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Une double vie semble dès-lors prendre possession de l'homme la vie organique, la chaleur vitale, qui constituera l'âme inférieure de tous les êtres vivants; puis le souffle de la vie, inspiré par Dieu même, qui devient l'âme active et libre, douée de la faculté de penser, de concevoir l'infini, et d'aspirer à lui comme à sa source suprême. C'est cette âme inspirée, qui distingue l'homme du reste des êtres vivants. Dès son entrée dans la vie, elle lutte contre le temps. Aux prises avec les événements, quand elle semble succomber sous les coups, elle contemple l'Etre infini, et alors tous les orages s'apaisent, car elle se sent en possession de l'immortalité.

L'histoire de Prométhée n'est qu'un pâle reflet de cette sublime création. La statue qu'il édifie, le feu vivifiant qu'il veut dérober au ciel nous peint le double élément de la nature humaine, dont l'un n'a jamais été à la disposition de l'homme. L'effort de Prométhée pour le ravir, le châtiment qui nous le montre ensuite au cœur éternel incessamment dévoré, n'est-ce pas cette chute de l'orgueil que nous allons retrouver encore dans le livre de Moïse, qui frappe l'humanité, dont Prométhée n'est que l'image. Cet écho lointain de la pensée de Moïse nous reproduit, sous des traits affaiblis et dans une personnification symbolique le grand drame qui s'engage entre l'homme et Dieu. Mais ce qui reste, c'est le trait distinctif du feu vivifiant qu'il s'agit d'arracher à Jupiter, c'est le fluide divin, c'est l'esprit, c'est l'âme, dont l'essence est la vie, qu'un jour Platon saura bien reconnaître, et que Tacite, analysant la

pensée de Moïse et les croyances des Juifs, nous retrace en deux mots : Animasque, prælio aut suppliciis peremptorum, æternas putant (1).

:

Telle est donc la psychologie de Moïse une double origine, une double nature, que saint Paul appellera plus tard l'esprit et la chair. Voilà le principe de ce conflit, de ce grand dualisme qui agite la conscience humaine, la lutte du bien et du mal. Quand nous serons arrivés au temps des apothéoses, nous verrons d'autres psychologues, et puis Manès, diviniser ces deux tendances de l'homme, et l'esprit sera Ormuz, et la chair s'appellera Arimand. Et formant la création sur ces deux éléments divinisés, le monde ne sera plus qu'un vaste antagonisme, une perpétuelle contradiction, la vie sera le combat; tout aura été créé, excepté l'ordre. C'est qu'ils portaient dans la divinité et dans la nature, ce qui n'est qu'au fond du cœur de l'homme, une double tendance, une double aspiration, qui, agissant sur la volonté, constitue dans son action la vie. morale, le domaine de la liberté.

Moïse, dans sa psychologie profonde, ne s'y est pas trompé.

Je place maintenant Moïse en présence du dix-neuvième siècle; il demande à son tour à la philosophie questionneuse : Qu'est-ce que l'homme? Au dix-huitième siècle, lui répond la philosophie, je faisais l'homme sensualiste, matérialiste, athée; au dix-neuvième, j'hésite entre le panthéisme et le spiritualisme; cepen

(4) Hist. 1. 5, no 5.

dant je penche vers le spiritualisme, et mon dernier mot scientifique est pour votre psychologie.

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Ainsi donc astronomie, physique, géologie, philosophie, sciences de l'expérience humaine, vous avez parcouru toutes les hypothèses pour revenir au premier livre, au premier philosophe, à Moïse!

Telle est, dirons-nous avec Moïse, la génération des choses créées, la seule que puisse accepter la raison humaine. Et pourquoi? parce qu'elle est la plus simple, la plus logique, la moins surchargée de merveilleux. On ne peut sortir du mystère de l'origine des choses, sans rencontrer un prodige; quoi que fasse la raison humaine, elle est, dès son premier pas, condamnée à heurter un miracle; toutes les théories y aboutissent invinciblement, fatalement. Or il n'en est point qui réduise ce prodige à une loi plus simple, à une succession de phénomènes plus logique, à un système plus positif et plus rationnel, que le tableau qui nous en est tracé par Moïse. C'est à cette unité de développements progressifs que nous devons reconnaître le plan divin. L'homme illustre qui, l'un des premiers, a ouvert la carrière aux savants, qui les a appelés à l'étude des lois de la nature et de la formation du globe terrestre, qui, par son génie, a marqué du doigt les premières assises de la science géologique, a bien su, dans ses pressentiments que bientôt Cuvier devait élever à la hauteur de résultats scientifiques, reconnaître, malgré ses penchants aventureux, le cachet vrai, logique et supérieur de la narration de Moïse. Dans sa Théorie de la terre, Buffon nous fait entendre que « la description de

Moïse est une narration exacte et philosophique de la création de l'univers entier et de l'origine des choses. >> Cette conclusion du grand homme est la justification de notre pensée.

RAPPORT DE M. PERRON,

Secrétaire perpétuel,

SUR LES TRAVAUX DE L'ANNÉE.

MESSIEURS

Les causes qui, depuis trois ans, paralysent en France l'activité intellectuelle, n'ont point encore cessé. Leur persistance pourrait même faire croire que la torpeur qu'elles produisent est passée à cet état chronique qui laisse peu d'espoir de guérison. C'est peutêtre ainsi qu'en jugent les esprits superficiels; telle n'est pas la pensée de ceux qui sont habitués à scruter le fond des choses. Parmi ces fermes esprits, les uns, comme notre honorable président, ne voyant dans les révolutions que des crises qui passent comme celles des maladies et des passions humaines, prédisent pour un avenir prochain le rétablissement du calme, et avec lui la reprise des travaux de l'intelligence; d'autres, sans s'informer si la société rentrera dans ses voies ou se lancera dans une nouvelle carrière, demandent à l'histoire du passé le secret de l'avenir, et y lisent clairement que toutes les secousses politiques et sociales, après avoir momentanément suspendu la sève scientifique et littéraire, lui communiquent bientôt une nouvelle fécondité. Les merveilles du siècle de Périclès

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