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CONCLUSION

Mécanisme de la disjonction.

A travers les innombrables variations et complications de l'ordre des mots, on a vu revenir sans cesse et agir, tantôt isolés tantôt combinés, les deux procédés essentiels de l'inversion et de la disjonction.

Le mécanisme de la disjonction est relativement aisé à définir :

1o La disjonction est sans effet sur le terme postposé, quel qu'il soit. Dans :

Diu. II, 17, 40 illius enim deus..., uester- autem -deus

le second deus pourrait être supprimé sans que le sens de la phrase en soit modifié.

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Dans la réplique :

Cas. 390-1 (deos quaeso)..... ut quidem hercle pedibus pendeas.

At tu ut oculos- emungare ex capite per nasum -tuos!

il serait ridicule d'accentuer l'adjectif tuos, l'opposition étant

entre pedibus et oculos.

2o La disjonction n'affecte pas le déterminé, même antéposé. Dans :

Ps. 173-4 Vos quae... aetatulam agitis

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Il est impossible de se représenter un relief du substantif dans des expressions telles que :

Nep. 10, 2 diem- obiit -supremum

Poen. 904 diem- obiit -suom.

3o La disjonction n'est pas indispensable à la mise en relief du déterminant.

L'adjectif pauci est en relief dans :

B.G. IV, 37, 3 nostri... paucis uulneribus acceptis complures ex his occiderunt

(« n'eurent que peu de blessés »)

aussi bien que dans :

Ps. 390 pauci- ex multis sunt -amici qui...

Le relief de nefario n'est pas moindre que celui de iusto dans : Att. IX, 19, I cum iusto- in -bello..., cum... in ciuili nefario bello.

L'adjectif en relief n'est disjoint qu'une fois sur deux dans : Nep. 16, 2 magnae- saepe -res non ita magnis copiis sunt gestae

et une fois seulement sur trois dans :

Ps. 27-8...Cur inclementer dicis lepidis litteris

Lepidis tabellis lepida- conscriptis -manu?

Il n'y a pas disjonction dans les exemples suivants où pourtant l'adjectif doit être mis fortement en relief pour souligner soit une répétition :

Diu. II, 9, 22 Cn. Pompeium censes tribus suis consulatibus, tribus triumphis... laetaturum fuisse si sciret...?

- soit une opposition symétrique :

Agr. 5, 7 si unam rem sero feceris, omnia opera sero facies soit un rapprochement de semblables ou de contraires :

Diu. II, 20, 45 urges me meis uersibus

Iug. 14, 8 uos in mea iniuria despecti estis

soit une intention :

Eun. 471 Hic sunt tres minae

=

trois, tout juste (il s'agit de rabaisser la valeur d'un présent).

4° Si la disjonction n'est pas indispensable à la mise en relief du déterminant antéposé, là où elle est employée, la mise en relief en résulte nécessairement; le procédé est facultatif, mais toujours efficace.

5° La nature et l'importance de l'élément disjonctif n'importent pas, à condition toutefois que le terme intercalé ne soit ni un enclitique, qui ne saurait trouver place ailleurs (magnamque rem), ni un appartenant immédiat de l'un des termes disjoints (magnam illam rem).

Cet élément disjonctif peut être constitué par un terme unique, substantif:

Fam. XV, 21, 4 ego illas- Caluo -litteras misi non plus quam has quas nunc legis

adjectif :

Ps. 58-2 Maiorum meum- fretus uirtute dicam

pronom :

Ps. 1128 Boni- me -uiri pauperant, improbi augent

Fam. VI, 6, 11 rerum- hoc -natura et ciuilium temporum non patietur?

verbe réel, auxiliaire, participe :

Amph. 252 regem... sua- obtruncauit -manu

Amph. 34 iustae ab iustis iustus- sum -orator datus

Diu. II, 2, 7 pristinis- orbati -muneribus haec studia renouare cepimus

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Nep. 16, 2 magnae- saepe res non ita magnis copiis sunt gestae

Att. IX, 19, 1 cum iusto- in -bello..., cum... in ciuili nefario. bello.

Il

peut être constitué par deux éléments syntaxiques distincts: Ad. 194...liberast, nam ego liberali- illam adsero -causa manu

par trois ou même davantage :

Ad. 186-7 Iusiurandum dabitur te esse indignum iniuria hac,

Cum egomet sim acceptus -modis

indignis

R.R. I, 2, 9 Stolonum confirmauit cognomen, quod nullusin eius fundo reperiri poterat -stolo.

Il peut au contraire être représenté par une menue particule, même réduite à un élément asyllabique :

Ps. 47 Pro lignea- n -salute ueis argenteam?

Psychologiquement, on peut s'expliquer de la manière suivante le mécanisme de la disjonction :

Le déterminant joue dans l'énoncé et dans la proposition un rôle accessoire, subordonné; il ne se suffit pas à lui-même, il a pour support le déterminé; il en résulte que, le déterminant. énoncé, nous attendons le déterminé auquel il doit s'attacher. Quand nous lisons:

Ps. 628 supremi- promptas thensauros -Iouis

l'adjectif supremi fait attendre un substantif au génitif; or voici qu'après l'énoncé du déterminant la phrase reste en suspens pour ainsi dire, et ni le mot qui suit ni même le second n'apportent de solution; c'est Iouis qui répond enfin à la question posée par supremi; la disposition des mots est telle que le lecteur ou l'auditeur doit garder présent à l'esprit le déterminant jusqu'à ce qu'apparaisse le déterminé ; c'est cette suspension, ce prolongement dans la conscience de l'auditeur qui vaut au déterminant sa mise en relief.

Au contraire, le déterminé sé suffit à lui-même, logiquement et syntaxiquement; sujet, attribut ou régime, il est un terme essentiel, autonome, de l'énoncé, un élément constitutif de la proposition, il n'a pas besoin d'un appartenant qui le supporte, qui le complète. L'expression diem obiit (Poen. 77, Nep. 10, 10) signifie « il a fait son temps, il est mort » ; si l'on dit diem- obiit -supremum (Nep. 10, 2), -suom (Poen. 904), le déterminant supremum -suom vient par surcroît, mais n'est pas nécessaire, n'est pas

:

attendu; l'énoncé est complet avec le déterminé diem, qu'on n'a pas besoin de tenir en réserve pour le rattacher à un appartenant ultérieur, et le passage de diem à obiit se fait naturellement, sans qu'on puisse avoir le sentiment d'une disjonction.

Le sentiment de la disjonction naît de l'attente où nous maintient une construction incomplète, et du retard que le sujet parlant met à la compléter. Au reste, ce n'est pas la durée de la suspension qui importe on a vu qu'un mot, un monosyllabe, une particule asyllabique, ont la même valeur disjonctive qu'une proposition entière; le fait essentiel de la disjonction, c'est l'interruption, le saut; l'intercalaison d'un mot étranger au groupe déterminatif oblige la pensée à interrompre sa marche normale et à accueillir une notion nouvelle avant de passer à celle qui est attendue ; c'est cet hiatus, cet arrêt dans la succession des idées qui nous oblige à fixer notre attention sur le déterminant, amorce de la construction, et conditionne la mise en relief, indépendamment du temps que peut durer la suspension.

Mécanisme de l'inversion.

Le mécanisme de l'inversion s'explique d'une manière analogue.

Le sentiment de l'inversion suppose, comme l'a indiqué A. Bergaigne, celui d'un ordre consacré, normal, à priori. Ce n'est pas le fait seul de l'antéposition qui importe; la position initiale est peut-être « place d'honneur », comme dit H. Weil, dans la phrase et dans la proposition, mais non pas dans le groupe: nous avons vu ille emphatique en seconde place (p. 156), en seconde place aussi le numéral qui énonce un chiffre dont la détermination importe (p. 192), en seconde place l'adjectif prédicatif, qui joue le rôle d'une véritable proposition (p. 82). Dans la plupart des cas examinés nous n'avons pas eu à nous préoccuper de la valeur que pouvait conférer à l'un des termes la place initiale. Le qualificatif précède son substantif quand il est emphatique (p. 100), mais aussi quand il est banal (p. 87); on met le numéral en première place quand on veut insister sur la valeur

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