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extraordinairement débordé, contemple avec délices ce grand spectacle et s'enivre de sa gloire.

En quinze jours, il a replacé l'électeur de Bavière sur son trône, détruit une armée de cent mille hommes sans livrer une seule bataille, fait soixante mille prisonniers, dont vingt-neuf généraux et deux mille officiers, pris deux cents pièces d'artillerie, quatre-vingt-dix drapeaux; et tout cela ne lui a coûté que deux mille hommes tués ou hors de combat.

Tandis que l'invincible Masséna, franchissant l'Adige, la Brenta, la Piave, le Tagliamento, l'Isonzo, renouvelait nos anciens triomphes, Napoléon traverse l'Inn, se précipite sur l'arrière-garde des Russes, accourus au secours des Autrichiens, la disperse, et partout victorieux, entre dans Vienne, où il trouve deux mille pièces de canon, cent mille fusils, des munitions et des magasins immenses.

Ce fut dans le palais des empereurs d'Allemagne, entre Ulm et Austerlitz, quand il croyait avoir vaincu l'Angleterre sur le continent et maîtrisé l'avenir, que la Providence humilia son orgueil par l'épouvantable nouvelle du désastre de Trafalgar.

Villeneuve, tourmenté de la crainte d'une destitution, et comptant se réhabiliter par une victoire, s'était témé rairement engagé dans une bataille navale avec Nelson, le Bonaparte des mers. Son escadre, combinée avec la flotte espagnole, était composée de trente-trois vaisseaux et de cinq frégates. L'amiral anglais n'avait que vingtsept vaisseaux; mais la supériorité de la marine britannique sur la marine française et sur celle de l'Espagne,

plus défectueuse encore, et surtout l'ascendant de l'audacieux génie de Nelson sur son faible adversaire, étaient incalculables.

Suivant une tactique surannée, Villeneuve rangea sa flotte sur une seule ligne mal formée, et commit une autre faute en l'allongeant par les douze vaisseaux de l'escadre de réserve, qui, s'il les eût placés au-dessus de la ligne de bataille, dans la direction du vent, auraient pu la rejoindre au moment convenable, et mettre l'ennemi entre deux feux. Nelson, saisissant l'avantage du vent de nord-ouest, se précipite sur notre ligne avec son escadre divisée en deux colonnes. A la tête de la première, il assaille notre centre, et, dans un combat acharné, le bouleverse et le coupe de notre droite, qui, trop éloignée et contrariée par le vent, ne put prendre part à l'action, tandis que la seconde colonne, commandée par le vice-amiral Collingwood, disloque et écrase notre gauche en la prolongeant dans toute sa longueur. Au milieu d'un épais nuage de fumée, qui couvrait les deux flottes, et d'une effroyable canonnade, sur une mer jonchée de mâtures fracassées, de cadavres mutilés, nos soldats et nos matelots, succombant sous la stratégie de Nelson et la puissance manœuvrière de la marine anglaise, se montrèrent, même dans leur défaite, dignes du nom français par les prodiges d'une défense désespérée. Dix-huit de nos vaisseaux furent pris, brûlés, coulés bas ou naufragés, et Villeneuve tomba au pouvoir des Anglais. Quatre vaisseaux, sous les ordres du contre-amiral Dumanoir, ne s'échappèrent que pour être peu après capturés. L'amiral Gravina rallia quel

ques bâtiments espagnols et français, tristes débris de cette magnifique escadre, et les fit nuitamment rentrer à Cadix, où il mourut de ses blessures. Des vingt et un mille hommes de la flotte combinée, à peine en revintil quatre mille. Nelson, mortellement blessé, expira au milieu de son triomphe, en s'enveloppant de son drapeau. Villeneuve ne reviendra des prisons d'Angleterre que pour terminer par un suicide une vie trois fois funeste à la France.

Dans son juste courroux, Napoléon voulait imiter la terrible sévérité par laquelle les Anglais assurent leur puissance maritime. De Schonbrunn, il ordonna de livrer à des conseils de guerre tous les marins dont la conduite à Trafalgar ne serait point au-dessus de tout soupçon; mais aucune condamnation ne fut prononcée; pernicieuse faiblesse due sans doute au ministre Decrès, qui couvrit toujours Villeneuve de sa faveur.

Cependant l'empereur d'Autriche, fuyant son rapide vainqueur, avait quitté sa capitale, et s'était jeté dans la Bohême avec les restes de ses armées. Napoléon, qui n'a fait que se montrer à Vienne, vole à sa poursuite; il chasse les Austro-Russes de Brunn, et porte son quartier-général à Wischau. Mais, entraîné par ses victoires au centre de la Moravie, à deux cents lieues de ses frontières, opérant sur une ligne de quatre-vingt-dix lieues contre un ennemi supérieur en nombre, ayant sur sa gauche la Bohême à contenir et sur sa droite la Hongrie, menacé sur ses derrières par la fermentation de Vienne, inquiété par la mystérieuse accession de la Prusse à la coalition, il se trouvait dans la position la plus cri

tique son génie si fécond en ressources, l'invincible bravoure de ses soldats, et l'heureuse jonction ȧ Klagenfurth de l'armée d'Italie à celle d'Allemagne, dissipèrent tous les obstacles,

De nouvelles colonnes, sous les ordres de Kutusow, avaient renforcé l'armée austro-moskowite; et à cette armée de cent mille hommes, Napoléon ne pouvait en opposer que soixante-douze mille.

Kutusow, qui commandait toutes les forces austrorusses, voyant l'empereur stationner dans Wischau, et prenant pour de la faiblesse son apparente inaction, se dispose à l'attaquer; mais au premier mouvement de l'avant-garde ennemie, Napoléon abandonne ses positions. Devinant que, pour lui couper la route de Vienne, les Russes se placeront entre lui et de grands étangs qui doivent les arrêter ou les engloutir, il bat en retraite pendant trois jours, afin de les attirer sur le terrain

qu

'il a marqué pour leur destruction: et comme s'il voulait éviter une bataille, il se retranche sur des hauteurs qu'il ne compte pas garder, et fait demander au czar une entrevue. Alexandre se contente de lui envoyer son premier aide-de-camp, le prince Dolgorousky. Napoléon, pour montrer de l'inquiétude, le reçoit aux avant-postes. Le placement des grand'-gardes, les fortifications que l'on construisait à la hâte, la contenance morne de l'armée, tout faisait voir des troupes à moitié battues. Enorgueilli de la faveur de son maître et de la timide réserve de Napoléon, le jeune Dolgorousky parle d'un ton superbe, et va jusqu'à lui proposer la cession de la Belgique et de la couronne de fer. L'Em

pereur indigné se contient, et se plaît à l'enivrer des plus folles espérances. Le présomptueux favori redouble par son rapport la confiance d'Alexandre et de son quartier-général.

Kutusow, pour tourner l'armée française, fait défiler les Austro-Russes par une marche de flanc, sur une ligne de quatre lieues, en longeant nos différents corps qui semblaient ne pas oser quitter leurs positions. A la vue de cette imprudente manœuvre, Napoléon, montrant les lignes ennemies à ses maréchaux, s'écrie: « Cette armée est à nous! » Il annonce la bataille par cette proclamation :

« Soldats!

:

>> L'armée russe se présente devant vous pour venger » l'armée autrichienne d'Ulm. Ce sont ces mêmes ba>> taillons que vous avez battus à Hollabrunn, et que depuis vous avez constamment poursuivis jusqu'ici. >> Les positions que nous occupons sont formidables, et >> pendant qu'ils marchent pour tourner ma droite, ils >> me présenteront le flanc. Soldats! je dirigerai moi-même » tous vos bataillons je me tiendrai loin du feu, si, » avec votre bravoure accoutumée, vous portez le dé»sordre et la confusion dans les rangs ennemis; mais » si la victoire était un moment incertaine, vous verriez >> votre Empereur s'exposer aux premiers coups; car la » victoire ne saurait hésiter, dans cette journée surtout » où il y va de l'honneur de l'infanterie française, qui >> importe tant à l'honneur de toute la nation. Que, sous >> prétexte d'emmener les blessés, on ne désorganise pas » les rangs, et que chacun soit bien pénétré de cette

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