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Notre voyageur part maintenant pour Brientz, où il arrive le dimanche 28 septembre, après avoir entendu la messe à Langern. Le 1er octobre, il est à Thun. Lá, dit-il, il est témoin d'une cérémonie intéressante et qui rappelle les premiers temps de la Suisse. Les jeunes gens qui avaient gagné le prix au tir, faisaient une espèce de procession au son d'une musique guerrière. Tous étaient en habit militaire, avec la tunique, la cuirasse et le casque des anciens Suisses. Un d'entre eux, l'arbalète à la main, portait le costume de Guillaume-Tell. Il était précédé par un enfant ayant une pomme sur la tête et tenant un livre à la main. Ces usages, ajoute le narrateur, ces usages d'une nation qui conserve ainsi ses lois primitives et son antique caractère, produisent une illusion complète et iufiniment agréable. »

Il passe le 2 et le 3 octobre à Berne dont il fait la description. Il va dans un village des environs, à Indlebane, voir le tombeau de Mme de Languars, jeune femme morte en couches. «Elle est représentée; dit-il, au moment du jugement dernier, soulevant la pierre qui vient de se briser, et tenant son enfant par la main : idée sublime, mais dont l'exécution, quoique très-belle, ne répond pas à la hauteur du sujet.

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Le 4 octobre, le prince de Léon, en se rendant de Berne à Fribourg, s'arrête à une lieue de cette dernière ville pour visiter l'ermitage de Sainte-Madeleine. • Cet ermitage, dit-il, composé d'une église et de plusieurs pièces assez grandes, fut taillé dans le roc par

deux ermites. Il ne présente rien de remarquable par lui-même, si ce n'est l'immense travail entrepris et exécuté par ces deux hommes. A Fribourg, il admire la position pittoresque de la ville, ses églises belles et nombreuses, et surtout la piété de ses habitants dans l'observation du dimanche et les autres préceptes de la religion.

Le lundi 5 octobre, il part de Fribourg pour se rendre, en passant par Bulle, au couvent de la Trappe de la Val-Sainte. Pendant le temps que le frère portier le laisse au parloir, pour aller avertir le prieur, il remarque les sentences qui tapissent les murs de cette pièce simple et sans meubles, et il en transcrit quelquesunes. « Je fus surtout touché, dit-il, de celles-ci, qui sont si bien appliquées à ces bons religieux: Ne craignez pas, mon fils; nous menons, à la vérité, une vie pauvre ici-bas, mais de grands biens nous sont réservés dans l'éternité, si nous servons Dieu... Heureux celui qui passe ici ses jours tranquillement, et qui y finit saintement sa carrière! D'autres sont effrayantes, comme celles-ci: Si l'on vous redemandait cette nuit votre âme?.. Il n'y a pas de lendemain pour le chrẻtien.

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Il entre ensuite dans beaucoup de détails sur la règle de la maison et sur le genre de vie des religieux; nous croyons qu'il est intéressant d'en indiquer ici quelquesuns avec les réflexions qui les accompagnent. saints moines, dit-il après avoir parlé de leur nourriture grossière, et des pauvres planches qui leur servent de

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lit, ces saints moines observent un silence perpétuel, et ne se connaissent pas même entre eux. En entrant à la Trappe, ils renoncent à tout ce qu'ils ont de plus cher, à leur famille, à leurs amis et à tout ce qu'ils possèdent. Il leur est instamment recommandé, s'ils venaient à voir dans le monastère quelques voyageurs de leurs parents, de n'avoir pas l'air de les reconnaître et de les traiter comme des étrangers, parce qu'étant détachés du monde, ils sont détachés de tout ce qui tient au monde, et le peu qu'ils apprennent de ce qui s'y passe, est cent fois plus cruel que l'ignorance où ils en sont. Lorsque le père, la mère, ou quelque autre proche parent d'un des religieux est mort, l'abbé le recommande aux prières de tous, sans le nommer. Ainsi, toutes les fois qu'ils entendent une pareille annonce, chacun peut pleurer un des siens!

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Comme le père hôtelier nous engageait à rester et à passer la nuit au monastère, je lui répondis, qu'ayant beaucoup d'affaires, nous étions obligés de retourner de suite en France. A l'heure de la mort, me dit-il d'un air calme et souriant, vous aurez bien d'autres affaires encore, et pourtant il faudra les laisser!

» Nous remarquâmes que parmi les pères trappistes, qui sont au nombre de quarante, il y en avait plusieurs assez jeunes et beaucoup de Français. Ils étaient en grand nombre avant la révolution. L'abbé, M. de l'Etranges, prévoyant les horreurs qui devaient bientôt avoir lieu, quitta la France avec ses moines, et après avoir erré quelque temps, vint s'établir en Suisse. Chassés par l'invasion, ils se réfugièrent, à la suite de

Mme la princesse de Condé, en Russie, où un asile leur était offert. Expulsés bientôt après, ils revinrent en Suisse, dans une partie du canton de Fribourg, appelée la Val-Sainte, où ils sont depuis six ans. Ils y mènent une vie tranquille, et l'hôtelier nous dit qu'ils étaient très-heureux. Nous eûmes lieu de juger de la rapidité avec laquelle le temps passe chez eux, en lui parlant d'une personne venue à la Trappe, il y a deux ans et demi, et qu'il croyait y être venue il y a un an. Nous primes congé du bon père, qui nous reconduisit jusqu'à la porte; et là se prosternant, il resta à genoux jusqu'à ce qu'il nous eût perdus de vue. Nous nous éloignames, l'esprit plein de réflexions. Lorsqu'on vient de voir des hommes qui, de leur volonté, font de si grands sacrifices et se dévouent à une vie aussi dure pour gagner le ciel, comment, pour atteindre le même but, peut-on se refuser aux sacrifices bien petits, en comparaison, que la religion demande de nous ?... »

Messieurs, nous terminons ici les extraits de ce voyage que le prince de Léon fit en 1806. Ils prouvent, de la manière la plus sensible, que sa première jeunesse était déjà fortement empreinte de ces sentiments religieux dont les développements successifs ont marqué les différentes phases de sa vie. Quelles couleurs plus vives encore nous aurions ajoutées à son portrait, s'il nous eût été permis de vous communiquer aussi la relation du pèlerinage au mémorable sanctuaire d'Einsiedeln, qu'il exécuta quatre ans plus tard, et qui laissa dans son cœur des souvenirs qu'il aima toujours!... Mais

enfin d'après ce que nous avons rapporté, on voit avec un plaisir mêlé d'admiration, qu'à l'âge de dix-huit ans, son âme candide et tendre se tournait sans effort vers les choses de Dieu, et que la douce piété y croissait comme une plante céleste, destinée à produire, au milieu du monde le plus brillant, comme dans les plus hautes dignités de l'Eglise, et les fleurs les plus suaves et les fruits les plus précieux.

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