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plus d'imagination que de goût, et moins d'érudition que de désir de plaire. L'auteur s'est mis en frais pour rendre son style agréable. Il n'a pas toujours réussi, comme on peut en juger par un exemple. Le principal personnage du couvent de Sellières est un prédicateur célèbre du XVIe siècle, nommé Jean de Cathalando. Pour le faire connaître, ce n'est pas l'auteur du mémoire que nous citerons, mais un religieux du temps qui a écrit l'histoire de son ordre. Voici comment Fodéré raconte la vie de Cathalando, et apprécie son talent :

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Il est à savoir que l'an 1548, au mois de mai, se leva une très-grande émotion de populace, à cause de la gabelle extraordinaire et non accoutumée, imposée sur le sel en Limousin et en Auvergne, où ils se trouvèrent 11,000 hommes, lesquels, à cause des meurtres, saccagements, larcins et voleries qu'ils faisaient, étaient appelés vulgairement les 11,000 diables. Au mois de septembre de la même année, le roi venant de Piémont fit son entrée très-pompeuse à Lyon, et, au mois d'octobre suivant, la fit aussi à Moulins; puis avant de prendre le chemin de Paris, il mit sur pied une fort puissante armée, laquelle chargea si à propos et si vivement les 11,000 diables, que la plus grande partie demeura sur place. Ceux qui purent échapper se sauvèrent en pays étranger; Jean de Cathalando était du nombre, nonobstant qu'il fût prêtre séculier, et tient-on qu'il était chef ou au moins un des principaux capitaines de ces 11,000 diables, lequel se sauva au comté de Bourgogne, et ayant obtenu son absolution du pape Paul III, il se fit religieux en ce couvent de Sellières, où il changea

tellement sa vie avec l'habit, qu'il se rendit un des bons et vertueux religieux de son temps. Comme il avait déjà de bonnes lettres et qu'il était d'ailleurs d'un grand entendement et d'un esprit relevé, il s'appliqua à l'étude, auquel il profita tellement qu'il fut fait docteur de la faculté de Dole, et homme d'une profonde doctrine. Et il se perfectionna si bien qu'il fut élu ministre de cette province au chapitre d'Autun, l'an 1551. Au surplus, jusqu'à la fin de ses jours, il a été un des plus zélés et sérieux prédicateurs de son temps, et grand fléau des hérétiques, principalement en la ville de Dijon.

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Ce bon père, sur la fin de ses jours, devint entièrement aveugle, qui lui était d'un regret insupportable de dire adieu aux livres. Néanmois, il ne discontinua jamais de prêcher qu'environ un mois avant sa mort, et il faut dire qu'il était doué d'une grande mémoire....., et c'étaient des prédications admirables et non pareilles, j'en puis témoigner, car j'ai eu le bonheur de l'assister un carême entier qu'il prêcha à Lyon l'année d'avant sa mort qui était l'an 1569. Mais c'était avec une doctrine si solide, avec une gravité si magistrale et avec un tel zèle, ferveur et ardeur, que tous les jours il provoquait ses auditeurs aux chaudes larmes. De là, il se retira au couvent de Vienne qu'il avait en particulière affection, d'autant qu'il y avait toujours été gardien depuis son provincialat, et y décéda l'an 1570. »

L'auteur du mémoire a voulu louer en style moderne Jean de Cathalando. On jugera par la comparaison des deux passages, que nous n'avons pas à nous applaudir beaucoup du progrès des lettres :

› Cette âme de feu se sentit à l'étroit derrière les épaisses et sombres murailles du monastère; cette vic si humble du cordelier, passée tout entière dans l'abnégation et la prière, le morne silence du grand cloître lui laissaient un vide immense que, ni les macérations, ni les longues méditations au pied de l'autel ne pouvaient combler. Il fallait un champ plus vaste, un aliment quelconque à cet esprit inquiet.

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Quoique déjà très instruit, Cathalando chercha un refuge dans l'étude.

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Que ce devait être un magnifique spectacle que celui de ce moine encore jeune, alors que tout dormait au monastère, alors que le silence religieux de la nuit n'était troublé de temps à autre que par le bruit du vent mugissant dans le vaste enclos ou le cri rauque de l'oiseau nocturne s'enfuyant à tire d'ailes vers les tourelles du château, de ce moine, dis-je, seul à la clarté d'une lampe, dans sa pauvre cellule, accoudé sur sa table de chêne, couverte de livres, son front puissant retombant dans ses mains, laissant sa vaste intelligence s'égarer jusqu'aux abîmes les plus reculés de cette mer sans fond, qu'on appelle la science! >>

Ainsi, au lieu d'un bon et vertueux religieux, comme Fodéré le représente, nous avons le portrait d'un héros de roman. Au lieu d'un récit simple, correct, intéressant, nous trouvons l'exagération dans le sentiment et l'enflure dans le style. Nous engageons l'auteur à mieux choisir ses modèles; nos chroniqueurs les plus anciens et les plus naïfs l'initieront aux secrets de l'art d'écrire,

bien mieux que ne pourraient le faire nos romanciers et nos dramaturges les plus renommés.

Après avoir fait la part de la critique, faisons aussi celle de l'éloge. Les deux concurrents ont donné des preuves non équivoques de bonne volonté, de travail et d'intelligence. Nous n'avons remarqué dans leur composition aucune erreur grave. Après avoir acquis une connaissance assez exacte de l'histoire de notre province, ils ont recueilli et mis en œuvre tous les documents relatifs à leur sujet. Ce sont ces louables efforts que nous vous proposons de récompenser en décernant aux auteurs des deux mémoires envoyés au concours une mention honorable.

M. le président proclame ensuite :

M. l'abbé Vannier, curé de Montigny, auteur du Mémoire sur l'abbaye de Montigny-les-Dames;

Et M. Louis Malfroy, de Sellières (Jura), auteur du Mémoire sur l'église et le couvent de Sellières.

ÉPIGRAMMES (0),

PAR M. AUG. DUSILLET.

I.

L'homme en naissant marche à la mort, Tremblant au moindre bruit, tombant au moindre obstacle. La vie est un passage et le monde un spectacle :

On entre, on regarde et l'on sort.

II.

Depuis longtemps je m'aperçois

Que soi-même on se flatte avec un zèle extrême ;
Aussi, dès longtemps je conçois

Qu'on chérisse un flatteur comme un autre soi-même.

III.

N'apprenez pas tant de leçons.

Ne dites pas sans cesse et de mille façons :

Qu'est-ce? comment? pourquoi ?... recherche inattentive D'une instruction fugitive.

(1) Ce mot est pris dans son ancienne acception, ainsi qu'on l'a déjà fait remarquer à l'occasion de diverses lectures empruntées au même recueil.

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