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quel était cet homme? Barbaroux, selon les uns; Buzot, selon les autres. Or M. Vatel, ayant récemment découvert et acheté un portrait de Buzot, en forme de médaillon, a trouvé derrière une notice sur le célèbre Girondin, notice reconnue comme étant de la main même de Mme Roland, et comme ayant dû être écrite dans sa prison. Cette notice, dont plusieurs phrases se retrouvent dans les Mémoires mêmes de Mme Roland, paraît propre à fixer les incertitudes; elle démontre qu'elle eut pour Buzot un sentiment d'affection très vive, mais très pure, et cette découverte de M. Vatel confond les calomniateurs.

Vous devez encore à M. Vatel la communication d'une œuvre inédite de Vergniaud, qu'aucun des historiens de la Révolution ne paraît avoir soupçonnée: c'est un Projet de défense devant le Tribunal Révolutionnaire, monument historique et littéraire à la fois. On y voit clairement quel était le procédé de l'orateur, et le secret de ses brillantes improvisations. Vergniaud faisait ce qu'ont toujours fait les plus grands orateurs, les avocats les plus consommés et les plus sûrs d'eux mêmes: il méditait, il divisait, il rédigeait méthodiquement ses plans; il esquissait même quelquefois ou indiquait par un simple trait certains mouvements oratoires, laissant à l'inspiration et à la nécessité de l'action le soin de lui suggérer la couleur et la forme. Ainsi la découverte de M. Vatel s'est trouvée parfaitement d'accord avec le jugement porté par Me Roland et par Mme de Staël sur l'illustre orateur de la Gironde.

Enfin M. Vatel a exhumé des catacombes de l'Accusateur public un article intitulé : Une visite au Palais de Versailles, par Richer Serizi, l'un des volontaires de cette phalange de journalistes qui servirent d'organes aux honnêtes gens après la tourmente révolutionnaire. M. Vatel, en le commentant et en l'accompagnant des explications nécessaires, vous a montré que cet article, s'il n'est pas exempt de l'emphase et du mauvais goût qui domine partout dans les œuvres de l'époque, renferme de précieux détails pour l'histoire de notre ville, en même temps qu'il est profondément empreint de l'esprit du temps.

Comme préface à l'examen qu'il vous doit de l'Histoire de l'insurrection de la Grèce, par le docteur Gervinus, M. Anquetil vous a

d'abord fait le tableau de l'opinion de l'Europe, et surtout de la France, pendant toute la durée de cette lutte héroïque. Il vous a rappelé combien fut grande alors la puissance de cette opinion dont on peut dire que seule elle voulut, seule elle prépara, seule elle précipita l'explosion des canons de Navarin. Il vous a redit l'influence que les plus grands poètes exercèrent sur cette opinion hésitante à ses débuts, mais chaque jour plus ferme et plus irrésistible; il vous a rappelé les plus belles pages du Giaour et de ChildHarold, les principaux chants des Messéniennes, enfin le Voyage imaginaire et le Pigeon messager, Psara et l'Ombre d'Anacréon. M. Anquetil n'a pu vous relire ou vous réciter sans une émotion profonde, vous n'avez pu entendre sans un douloureux frémissement, ces chants et ces refrains tour à tour fiers et belliqueux, mélancoliques et déchirants, auxquels l'agonie suprême dans laquelle se débat un peuple non moins malheureux, semblait redonner une vie nouvelle. Comme autrefois, ils ont excité la pitié, l'indignation : que ne puis-je dire : Ils ont éveillé l'espérance!

M. Chardon vous a lu une étude sur la vie et sur les ouvrages du poète polonais Adam Mickiewicz. Le résumé que M. Chardon doit vous en faire lui-même tout à l'heure, me permet de me borner à cette mention.

M. Ploix vous a entretenus fort au long des Causeries d'un curieux, par M. Feuillet de Conches. Il est, vous a-t-il dit, des amateurs qui n'appliquent leur curiosité qu'à des objets futiles ou grotesques, et donnent ainsi une pauvre idée de leur bon sens. Pour l'auteur des Causeries, il ne poursuit que l'autographe, mais il le poursuit en tout temps, en tout lien. Avec lui, M. Ploix est remonté jusqu'aux Egyptiens et à leurs Pharaons dont les hypogées nous livrent, dans les linceuls de papyrus, le secret des mœurs et des idées des hommes qui furent les contemporains ou les prédécesseurs de Moïse. Il vous a entretenus de la passion des Chinois pour les autographes, passion tellement développée, que l'industrie de la falsification s'y est propagée sur une large échelle, chose naturelle du reste en un pays où le cadeau le plus précieux consiste dans un échange d'écrits, où tout papier empreint d'une écriture quelconque est si respecté qu'on ne l'emploie jamais à aucun usage

dégradant, et ne peut être détruit que par son incinération dans des cassolettes parfumées. Puis rentrant en France avec le Curieux, il vous l'a montré réfutant, à l'aide de ses autographes, les calomnies par lesquelles on a essayé de flétrir, soit de leur vivant, soit après leur mort, des femmes illustres telles que Me de Sévigné, Mme de Maintenon ou Marie-Antoinette. En s'associant à la réprobation énergique que le Curieux formule contre les calomniateurs, M. Ploix en a déduit une leçon morale, qui s'adresse non seulement aux grands, mais encore aux plus humbles : c'est qu'il ne suffit pas d'être irréprochable, il faut que nul n'en puisse douter. Qui peut répondre, en effet, qu'on n'a pas auprès de soi quelque biographe ou quelque compilateur d'anecdotes qui ne cherche que le scandale et ne trouve pas de morceau plus friand qu'une pièce capable de ternir, ou pour le moins de compromettre une renommée; un avocat Barbier, dont le manuscrit déterré par un éditeur charmera la malignité publique en lui livrant des secrets fort suspects de la vie privée, et portera par ses révélations la honte et le chagrin dans les familles? En terminant, M. Ploix vous a rappelé que les moyens employés par les amateurs d'autographes pour en acquérir, ne sont pas toujours avoués par la délicatesse; que cette passion, comme toutes les autres, peut devenir une source d'abus, et que la convoitise d'un manuscrit de Malebranche n'a pas laissé de tourner de nos jours à la confusion d'un célèbre philosophe.

En vous faisant hommage de sa traduction des Conversations de Goethe, recueillies et publiées par Eckermann, M. Délerot vous a adressé une étude, inédite alors, et destinée dans l'origine à servir de préface à l'ouvrage. Remplacée par une introduction de M. SainteBeuve, qui ne fait guère connaître ni le livre ni l'auteur, elle a été publiée plus tard dans la Revue française, et cette publication me dispense de vous en parler plus longuement.

J'en dis autant d'une Histoire sommaire de la musique depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, que M. Délerot vous a aussi communiquée. Ce résumé rapide, destiné à l'enseignement élémentaire de la musique dans les orphéons et dans les écoles, n'a point de prétention à la science; et ne fût-il pas déjà publié, il échapperait complètement à l'analyse.

M. Gueullette vous a lu un certain nombre de monographies consacrées à la vie et aux plus importants ouvrages des peintres les plus célèbres de l'école espagnole. Dans cette galerie, vous avez vu tour à tour apparaître Herrera le Vieux, le vrai fondateur de l'école nationale, dont on a dit qu'il se précipitait sur la toile comme Michel-Ange sur le marbre, un de ces rudes génies dont les qualités ne sont guère attrayantes, mais qui impriment à l'art quelques-unes de ces secousses fécondes qui en reculent les limites; Murillo qui dut vaincre tant d'obstacles pour conquérir sa gloire; qui, toujours simple et modeste, s'enfermait dans son atelier pour se dérober à de légitimes ovations, et que l'admiration de ses contemporains surnommait le phénix de l'Andalousie; Murillo qui, au rebours de ses compatriotes, ne représenta jamais de tortures, jamais de pécheurs repentants, de visages amaigris par le remords, de membres décharnés ni de joues creuses et livides, mais toujours la joie et le bonheur, et partout, même dans la cellule du religieux ou dans la masure du mendiant, le soleil et le printemps; Ribera, dit l'Espagnolet, dont la carrière laborieuse fut semée de tant d'aventures romanesques ; qui, parvenu de la mendicité à l'opulence, se montra jaloux et bassement persécuteur; dont les conceptions offrent pour la plupart un côté repoussant et hideux; qui semble s'être évertué à découvrir toutes les douleurs de l'espèce humaine pour les reproduire en les outrant encore; qui fait les enfants boîteux ou bancals et les couvre de pustules et de plaies; qui donne à ses vieillards des teintes livides et cadavéreuses, contourne leurs membres et dessèche si bien leurs corps qu'on peut voir et compter au travers les os, les nerfs et les muscles; l'heureux Velasquez qui, renonçant de bonne heure aux douces vierges, aux martyrs inspirés, aux saints gravement recueillis, consacra son pinceau à faire passer sur la toile les têtes hardies, les fiers regards, les riches velours, les armures éclatantes, en un mot toutes les pompes de la vie, de la royanté et de l'histoire; enfin Goya, l'élève de Mengs, dont les brillantes qualités sont déparées par de si étranges bizarreries et de si monstrueux défauts.

Sous ce titre les Victimes du Jury, M. Chardon vous a communiqué les observations que lui ont suggérées ses visites au der

nier Salon. Ses jugements n'ont pas laissé d'être sévères: il lui a semblé qu'il y avait beaucoup de peintres, mais peu d'artistes, beaucoup d'habileté, mais peu de pensée. La peinture religieuse lui a paru mourante; l'inspiration et le sentiment manquent à la plupart des toiles, et la faute tient moins peut-être aux peintres euxmêmes qu'à leur siècle, où la foi fait place, sinon au doute, du moins à la critique et à la discussion, et où l'on raisonne au lieu d'accepter et de croire. La peinture historique paraît à M. Chardon frappée de la même décadence; vide de pensée, elle s'asservit au fait brutal, oubliant que le fait particulier n'intéresse qu'autant qu'il réveille l'idée du général et de l'universel; et ce défaut, il l'impute, à tort ou à raison, à l'éducation routinière que les jeunes peintres reçoivent à l'Ecole des Beaux-Arts, où les études, fondées exclusivement sur la tradition, ne lui semblent ni assez personnelles, ni assez indépendantes. Le paysage lui a paru représenté par des œuvres bien supérieures, et il en voit la cause dans la liberté que ce genre permet aux peintres qui le cultivent, alors qu'ils veulent bien ne reconnaître d'autre chef d'école que la nature, n'avoir d'autre atelier que les monts et les forêts, la terre et les eaux. Non pas que la copie servile de la nature soit de l'art, mais le peintre qui sait rendre une réalité choisie, en l'animant d'un sentiment noble et élevé, doit produire une œuvre vraie qui fait rêver et qui appelle la méditation. Abordant le portrait, M. Chardon vous a rappelé par des exemples éclatants que les grands peintres d'histoire nous ont seuls laissé dans ce genre d'admirables chefs-d'œuvre. Ajoutons, pour être justes, que le nombre est bien restreint de ces têtes vraiment belles, vraiment expressives, marquées du sceau de la grâce ou du génie, et que trop souvent l'artiste ne peut aspirer à un autre succès que celui de l'habileté matérielle. Enfin, quant au genre, il semble à M. Chardon tenir le milieu entre le paysage et le portrait, sans avoir la valeur d'aucun d'eux. Ni l'homme ni la nature ne dominent, englobés l'un et l'autre dans l'action. M. Chardon reconnaît que beaucoup de peintres de genre montrent de l'originalité dans la composition, de l'habileté dans le faire, mais que la pensée est souvent absente; et qu'au lieu de saisir la vie humaine dans son action morale et dans ses passions sérieuses, les artistes, pour quêter une

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