

Seraient fortes un jour devant l'adversité.
Celle qui pense ainsi, modeste créature,
Est l'ange du foyer dont parle l'Écriture,

La Moitié de l'Epoux, qui, la main dans sa main,
De la vie avec lui gravit le dur chemin ;
Dont l'amour le relève aux jours des défaillances,
Et rend à son esprit ses premières vaillances;
Jusqu'à l'heure suprême où l'un des deux époux
A l'autre, dans le ciel, va donner rendez-vous!

ANECDOTES

TIRÉES

DU JOURNAL DE NARBONNE

Premier Commissaire de Police de Versailles.

PAR M. J.-A. LE ROI.

Ce qui fait le charme et l'attrait des mémoires historiques, c'est d'y voir les personnages comme ils sont le plus souvent dans la vie

ordinaire, avec leurs passions, leurs craintes, leurs espérances, posant, pour ainsi dire, devant nous, au milieu d'une société dont on saisit plus facilement les mœurs et les préjugés. Souvent ces mémoires ne sont qu'une longue apologie du personnage qui les a écrits, ainsi que nous le voyons dans la plupart de ceux de notre époque ; mais il en est d'autres où l'écrivain, s'effaçant complétement, se borne à raconter ce qu'il a vu, ce qu'il a entendu, tenant en quelque sorte un journal quotidien de tout ce qui se passe autour de lui, recueillant précieusement les anecdotes, les conversations, tous ces mille petits faits dédaignés par l'histoire, et faisant ainsi assister le lecteur à toutes les joies, les colères, les espérances diverses qui constituent la vie intime de chaque époque.

Deux publications, faites dans ces derniers temps, sont surtout intéressantes en ce qu'elles racontent toutes les nouvelles plus ou moins exactes de leur époque, et qu'écrites par des membres de cette classe moyenne, dont le rôle était alors si secondaire, les amères réflexions dont elles sont souvent accompagnées font sentir l'impatience du joug que cette classe subissait, et le rôle important qu'elle s'apprêtait à jouer. C'est le Journal de l'avocat Barbier et le Journal d'un bourgeois de Paris, de 1766 à 1798, publié par Didot. La Bibliothèque de la ville de Versailles possède une collection manuscrite d'un intêrêt peut-être plus grand que les deux publications dont je viens de parler, à cause de la position de son auteur, vivant à Versailles même, dans le séjour de la cour, et tout près, non-seulement des grands seigneurs, qu'il pouvait suivre pas à pas, pour ainsi dire, tous les jours, mais encore au milieu de leur entourage, de cette armée de valets de toute espèce qui encombrait alors notre ville, et où l'on pouvait facilement recueillir les renseignements les plus curieux sur la vie des maîtres; c'est la Collection et le Journal de Narbonne.

Narbonne fut le premier commissaire de la ville de Versailles. Venu fort jeune dans cette ville, du vivant de Louis XIV, il fut d'abord quelque temps huissier; puis il abandonna sa charge, pour entrer dans les bureaux du Domaine de Versailles. Blouin, premier valet de chambre du roi, était alors gouverneur de Versailles. C'était un homme de beaucoup de capacité, actif, et qui fit un bien

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