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peuple qui vieillit et s'ennuie; mais cette tâche, quoique bien ardue, ne lui semble cependant pas désespérée. Il rappelle l'enthousiasme qu'excita, dans le nord de la France, une fête donnée à Cambrai en 1804, et consacrée à honorer la mémoire de Fénélon. « Certes, dit-il, si de semblables fêtes s'étaient généralisées alors dans les provinces exonérées d'un joug affreux, si chacune d'elles se fût emparée de ses illustrations les plus vénėrables et les plus chères, pour en commémorer triomphalement le souvenir, cette initiative eût été le point de départ de nouveaux et de meilleurs sentiments dans les populations. » Les fêtes agricoles et industrielles, qui répondent si intimement aux instincts de la nation et à la direction actuelle des esprits, lui semblent devoir être aussi la source de plaisirs purs, de délassements utiles. Il fait observer que l'agriculture, le premier des arts, n'est honorée en France que par des courses de chevaux et des distributions de primes; que la seule cérémonie, ayant un certain appareil de fête qui s'y rattache, est la promenade du bœuf gras. Cette insignifiante parodie des solennités païennes, excite la réprobation de l'auteur; il oppose, comme exemple digne d'être imité, la fête nationale de la Chine, où l'on voit le souverain, aux premiers jours du printemps, ouvrir la terre avec la charrue, et implorer du ciel d'abondantes moissons. Il cite aussi la fête des vignerons, à Vevay, celle des bergers, à Unterseen, et enfin la procession du lac des Quatre-Cantons, où tous les attributs de la vie pastorale s'unissent à l'appareil des armes et au bruit du canon,en souvenir de l'indépendance. Enfin il croit que la

musique, cet art que l'on cultive tous les jours de plus en plus, et qui a tant de puissance sur l'organisation humaine, pourrait être aussi appropriée à de grands exercices populaires, et devenir un précieux élément pour les réjouissances publiques; les chants des méthodistes dans les camps meetings, aux Etats-Unis, et les festivals chantants d'Angleterre, lui semblent autoriser cet espoir.

Tel est en raccourci le mémoire portant le n° 4. C'est, comme vous pouvez vous en convaincre, Messieurs, l'œuvre d'un esprit droit, d'un homme sage, qui sent le bien et s'ingénie à en trouver la voie. La question soumise a été aperçue sous son vrai jour, et résolue, sinon avec éclat, du moins avec maturité. L'auteur a beaucoup voyagé, et il sait allier aux observations du philosophe les souvenirs du touriste; l'ouvrage présente des détails intéressants sur les fêtes modernes, en Suisse, en Italie et en Allemagne. Vous n'auriez pas hésité à lui déférer le prix, si des défauts graves, au point de vue littéraire, ne venaient en atténuer le mérite. La forme ne répond pas au fond; le style est lourd, embarrassé, diffus; il fourmille de répétitions, de négligences; on y rencontre des expressions vulgaires et de mauvais goût; vous avez donc restreint votre appréciation à une mention honorable.

En résumé, Messieurs, le résultat du concours consistera en deux témoignages d'encouragement, accordés aux numéros 3 et 4. Vous aurez également à voir s'il ne conviendrait pas de reproduire pour l'année 1854, la question que nous venons d'examiner. Je ne sais si je m'abuse, mais il me semble qu'il n'en est pas

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qui soit plus vaste, plus palpitante d'intérêt, et qui réunisse au même degré les conditions que vous désirez obtenir dans vos programmes académiques, c'est-àdire l'utilité généralement reconnue, jointe au mérite de l'application. Il y a près de trois siècles qu'un moraliste, philosophe profond, dont les maximes concernant le gouvernement des sociétés sembleraient être le fruit de notre expérience, si la vivacité des couleurs, et la naïveté du style ne les reportaient à un autre âge, s'exprimait ainsi, sur l'influence des fêtes : « Les bonnes polices prennent soing d'assembler les citoyens, et les rallier aux offices sérieux de la dévotion, aussi aux exercices et jeux. La société et amitié s'en augmentent; et puis on ne leur sçauroit concéder des passe-temps plus réglés que ceux qui se font en présence d'un chacun, et à la veue même du magistrat, et trouverois raisonnable que le prince, à ses despends, en gratifiât quelquefois la commune, d'une affection et bonté comme paternelle, et qu'aux villes populeuses il y eust des lieux destinés et dispos pour ces spectacles. » Ch. XXV.

Ce que disait Montaigne un homme de génie l'a répété dans le dernier siècle : « Que doit-on penser, dit Rousseau, de ceux qui voudraient ôter au peuple les fêtes, les plaisirs, et toute espèce d'amusements? Cette maxime est barbare et fausse. Ce Dieu juste et bienfaisant, qui veut qu'il s'occupe, veut aussi qu'il se délasse; la nature lui impose également l'exercice et le repos, le plaisir et la peine; le dégoût du travail accable plus les malheureux que le travail même.

» Voulez-vous donc rendre un peuple actif et labo

rieux ? Donnez-lui des fêtes, offrez-lui des amusements qui lui fassent aimer son état, et l'empêchent d'en envier un plus doux ; des jours ainsi perdus feront mieux valoir tous les autres. Présidez à ses plaisirs pour les rendre honnêtes; c'est le vrai moyen d'animer ses travaux (1). »

Je pourrais multiplier ces citations; mais dans quel but? Il n'est personne qui ne soit convaincu, en théorie, de l'heureuse influence des fêtes sur les mœurs, et c'était bien la moindre face de la question que vous aviez proposé de résoudre. Mais quelles doivent être ces fêtes au temps où nous sommes? Quel caractère leur assigner pour ne pas provoquer les susceptibilités de cet esprit français si mobile, si léger, si railleur ? Sous quelle forme les présenter à cette nation qui a goûté de tout, sans se soucier de rien, et que l'on pourrait comparer à ces divinités de la fable, qui dédaignent de mouiller leurs lèvres dans la coupe d'ambroisie?

Telle est, Messieurs, la véritable difficulté; en la soumettant de nouveau à l'examen des hommes de cœur et d'intelligence, qui comprennent l'utilité de vos concours, et s'honorent d'y prendre part, vous ne vous bornerez pas à bien mériter des lettres, vous ferez encore un acte de haute philosophie et de véritable patriotisme. ·

Les deux concurrents qui ont mérité une mention honorable sont M. Emile CHASLES, professeur au lycée de Mâcon, auteur du Mémoire n° 3, et M. BALAHU, de Noiron, auteur du Mémoire no 4.

(1) Rousseau. Lettre sur les spectacles.

RAPPORT

DU SECRÉTAIRE PERPETUEL,

SUR

L'ÉLECTION DU NOUVEAU PENSIONNAIRE SUARD.

MESSIEURS,

Le testament de Mme Suard n'a pas été seulement un acte de bienfaisance, i porte aussi le caractère d'une inspiration patriotique. Lorsque cette femme généreuse dictait, il y a vingt-quatre ans, ses volontés dernières, dans la vue d'affranchir la jeunesse des cruelles épreuves qui l'attendent trop souvent à l'entrée des carrières libérales, le souvenir du lieu qui avait vu naître son époux, et pour lequel elle partageait son affection, était présent à sa pensée, et en fondant la pension dont l'Académie est chargée de disposer, elle se proposait de faire une chose qui fût particulièrement agréable et utile à la ville de Besançon. Cette noble intention ne pouvait manquer d'être appréciée. Le conseil municipal vient de prouver qu'il a compris tout l'intérêt que la cité doit attacher à l'institution Suard, en complétant pour l'année qui va s'ouvrir le chiffre de la pension, que l'abaissement de la rente avait réduit de 150 fr. Ce fait, Messieurs, est heureusement significatif. Il témoigne que les inté

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