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l'intérêt particulier fait le reste. Que faut-il pour cela? lui faire arriver gratis des ouvrages instructifs, mis à sa portée, et lui donner chez lui, dans sa grange ou au milieu de son champ, l'enseignement oral (1). Depuis quinze ans, notre département est en possession de ces précieuses ressources, et les améliorations déjà réalisées prouvent l'efficacité des moyens employés. En effet, notre hectare de froment, qui ne rendait pas douze hectolitres il y a vingt ans, en donne quinze maintenant. Nos fromageries se multiplient, et elles fabriquent à présent au moins un million de kilogrammes de plus qu'il y a douze ans. L'exportation de nos bestiaux de l'espèce bovine augmente chaque année, bien que la consommation de la viande dans nos campagnes soit dix fois plus grande qu'il y a vingt-cinq ans. Enfin, par l'augmentation des récoltes fourragères de toute nature, nos animaux et nos engrais sont doublés depuis trente ans. C'est ainsi, Messieurs, que tout se lie et s'enchaîne ; un progrès en appelle un autre. Les intérêts matériels en agriculture conduisent aux intérêts moraux, parce que le goût du travail, que les bénéfices feraient naître au besoin, s'il n'existait pas naturellement chez les cultivateurs, éloigne de l'oisiveté et prévient tous les vices qu'elle engendre; parce que l'aisance permet une instruction et une éducation morale, dispose aux bonnes mœurs, retient les enfants sous le toit paternel, raffermit l'amour

(1) Nous avons posé cet enseignement dans les statuts du comice de Busy, organisé le 26 mars 1856; et, dès cette époque, nous avons professé l'agriculture au milieu des cultivateurs.

de la famille, et donne à tous ses membres l'esprit d'ordre nécessaire au service de toutes les opérations.

Encore un mot pour terminer :

Il est remarquable, Messieurs, que les bienfaits de l'agriculture ne sont jamais mieux appréciés que dans les siècles de révolutions. A Rome, ce fut après les sanglantes dissensions du triumvirat, que Virgile, secondant l'habile politique d'Auguste, célébra en beaux vers l'art de féconder les champs. Ce fut après les guerres civiles et religieuses du xvre siècle, qu'Olivier de Serres éleva la voix pour inviter ses concitoyens à se livrer aux travaux des champs, et pour appeler la bénédiction du ciel sur le sol français qu'il enseignait à cultiver. Aujourd'hui, Messieurs, en présence du déplacement opéré dans les populations par le développement excessif de l'industrie, tous les esprits élevés s'accordent à reconnaître l'heureuse influence que l'agriculture peut produire sur le rétablissement de l'équilibre social. Micux que personne vous l'avez comprise, Messieurs, et en m'admettant à l'honneur de siéger dans cette compagnie, vous avez voulu sans doute donner un nouveau témoignage de l'intérêt éclairé que vous portez au premier des arts utiles.

RÉPONSE DE M. LE PRÉSIDENT.

Monsieur le docteur,

Il est des récompenses qui pour être tardives n'en sont que mieux méritées, surtout lorsqu'elles n'ont été l'objet d'aucune sollicitation. De ce nombre est la haute distinction que vous avez le plus récemment obtenue; de ce nombre est celle que l'année dernière vous avez reçue de l'Académie de Besançon. L'homme dévoué aux intérêts de l'agriculture, que depuis plus longtemps une foule de sociétés savantes ont voulu compter parmi leurs associés, ne pouvait manquer d'appartenir enfin à la corporation qui lui donne pour confrères des compatriotes.

L'enseignement que vous avez répandu dans nos campagnes, les publications que vous avez consacrées au perfectionnement du premier de tous les arts, sont des titres à côté desquels beaucoup de plus éclatants n'ont rien de supérieur qu'en apparence. Ce que vous nous avez dit dans cette assemblée achève de démontrer combien ont été sérieuses vos études de prédilection. En vous ouvrant ses rangs, l'Académie vient de prouver encore que ses préférences ne sont pas toutes en faveur des briliants succès qui portent plus de fleurs que de fruits, et qu'elle sait aussi rendre hommage aux labeurs utiles dont vous avez donné de si précieux exemples.

FRAGMENT D'UN DISCOURS

SUR

LA LITTÉRATURE CONSIDÉRÉE DANS SES RAPPORTS AVEC LES MŒURS (1),

PAR M. LÉON DUSILlet.

On a dit que la littérature était l'expression des mœurs d'une société oui, d'une société déjà intelligente, car une peuplade qui se forme n'a point de littérature. Peu de mots lui suffisent pour exprimer des besoins qui ne sont pas encore des caprices; sa langue n'est certes pas riche, mais la métaphore y surabonde. Le style figuré, que les prosateurs à l'envi rabaissent, est plus naturel qu'on ne pense. La première fois que les hommes prièrent en chœur ou célébrèrent une ac tion d'éclat, cette prière et ces louanges durent exhaler un parfum de poésie, mais elles n'avaient rien du rhythme ni de la mesure de nos vers. Le langage alors était presque tout de comparaisons et d'images qui suppléaient à la stérilité des mots.

Nul doute que ces chants ne fussent monotones.

(1) Ce fragment de discours n'aurait point dù paraître ainsi mutilé. C'est moins d'ailleurs un discours qu'un essai composé de trois parties: la première commence à la Genèse et finit à l'Ilade; la seconde finirait au siècle de Léon X, et la troisième au règne de Napoléon. Cet essai sera-t-il jamais achevé? Il n'est pas aisé de peindre quand l'âge affaiblit les yeux et ternit les couleurs.

Ecoutez même aujourd'hui le chant des villageois! il est triste. On dirait que l'homme exilé sur la terre n'ait reçu la voix que pour se plaindre. Les arts qu'il inventa finirent par le consoler, et peu à peu le pervertirent, car ils amenèrent le luxe qui mine les empires et détruit les plus hautes cités. Où sont maintenant Suze et Babylone? Où sont Tyr et Persépolis, cité lumineuse des Hystaspides? Les livres saints nous apprennent que ces villes furent criminelles, mais ils ne parlent point de leur littérature oubliée. On a retrouvé naguère, sous les débris de Ninive, des bas-reliefs et des restes de sculpture qui indiquent le progrès plus que la perfection des arts; mais on n'a point retrouvé d'utiles manuscrits. La littérature d'un peuple condamné n'a point laissé de traces; et tout ce qu'on peut lire sur la tombe entr'ouverte de Ninive, c'est la prédiction de Jonas, c'est la sentence de Balthasar, c'est l'épitaphe d'une ville entière: Ci-gît qui fut maudit de Dieu!

Un voile impénétrable aurait couvert les grandes scènes de la création et du déluge, si la Bible ne les avait point conservées. Gloire donc à cette Bible, qui est tout ensemble un code religieux et le premier recueil de lois écrites! Gloire à ce chef-d'œuvre de littérature, à ce vaste dépôt des annales d'un monde naissant et d'un monde déjà vieux! Les prêtres de l'Inde y puisèrent l'idée d'un Etre suprême, créateur de la terre et du ciel, et dont Brama est l'esprit. D'autres peuples suivirent cet exemple; ils imaginèrent une théogonie fantastique, et de vils simulacres reçurent, sous les noms de Bel ou de Mithra, l'encens des aveugles humains.

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