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RÉPONSE DE M. LE PRÉSIDENT.

MONSIEUR,

Vos qualités personnelles, vos essais historiques ne pouvaient être méconnus de l'Académie. A ces titres vous en joignez un autre qui est d'un grand prix à ses yeux : c'est votre service auxiliaire et permanent près du conservateur de nos richesses littéraires, celui des membres de cette compagnie autour de qui, depuis nombre d'années, pivotent pour s'agrandir toutes nos jeunes intelligences. Je ne dissimulerai pas que dans ma pensée vous êtes encore l'objet d'une troisième considération. Par une alliance qui a eu ses douceurs et ses amertumes, comme toutes les affections de ce monde, vous avez appartenu à la famille de l'un de ces hommes d'élite. dont je parlais tout à l'heure. En rappelant ce que fut M. Bailly, je pressentais que ce souvenir devait aller à votre cœur. Il me semble que nous retrouvons quelqué chose de ce bien-aimé confrère, et dans votre personne, et dans celle de votre fils, qui peut un jour prendre son aïeul pour modèle, et qui déjà reçoit de vous de précieux exemples. Continuez, Monsieur, de pratiquer les vertus modestes qui vous caractérisent, d'être utile à vos concitoyens, de vous livrer aux goûts studieux dont vous venez encore de nous donner une preuve, et vous mériterez de plus en plus les sympathies que je suis heureux de vous manifester.

CAMPAGNE DE MARENGO,

FRAGMENT

D'UNE HISTOIRE INÉDITE DE NAPOLÉON,

Par M. MARTIN, de Gray (1).

En Italie, la fortune, mais non la gloire, abandonnait nos armes. Mélas, qui commandait les plus grandes forces de l'Autriche, laissant des troupes pour couvrir le Piémont et les défilés des Alpes, s'avança vers l'Apennin contre l'armée française, qui, sous Masséna, gardait la Ligurie et les Alpes maritimes. Avec des forces trois fois plus nombreuses, il perce de Cairo sur Savone, et coupe ainsi notre ligne de défense. Suchet, avec la

(1) M. Pérennès a fait précéder la lecture de cet extrait, des paroles suivantes :

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« Messieurs,

Le morceau dont je vais avoir l'honneur de vous donner lecture, nous a été adressé par M. Martin, de Gray, ancien député et membre correspondant de l'Académie. C'est un nouveau témoignage du zèle bienveillant avec lequel cet honorable confrère s'associe à nos travaux, et veut, quoique absent, payer son tribut à nos séances.

Le public s'associera, je n'en doute pas, aux remercîments que je lui adresse ici en votre nom. »

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gauche, fut séparé du reste de l'armée, et Masséna, contraint de se renfermer dans Gênes. Ott, qui avait repoussé notre droite, s'était témérairement avancé sur les hauteurs qui dominent la place, et avait investi les forts qui la couvrent. Masséna le prend à revers, le chasse de position en position, le précipite dans les ravins, et rentre à Gênes avec quinze cents prisonniers, des canons, des drapeaux, au milieu des acclamations du peuple. Pour rétablir ses communications avec Suchet, il livre ensuite plusieurs combats, où la perte de l'ennemi fut double de la sienne, et ne s'arrête qu'en reconnaissant l'impossibilité du succès.

Bientôt Mélas, déployant toutes ses forces, tente une dernière attaque; il surprend, cerne, emporte les hauleurs et les forts des entours de la ville, tandis que l'amiral Keith fait pleuvoir sur un des quartiers une grêle de boulets. Le peuple était consterné; mais Masséna, dont l'audacieux génie s'enflammait au moment du péril, se met à la tête de nos soldats affaiblis par la disette et les maladies, et après d'opiniâtres combats, où quatre mille Autrichiens furent tués, blessés ou pris, il reconquiert toutes ses positions, et rentre triomphant dans la ville, précédé des échelles que les assiégeants avaient préparées pour l'escalade. Mélas laissa le général Ott avec trente-cinq mille hommes pour bloquer la place, et avec les trente mille qui lui restaient, il se porta contre Suchet. Celui-ci, bien qu'il n'eût que huit à neuf mille braves, disputa le terrain pendant seize jours; mais se voyant débordé sur les hauteurs par les Impériaux, et sur la côte par la flotte anglaise, il fut forcé de

rétrograder et de se replier derrière le Var. Mélas entra dans Nice, et les Autrichiens, ivres d'orgueil et de joie, se croyaient déjà maîtres du midi de la France.

La disproportion et la distribution de nos forces, l'épuisement de nos ressources sous le dernier gouvernement, le misérable état de l'armée d'Italie, tout faisait croire que Bonaparte n'entreprendrait dans la Péninsule qu'une guerre défensive. Le premier Consul, dont le plan ne pouvait réussir que par un profond secret, ne néglige rien pour entretenir cette erreur. Il veut rendre invisible aux yeux innombrables de l'espionnage anglais et autrichien, une armée de soixante mille hommes, la transporter au-delà des Alpes, tomber comme la foudre au milieu de l'Italie, dissiper l'armée de Mélas après l'avoir coupée de l'Autriche, et, d'un seul coup, reconquérir la Péninsule. Pour mieux cacher son dessein, il le divulgue : il annonce dans ses messages au sénat et au corps-législatif ses préparatifs d'une armée de réserve, et publie dans tous les journaux qu'il va la rejoindre à Dijon et la passer en revue. Dans cette ville, il est vrai, se trouvaient le général en chef Berthier et son état-major; mais la plupart de nos différents corps, adroitement disséminés, n'y parurent point, et lorsque le premier consul se rendit à Dijon, il n'y avait que sept à huit mille conscrits ou invalides; et cette armée, si fastueusement annoncée, objet de raillerie pour les ennemis, ne leur sembla qu'un moyen de diversion au blocus de Gênes. Tel fut le secret dont Bonaparte enveloppa son entreprise, que ses ministres,

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excepté peut-être celui de la guerre, et que les chefs de l'administration militaire l'ignoraient eux-mêmes.

Après avoir passé en revue à Dijon un simulacre d'armée, le premier consul vole sur les bords du lac Léman. Láil trouve l'avant-garde de la véritable armée de réserve, montant à sept ou huit mille hommes, et commandée par Lannes. Il fait défiler devant lui cette troupe d'élite, composée de vieux régiments, étrangers à nos derniers désastres et toujours invincibles, qui l'accueillent avec enthousiasme. Il écoute ensuite patiemment un long rapport du général Marescot, chargé de la reconnaissance des Alpes. Tous les lieux comparés, ce grand ingénieur se prononçait pour le passage du SaintBernard; mais il ne dissimulait point combien il était difficile. « Est-il impossible? lui dit le premier consul. Non, répondit Marescot. - Partons! » s'écria Bonaparte, en se levant brusquement de son siége.

Notre armée, formée en secret de corps épars, et échelonnée sur une route dont elle ignorait le but, marche rapidement vers les Alpes par diverses directions; et après avoir longtemps cheminé dans des gorges affreuses, elle arrive au pied du mont Saint-Bernard. De toute cette chaîne de montagnes que la nature semble avoir entassées pour défendre l'Italie, le Saint-Bernard forme son plus grand et plus inexpugnable boulevard, et jusqu'à ce jour, on l'avait cru inaccessible à une

armée.

A l'aspect de ces monts gigantesques, chargés de glaces éternelles, entrecoupés d'abîmes sans fond, où des torrents s'engouffrent avec d'horribles rugissements,

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