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rêts moraux et intellectuels ne sont pas, de la part des représentants de la commune, l'objet d'une sollicitude moins vive que les intérêts matériels. J'obéis en le signalant à un sentiment de gratitude que vous partagez.

Appelée pour la huitième fois à disposer de la pension, l'Académie a dû se demander d'abord si, dans le cours de la période triennale qui vient de finir, le dernier titulaire avait répondu aux vues de la testatrice, s'il avait accompli dans toute leur étendue les obligations que lui imposait le choix dont il avait été l'objet. La réponse n'a pas été une instant douteuse.

M. Fleury-Bergier avait, au moment de son élection, l'avantage de s'être déjà mûri l'esprit par de sérieuses et longues études. Pendant le séjour de trois ans qu'il vient de faire à Paris, il a poursuivi avec persévérance les travaux qu'il avait entrepris, et il s'est spécialement appliqué à l'analyse des documents relatifs à l'histoire de Franche-Comte, qui sont déposés à la Bibliothèque impériale. Ses recherches patientes lui ont fourni la matière de plusieurs Mémoires qu'il a préparés pour l'Académie des inscriptions, et qui ont fixé l'attention de quelques membres de ce corps savant, soit par la nature des questions que l'auteur a choisis, soit pour l'excellent esprit avec lequel il les discute. Le pensionnaire Suard est resté à Paris ce qu'il était parmi nous. Exempt d'ambition et préservé par la modération de son caractère des illusions que le séjour de la capitale ne favorise que trop dans les esprits légers, M. Fleury-Bergier a toujours souhaité le retour au pays natal et la possession d'un

emploi modeste qui lui laissât assez de temps pour continuer ses travaux historiques. Ce vœu est accompli. M. Bergier, vient d'être nommé juge de paix du canton de Blamont.

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Sans doute le pensionnaire de l'Académie, après le temps considérable qu'il a consacré à l'étude de l'histoire et de l'économie publique, aurait pu sans trop de présomption porter ses vues plus haut et songer å un avenir plus séduisant. Mais n'est-ce pas de sa part un mérite, à une époque ou tant de prétentions extravagantes se font jour, que d'avoir su borner ses désirs à ce qui était possible et facile? L'Académie sera d'autant moins portée à le blâmer, que l'honorable M. Pouillet, à qui elle avait confié la tutelle du pensionnaire, et qui s'est acquitté de cette charge avec un dévouement sans borne, n'a pas hésité à approuver sa résolution. Lorsque » M. Fleury m'a exprimé ses vœux à cet égard, écri>> vait-il y a deux mois à peine, en développant les >> considérations diverses qui le faisaient pencher de ce » côté, il m'a été impossible de ne pas applaudir à son » choix. J'ai la confiance que l'illustre fondateur de la >> pension ne l'aurait pas désapprouvé. Dans ma jeu> nesse, j'ai entendu dire souvent à M. Suard, et j'en » conserve le précieux souvenir, que notre province » n'aurait le rang qu'elle mérite que quand toutes les >> fonctions, jusqu'aux plus modestes, y seraient remplies par des hommes d'un noble caractère et d'une » grande culture d'esprit...... M. Suard, avait sans » doute le sentiment de l'influence considérable qu'il >> avait exercée autour de lui pour donner une trempe

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>> plus vigoureuse à toutes les âmes qui entraient » en rapport avec la sienne; et d'après mes souve»nirs, je serais porté à croire que sa généreuse fon>> dation avait principalement pour objet de répandre » en effet sur le sol de notre Franche-Comté des jeunes >> gens d'un noble cœur et d'un esprit cultivé, exerçant >> autour d'eux dans leurs sphères diverses une influence >> salutaire sur les populations. J'ai donc applaudi au vœu >> modeste de M. Fleury, avec la confiance que pour sa >> part il réaliserait à un haut degré la belle pensée de » M. Suard. >>

A cette appréciation si haute d'un esprit éminent, j'ajouterai les paroles de M. Bergier lui-même.

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Une fois à Blamont, m'écrivait-il, après avoir donné » à mes occupations de juge de paix le temps qui leur » est dû, je reprendrai avec bonheur mes études histori» ques; je reverrai les unes et finirai les autres. C'est >> ainsi que j'espère continuer, selon mes goûts, ma » vocation d'homme de lettres, et témoigner à l'Acadé>> mie combien je reste sensible au choix qu'elle a bien » voulu faire de moi, il y a trois ans ; c'est le motif » dans mon cœur d'une reconnaissance qui ne s'étein>> dra jamais.

Ces paroles sont d'un heureux augure, et le caractère ferme et loyal de M. Bergier nous donne la garantie qu'il tiendra sa promesse.

La place qu'il laisse vacante a été sollicitée par quatre candidats. Tous sont nés dans le département du Doubs. Tous présentaient à l'appui de leur demande des certifi

cats qui attestent la régularité de leur conduite et la médiocrité de leur fortune.

Le premier (Brun, Jean-François), né à Chaucenne, en 1822, de la plus pauvre famille de ce village, se recommande par les dispositions surprenantes dont la nature l'a doué pour la sculpture et la mécanique. Simple berger, et n'ayant en sa possession d'autre instrument qu'un couteau, il a réussi à exécuter en bois des ouvrages et des machines qui ont excité l'admiration. Malheureusement, pressé par les besoins impérieux de la vie. Brun s'est vu dans la nécessité de vendre ou d'abandonner avant leur achèvement plusieurs objets d'art qu'il s'était appliqué à confectionner. Les personnes les plus honorables, des curés, des maires, rendent témoignage de son intelligence industrieuse, et s'accordent à déclarer que, si ce jeune homme avait à sa disposition quelque avance qui l'affranchit au moins pour un temps du souci de la vie matérielle et lui permit de donner un libre essor à son génie inventif, il se ferait bientôt un nom dans les arts. Brun est un des hommes les plus laborieux de sa commune, et ses qualités morales lui ont mérité l'estime générale.

Ce sont là des titres réels à l'intérêt, mais qui ne suffisent pas pour obtenir la pension Suard. Ce candidat ne remplit pas une des conditions essentielles imposées aux aspirants par la testatrice non-seulement il n'est pas bachelier, mais il n'a fait aucune étude scientifique ou littéraire, et il ne possède d'autre instruction que celle qu'on peut recevoir dans une école de village. L'Aca

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démie n'a donc pas jugé qu'il pût être admis sérieusement à concourir. Mais elle a cru que l'espèce de phénomène qu'il présente méritait une mention publique, et elle se plaît à exprimer le vœu que la position de ce jeune homme fixe l'attention de quelque ami généreux des arts, et lui obtienne les encouragements qu'il paratt mériter par sa bonne conduite autant que par son talent.

Deux candidats présentaient des titres de valeur à peu près égale. Elèves distingués de l'école de médecine de Besançon, munis des certificats les plus honorables, l'un et l'autre faisaient valoir à l'appui de leur demande des études classiques faites avec succès, des prix remportés à l'école de médecine, une place d'élève interne obtenue au concours, enfin des marques éclatantes d'estime reçues de leurs professeurs. Tous deux paraissent destinés à se distinguer dans la profession médicale, et l'Académie sans aucun doute se serait prononcée en faveur de l'un d'eux, si un quatrième candidat ne lui eût paru par sa position avoir des droits plus marqués à l'obtention d'un bienfait que la généreuse prévoyance de Mme Suard destinait au jeune homme de talent, qui trouve dans la modicité de ses ressources un obstacle presque insurmontable à l'accomplissement de sa vocation.

A ce titre le jeune Pioche avait sur ses compétiteurs un incontestable avantage, sans leur être inférieur pour l'intelligence et le talent. Né à Besançon, en 1833, fils d'une honnête ouvrière, demeurée veuve, il y a quinze ans, dont les forces sont épuisées par suite des veilles et

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