Page images
PDF
EPUB

avaient disparu; on ne voyait que des amis, on n'entendait que des chrétiens. Ecoutons un moment M. Dumas :

"

Que les voies de la Providence sont mystérieuses!

>> Que son pouvoir est terrible! Que ses coups sont par» fois sévères !

» Humilions nos cœurs devant cette tombe soudaine» ment ouverte, hélas ! et qui va se fermer sur une gloire >> brisée dans sa fleur pour les espérances, dans sa ma» turité pour les services.

» Hier, rien ne manquait à Ebelmen. Sa destinée était » pour tous un objet d'envie. Bonheur, santé, jeunesse, » belle renommée, riche avenir de travail et d'honneurs, » tout lui semblait prodigué; quelques heures ont tout flétri!

» Hélas! cet excellent jeune homme, cet élève qui a >> tant honoré ses maîtres, qui devait nous survivre et >> nous remplacer, a traversé la vie comme un météore, » s'élevant soudain, disparaissant trop vite, mais éclai>> rant tout ce qu'il touchait de lueurs qui dureront long» temps, excitant dans tous ceux qui l'ont connu de ces >> affections qui dureront toujours. »

Ici finirait ma tâche, si la mort avait fini de frapper. Mais votre pensée se reporte déjà à un autre deuil, qui vient deux fois encore renouveler et assombrir le premier. La mort de M. Ebelmen est rapidement suivie de celle de son père; l'une et l'autre sont tristement complétées par une troisième. En même temps que les sciences font dans Joseph une perte irréparable, Henri, son frère, est enlevé à la magistrature, dont il était l'es

poir. Il manquerait quelque chose à l'éloge de Joseph, si je ne le terminais par l'éloge de Henri. Unis dans la vie, ils n'ont pas été séparés dans la mort; réunissons les encore dans l'expression de nos sympathies et de nos douleurs.

Né à Baume-les-Dames, le 14 mai 1821, M. LouisHenri Ebelmen entra au collège quand son frère venait de le quitter, et y soutint par de brillantes études l'honneur de son nom. Docteur en droit à 21 ans, il entreprit, pendant ses années de stage, un travail capable d'effrayer les plus grands courages. M. Clerc, ce magistrat de si digne mémoire, qui présidait avec tant de zèle les conférences des jeunes avocats, les engageait souvent à lire Dumoulin. Ce conseil fut un ordre pour Ebelmen. Il étudia consciencieusement le célèbre jurisconsulte dans la vieille langue de l'école, le traduisit presque tout entier, et en prépara une nouvelle édition. En la débarrassant de tout ce qui est devenu inutile et suranné, le commentateur l'a enrichie de remarques savantes, dans lesquelles il montre l'usage que les rédacteurs du Code civil ont fait de Dumoulin, et le parti qu'on en peut tirer pour l'interprétation de nos lois.

C'est par ces graves et fortes études que le jeune stagiaire se prépare à la vie de magistrat. Substitut à Arbois, à Dole et à Vesoul, partout il étonne les plus vieux praticiens par ses connaissances en droit civil, et les conclusions qu'il donne servent souvent de texte aux jugements des tribunaux. Chef du parquet à Montbéliard, il accomplit ses devoirs jusqu'au scrupule; il lutte, jusqu'à la fatigue et à l'épuisement, contre les exigences

d'une santé débile; il tombe enfin, à 31 ans, dans cette agonie lente où l'âme semble se ranimer à mesure que le corps s'affaiblit, et où le malade, debout, sur le seuil de l'éternité, se recueille, plus libre que jamais, dans la méditation sérieuse et profonde de ses fins dernières. Dès lors, il appartient tout entier à l'amitié et à la religion. La ville de Baume est encore émue du spectacle sublime qu'il offrit en ce moment suprême. La mort, dont la pensée l'occupe sans l'inquiéter, lui semble douce et consolante, parce qu'il croit et qu'il espère. En contemplant, au milieu d'une famille ensevelie dans un pieux silence, cette tête mourante qui se soulève sur sa couche, et qui domine, calme et sereine, toutes ces têtes inclinées par la douleur ; en le voyant porter tour à tour ses pensées vers les anges du ciel et ses regards sur les êtres chéris qui entourent son lit funèbre; en l'entendant tantôt demander pardon à une mère, à qui il n'a jamais donné que des sujets de joie; tantôt adresser des conseils aux membres de sa famille, tantôt suivre et même devancer, d'une voix affaiblie, les prières de l'Eglise, chacun s'écrie, avec l'éloquent et charitable pasteur qui reçoit son dernier soupir: « Ah! pourquoi la paroisse >> tout entière n'est-elle pas ici? Non, je ne croyais pas » encore qu'il fût si doux de mourir en chrétien! »

Ainsi s'éteignit le nom d'Ebelmen, que deux frères portaient si noblement. Quelle agréable différence dans leurs talents! Quelle triste et douloureuse ressemblance dans leur destinée! Tous deux devaient vous appartenir à la fois. Vous les aviez vus naître et grandir; vous étiez heureux de les encourager; vous auriez été fiers de les

avoir donnés au pays, et, en les réunissant un jour dans cette enceinte, il eût été si doux pour nous de reserrer, par les liens de la confraternité littéraire, les liens si étroits de leur affection fraternelle! Tout à coup la mort visite une demeure qui avait, jusque-là, paru échapper aux vicissitudes de la fortune. Elle exige un triple tribut, elle frappe trois victimes. Dans l'espace de six mois, le père et les deux fils succombent sous ses atteintes imprévues: l'aîné d'abord, pour annoncer, ce semble, par le coup le plus affreux, que l'étoile de la famille a disparu; le père ensuite, pour suivre l'un, pour attendre l'autre, et pour les réunir ensemble dans le même tombeau ; le plus jeune enfin, frêle et dernier rejeton de cette race si nouvelle et déjà si honorable, longtemps penché sur sa tige avant de succomber, comme si le poids des larmes eût été nécessaire pour mieux le détacher de ce monde. Tous les trois sont rendus en même temps à la terre, laissant deux épouses sans maris, une mère sans enfants. On dirait que le sort, jaloux d'avoir laissé pendant trente ans à l'orgueil maternel, si noble et si légitime, l'embarras de choisir entre tant de sujets de joie et d'affection, ait voulu, par un retour soudain, ne laisser à une douleur plus légitime encore que le choix des regrets et l'embarras des larmes. Hier, cette mère désolée ne savait qui elle devait le plus aimer; aujourd'hui, elle ne sait lequel elle doit pleurer le premier!

PIÈGES DE VERS,

PAR M. VIANCIN.

LE BALLET DE MARIONNETTES.

Vous avez dû parfois rencontrer dans la rue
Un petit spectacle ambulant

Où ne se montre aucun talent,
Mais qui peut récréer la vue.

C'est d'abord, pour orchestre, un seul ménétrier
Joignant au son d'une musette

Le bruit d'un tambourin grossier;
Puis, pour théâtre, une planchette,
Avec deux morceaux de baguette,
Surmontés d'un léger cordon,
Portant diverses figurines

A plumets, à grotesques mines,
Que d'un pied vacillant posé sur le talon,

Et qui touche au lien flexible,

Leur maître fait danser, sauter du mieux possible Ou sarabande ou rigodon.

Vers semblables marionnettes

Un philosophe, un jour, dirigea ses lunettes,
A ce jeu prit quelque plaisir,

Et sur ce sujet même eut l'air de réfléchir.
Du pauvre meneur de la danse

Tout doucement il s'approcha,

« PreviousContinue »