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ÉLOGE

DE M. CH. DE ROTALIER,

Par M. l'abbé Besson.

MESSIEURS,

L'éloge des morts n'appartient d'ordinaire qu'à la postérité; cependant il est des hommes que leurs contemporains seuls peuvent louer dignement, parce que leur cœur fut encore meilleur que leur esprit, et qu'il n'importe pas moins d'apprécier leur caractère que de célébrer leurs ouvrages. Le tribut d'honneur que j'apporte, en votre nom, à la mémoire de M. de Rotalier, ne paraftra prématuré à personne; mais personne ne sent mieux que moi combien il est tardif et insuffisant. On ne vient jamais trop tôt pour rendre un hommage public au talent et à la vertu ; quand il s'agit de payer une dette d'affection, il est toujours trop tard.

Charles-Edouard-Joseph de Rotalier naquit à Villerpoz (Haute-Saône), le 31 mars 1804. Sa famille, alliée aux Bermont et aux Duras, s'honore d'avoir donné le jour à plusieurs officiers distingués. La vertu y est héréditaire, aussi bien que la noble profession des armes. Notre confrère, après avoir puisé dans les exemples

domestiques les premiers éléments d'une éducation chrétienne, commença ses études à Vesoul, en 1814, sous la direction de M. Peignot, l'un de nos plus savants bibliophiles. Il entra, l'année suivante, au collège de Besançon, qui devait alors au zèle de M. l'abbé d'Aubonne une réputation méritée. M. de Rotalier eut autant d'amis que de condisciples. Son caractère et sa conduite lui valurent l'estime de ses maîtres; mais aucun d'eux ne pressentit en lui une intelligence supérieure. N'en soyons pas surpris dans un âge où l'on ne couronne encore que l'espérance, les défaites comme les victoires ne sont pas sans retour. Beaucoup de jeunes gens cessent de travailler quand ils commencent à s'instruire; plusieurs au contraire ne cessent de s'instruire, dès qu'ils ont appris à travailler. Aux uns les palmes du collège, aux autres les applaudissements du monde.

M. de Rotalier avait choisi la meilleure part. Sa rhétorique à peine achevée, il quitta l'étude des lettres pour celle des sciences, et se prépara à l'école polytechnique, où il fut admis, en 1824, avec un rang honorable. Deux ans d'une application soutenue lui méritèrent la quatorzième place dans le classement de sortie. Ce succès ouvrait à son ambition les carrières qui mènent à la fortune; mais ses goûts personnels, les vœux de ses parents, le noble orgueil du nom qu'il portait, lui firent préférer le tumulte des camps au repos des emplois civils. Elève de l'école de Metz en 1826, il devint sous-lieutenant en 1829, et fut incorporé dans le 10 régiment d'artillerie.

La révolution de juillet frappa sa famille sans le dé

tourner lui-même de l'accomplissement de ses devoirs. Tout en demeurant fidèle à l'espérance comme au souvenir, il garda son épée, et mit au service de la France une plume qu'il n'avait essayée jusque là que dans le silence du cabinet. C'est de ce temps que datent ses premiers écrits. Il était question de supprimer l'école de Saint-Cyr, sous prétexte de donner aux soldats un avancement plus rapide. M. de Rotalier prouva, dans un Mémoire fort remarquable, que, si l'on recrutait les chefs dans l'armée et non dans les écoles, au lieu de former des colonels; on n'aurait plus que des souslieutenants. Il adressa son travail au ministre de la guerre, et reçut de lui une lettre de félicitation. D'autres voix s'élevèrent en faveur de Saint-Cyr, soit dans la presse, soit dans les chambres, et le gouvernement abandonna son projet.

Cependant le double attrait du danger et de la gloire entraînait vers l'Afrique tout ce qu'il y avait parmi nos armées de jeunesse, de valeur et de talents militaires. M. de Rotalier, devenu lieutenant, demanda et obtint du service en Algérie. Il partit de Toulon au mois d'octobre 1832, débarqua à Alger, et fit partie jusqu'au mois de février suivant de la garnison de la place. Son plus grand désir était de porter les armes contre les Arabes, lorsque de graves intérêts de famille l'obligèrent à donner sa démission. L'Etat y perdit un colonel; la FrancheComté y gagna un littérateur.

Rendu à la vie privée, le jeune officier ne pouvait rien oublier d'une terre qu'il avait saluée en poëte et étudiée en historien. Ses impressions nous valurent deux ro

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mans; ses souvenirs, une histoire. Le poëte parla le premier c'était le droit de l'âge et de l'imagination. Sous le nom de Charles de Bermont, il décrivit dans la Captive de Barberousse le climat de l'Algérie, si enchanteur et si perfide pour l'étranger, ses plaines brûlantes et inondées de lumière, ses myrtes, ses orangers, qui croissent sans culture, ses torrents où fleurissent des lauriers roses, ses sources précieuses et rares auxquelles un ciel ardent prête une fraîcheur nouvelle poétique tableau où se mêlent, par un contraste habile, des intrigues de palais, des scènes de jalousie, d'ambition et de cruauté.

La civilisation chrétienne eut sur la terre d'Afrique, même dans les siècles les plus barbares, des héros, des martyrs inconnus à l'Eglise. C'étaient des frères de la Merci qui succombaient en travaillant au rachat des captifs, des prêtres obscurs, coupables d'avoir annoncé le vrai Dieu aux sectateurs de Mahomet, des vierges arrachées par un pirate aux bras de leurs mères, et bientôt réduites à choisir, dans le palais d'un mattre farouche, entre l'apostasie et la mort. Ces données historiques, si fécondes en scènes émouvantes, n'avaient pas échappé à M. de Rotalier. Un jour, en se promenant aux environs d'Alger, il remarqua une pierre tumulaire sur laquelle on distinguait quelques caractères latins, à demi effacés. Il interrogea les habitants du pays: C'est le tombeau de la Romaine, lui répondit-on. Romain, dans la langue des Arabes, signifie chrétien. Notre compatriote s'empara de cette tradition, et composa une seconde nouvelle encore inédite, intitulée la Fille du

Dey. Je regrette que le temps ne me permette pas d'en citer quelques passages. Vous y sentiriez, non sans émotion, la douce influence du christianisme qui combat, par la faiblesse d'une femme, l'orgueil, l'ignorance et la volupté personnifiés dans la force brutale d'un tyran. Plus d'un endroit de cet ouvrage rappelle les caractères, les situations, les mouvements de la tragédie de Zaïre. L'histoire succéda au roman. Déjà les événements postérieurs à la conquête d'Alger avaient fourni matière à beaucoup d'écrits, mais personne n'avait encore raconté, d'une manière méthodique et complète, les annales de la Régence. M. de Rotalier entreprit cette tâche difficile. Remontant à l'origine de la puissance barbaresque, il fait voir comment, au milieu des catastrophes du xvre siècle, douze mille corsaires accoururent à Alger de toutes les parties du monde : amas honteux de brigands dont on ne connaissait pas les pères et qui ne connaissaient pas leurs fils, soldats sans famille, despotes sans héritiers, espèce de corporation sans lien religieux, condamnés par la loi au célibat, et s'en dédommageant par les mœurs les plus dissolues. Tributaires de la Porte, ils parvinrent à se faire payer un tribut par la plupart des grands Etats de la chrétienté. Leurs pirateries excitèrent longtemps le courroux des rois avant d'encourir leur vengeance. Charles-Quint se promit vainement d'asservir les côtes de l'Afrique, Ximenès les abandonna, Louis XIV se contenta de les bombarder; Napoléon, qui les couvait de son regard d'aigle, les fit reconnaître, en dressa la carte et y marqua le point de débarquement. Il était réservé à un Bourbon de les conquérir, à la

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