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sécration suprême de leur gloire : témoins le Code universel entrevu par Jules César, les Capitulaires de Charlemagne, les Établissements de Saint-Louis, les Édits de Charles Quint, les Ordonnances de Louis XIV, celles du grand Frédéric, les cinq Codes de Napoléon !

La trace d'une révolution se cache parfois dans la ligne du moindre texte quelle distance y a-t-il entre la Charte de 1814 et celle de 1830? La première était promulguée par concession, dit le préambule, et octroi de l'autorité Royale; la seconde supprime cette préface injurieuse pour la dignité de la nation, et, dans cette suppression d'une phrase, il n'y a pas seulement un changement de dynastie, il y a toute la différence qui sépare le dogme suranné de la légitimité et le principe de la souveraineté nationale.

Je m'arrête au seuil des temps modernes. Qu'il me soit permis toutefois de rendre cet hommage à notre époque, qu'elle n'a pas manqué à sa mission, et qu'un jour nos lois témoigneront devant la postérité que nous aussi nous avons apporté à l'œuvre du progrès le tribut de nos efforts. Sans doute l'industrie, les affaires, les intérêts pécuniaires, qu'on nous reproche souvent comme une sorte de matérialisme, y trouvent un immense développement, mais ce qu'il faut dire à l'honneur de notre génération, c'est qu'elle a réalisé par le Droit la tâche que tant de siècles que nous venons de parcourir avaient laissée ébauchée : l'abolition définitive de l'esclavage, le renversement de l'échafaud politique, présage de la suppression complète de la peine de mort, ce dernier terme des réformes demandées par l'humanité au Droit pénal. Sans doute le beau décret de 1848 a été momentanément effacé; mais qu'importe ? nous le savons, le progrès ne recule que pour mieux avancer. Nous avons vu disparaître la mutilation, la marque, l'exposition, les bagnes, la peine suprême est condamnée elle-même à une fin prochaine; ce n'est plus qu'une question de temps, question dont la solution progressive s'opérera avec l'adoucissement des mœurs et l'abaissement

ration où un meuble s'appelait une psyché; un collége, un lycée; un théâtre, l'odéon, et où le goût de l'antique régnait dans la langue comme l'école de David, dans l'art. De nos jours, au contraire, le pari s'est presque naturalisé avec le sport et les habitudes anglaises.

de la criminalité qui chaque jour diminue sous nos yeux, grâce à la vigilance de l'Administration et de la Justice.

Messieurs, je vous disais en commençant le Droit est l'expression la plus saisissante des sociétés humaines. Après cette longue revue que nous avons faite ensemble, nous pourrions renverser la proposition et dire : l'histoire du monde n'est en réalité que la plus haute expression du Droit. Propositions identiques, également vraies, également consolantes puisqu'elles nous montrent la réalisation de la notion du Droit comme la fin dernière de l'humanité icibas. Lorsqu'en effet cette humble maxime du légiste: Suum cuique aura reçu son exécution complète, lorsqu'elle se sera incarnée depuis la base jusqu'au sommet des empires, et qu'elle sera de venue une vérité universelle, le progrès humain sera à son terme, le livre de l'histoire sera fermé, les destinées du monde seront accomplies. Ce n'est pas sans doute à nous qu'il est réservé de contempler ces résultats lointains de la marche du Droit sur la terre; mais nous pouvons du moins les proclamer comme un article de notre foi, comme l'espoir de nos convictions, et aussi comme notre excuse pour avoir si longtemps abusé de votre attention bienveillante.

RAPPORT sur les Travaux de la Société, depuis le 17 mai 1861 jusqu'au 8 août 1862, par M. ANQUETIL, Secrétaire perpétuel.

« Les premiers fondateurs de notre Société ne se sont point trompés dans leurs augures ni dans leurs espérances. Vous avez grandi parmi les travaux sérieux et dans le doux commerce de l'étude. Une partie des ouvriers de la première heure ont disparu, mais plusieurs survivants d'une époque déjà si éloignée maintiennent ici les traditions, accroissent l'honneur d'une fondation utile aux lettres, aux sciences, à la morale, à tous les intérêts de notre belle cité. »

Ainsi vous parlait, il y a quelques mois, M. Théry, l'homme qui fut

avec les Bouchitté, les Caron, les Balzac, l'un des plus actifs fondateurs de notre Société, et qui fut appelé le premier aux honneurs de la présidence. Emané d'une bouche aussi autorisée que la sienne, un pareil témoignage est un de ceux dont nous avons droit d'être fiers; j'ai la conviction que le rapport que je vais vous lire sur les travaux de la dernière année ne le démentira pas.

Vos relations avec les Sociétés savantes de l'Empire deviennent chaque année plus nombreuses, et leurs publications donnent souvent lieu à des rapports pleins d'intérêt. MM. Marchand, Gourgaud, Anquetil, Loz de Beaucours, Doublet, Mugnot de Lyden, Cougny. Boniteau, Ploix, vous ont rendu compte des derniers volumes publiés par les Académies de l'Oise, du Gard, de Rouen, de Caen, de Dijon, de Nancy, d'Aix, de Bordeaux et d'Arras. Dans l'impuissance d'indiquer, même sommairement, les sujets si variés traités dans ces rapports, permettez-moi de vous signaler, comme un véritable service rendu aux lettres aussi bien qu'à l'histoire, la publication faite par l'Académie d'Arras de l'ambassade de Jean Sarrazin, abbé de Saint-Wast, en Espagne et en Portugal, en 1582, par Philippe de Caverel. Quelque intérêt qui s'attache à la publication des travaux qui vivifient les séances des Académies, la publication d'une œuvre telle que celle de Philippe de Caverel est d'un ordre supérieur. Du reste notre Société est entrée dans la même voie en publiant dernièrement le Journal de la santé de Louis XIV, annoté et accompagné d'une savante introduction de M. Le Roi. Espérons que cette publication ne sera que le prélude de bien d'autres : le manuscrit de Narbonne n'attend qu'un moment favorable pour voir le jour, et, si nos ressources le permettaient, M. Le Roi serait prêt à publier ses recherches sur les dépenses faites par Louis XIV pour la construction, la décoration et l'ameublement du Palais de Versailles et de ses dépendances. Que notre Société prospère; que le nombre de ses membres continue de s'accroître; que la ville, le département, l'Etat secondent ses efforts; que le public réponde à notre appel comme il l'a déjà fait pour la publication de l'Histoire des rues de Versailles, l'œuvre sera facile, et notre collègue recevra la plus légitime et la plus flatteuse récompense de tant de travaux si désintéressés.

Le fond de l'éloquence est immuable comme l'esprit humain ; les formes qu'elle revêt sont mobiles et changeantes comme le théâtre de l'histoire. M. G. Doublet a consacré un certain nombre de lectures à vous exposer quel fut le caractère de l'éloquence judiciaire au XVIIIe siècle, et il n'est point encore arrivé au terme de son travail. Ce qui donne à l'éloquence judiciaire de cette époque un caractère vraiment nouveau, vraiment imposant, c'est qu'elle se mêle et qu'elle s'identifie avec le grand mouvement qui emportait alors presque tous les esprits. La notion du droit dégagée de toutes ses obscurités, le besoin impérieux de faire pénétrer dans le domaine des institutions et de la pratique des théories désormais victorieuses dans tous les esprits, voilà ce qui, aux yeux de M. Doublet, outre le talent, fait l'intérêt des monuments oratoires que nous devons à Voltaire, à Beaumarchais, à Bergasse, à Servan, à Lally-Tolendal, à tous ceux enfin qui, sans être ni magistrats ni avocats, n'en ont pas moins engagé l'éloquence judiciaire dans la voie où elle devait jeter tant d'éclat. Domat et les autres jurisconsultes philosophes avaient bien posé les vrais principes: mais partout le fait était en désaccord avec le droit. La législation pénale, toute de tradition, n'était qu'un amas confus de textes empruntés au droit romain, au droit canonique, aux opinions des jurisconsultes, aux arrêts des parlements, et une odieuse barbarie présidait aux supplices. On ne doit donc point s'étonner si l'immortel ouvrage de Beccaria, poursuivi dans sa patrie par les imputations d'athéisme et d'appel à la révolte, était accueilli en France avec tant d'enthousiasme; si le chancelier Lamoignon et le vertueux Malesherbes le faisaient traduire, et si Voltaire, en le commentant, en le couvrant de son immense popularité, le naturalisait complètement parmi nous. Alors un avocat-général au parlement de Dauphiné, Servan, dans un discours de rentrée demeuré célèbre, glorifiait les principes posés par le légiste philosophe, et gémissait sur la barbarie de notre système pénal, conviant les magistrats à faire acte de bons citoyens et à prendre l'initiative de réformes commandées par la prudence autant que par la justice et l'humanité. Plus tard un président de chambre au parlement de Bordeaux, Mercier Dupaty, dans un Mémoire pour trois innocents condamnés à la roue, s'élevait contre la multiplicité des compétences criminelles

qui laissait des accusés pourrir durant trois ans dans les cachots, et quels cachots! tandis que les juges se renvoyaient à l'envi la procédure; contre la disposition qui privait ces malheureux de conseil et les livrait seuls à leur ignorance et à leur peur; contre l'odieuse théorie des faits justificatifs; contre ce qu'avait de révoltant le serment qu'on exigeait des accusés de dire la vérité; enfin contre une foule d'abus dont la réforme, si facile pourtant et si légitime, soulevait les plus opiniâtres oppositions. Le parlement de Paris s'émouvait de cette virulente philippique; l'avocat-général Antoine Seguier la déférait à la censure de la cour dans un réquisitoire savant, empreint d'une grande noblesse et d'une haute dignité, où la législation en vigueur était habilement défendue; c'était le cas de dire:

Si Pergama dextra

Defendi possent, etiam hac defensa fuissent.

Mais Pergame était condamnée, et moins de quatre ans après le Parlement lui-même était emporté avec toutes les institutions de la monarchie.

Nous pouvons trouver étrange aujourd'hui qu'il ait fallu déployer tant d'éloquence pour défendre des principes si simples et si élémentaires; nous pouvons signaler dans ces écrits plus d'un trait emphatique et déclamatoire; gardons-nous toutefois d'oublier la reconnaissance que nous devons à ces courageux citoyens dont le dévouement nous a légué une jurisprudence plus humaine dont nous sentons le bienfait sans toujours remonter à la source. Leur éloquence nous paraît désormais un luxe superflu : ils n'ont pas ambitionné de plus glorieuse récompense. N'est-ce pas aussi l'immortel honneur de Montesquieu que les plus belles pages de l'Esprit des Lois nous semblent presque des lieux communs? Il était si facile de découvrir le Nouveau-Monde depuis que Christophe Colomb en était revenu!

L'honorable M. Bonneville, alors qu'il était à la tête de notre parquet, soumit au Conseil-Général de Seine-et-Oise le projet d'un casier judiciaire près de chaque tribunal d'arrondissement. Ce projet

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