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des lettres qui, déjà pleins de sève et d'abondance, viendront un jour s'asseoir dans ses rangs, se nourrir de ses meilleures doctrines, partager sa tâche, attiser avec elle ce feu sacré qu'autant que nulle autre elle est jalouse de ne point laisser s'éteindre, et qui sous leurs mains grandira peut-être pour briller d'un nouvel éclat.

DISCOURS DE RÉCEPTION

DE M. BONNET.

MESSIEURS,

Lorsque vous m'avez fait l'honneur de m'appeler à siéger au milieu de vous, sans exiger de moi des titres. littéraires, vous avez voulu sans doute honorer l'art utile auquel je consacre tous mes moyens depuis vingt ans. Vous m'avez tenu compte des services que j'ai pu rendre dans l'enseignement de l'agriculture, ou du zèle avec lequel, malgré de nombreux obstacles, j'ai cherché à répandre dans la campagne des vérités utiles aux cultivateurs. Profondément touché de l'honneur que vous m'avez fait, et qui est pour moi une douce récompense, j'éprouve aujourd'hui le regret de ne pouvoir vous en exprimer ma gratitude d'une manière digne de vous. Mais, Messieurs, ce n'est pas un discours académique que vous attendez de moi; d'autres confrères traiteront devant vous, avec le goût et l'élégance qui distinguent leurs productions, des matières d'histoire, de philosophie, de littérature et de beaux-arts. Pour moi, je ne puis et je ne dois vous parler que de l'art qui nourrit les hommes. Vous m'excuserez si j'ose en parler avec la simplicité que le sujet autorise.

Vous savez, Messieurs, combien l'agriculture était

honorée chez les anciens, et quelle place ils ont donnée dans leur littérature aux travaux, préceptes et descriptions qui s'y rattachent. Leurs grands poëtes ont célébré sur tous les tons les occupations et les plaisirs de la vie des champs, et plusieurs de leurs écrivains les plus estimés ont consigné dans leurs ouvrages d'économie rurale, des observations utiles et des préceptes qui n'ont point vieilli. On lit avec un curieux intérêt les détails donnés par Hésiode, sur les travaux des laboureurs dans le siècle d'Homère. Les ouvrages de Varron, de Pline, de Caton, de Columelle peuvent encore être consultés avec fruit. Ce que dit Virgile, dans ses Géorgiques, des merveilles de la greffe, des assolements, des engrais, de la préparation et du renouvellement de la semence, des troupeaux, des vignes, des abeilles, des jardins du vieillard de Tarente (1), du bonheur de la vie rustique (2), intéressera toujours les personnes qui voudront sérieusement étudier l'agriculture. Le poëte latin, en nous faisant connaître les meilleurs procédés employés de son temps pour féconder la terre, nous fournit un terme de comparaison pour apprécier les progrès qui se sont accomplis après lui.

(1) En parlant de ce vieillard, Virgile dit :

Un jardin, un verger, dociles à ses lois,

Lui donnaient le bonheur, qui s'enfuit loin des rois.
Jamais Flore, chez lui, n'osa tromper Pomone,

Chaque fleur du printemps était un fruit d'automne.

(2) Qui ne connait les vers de Virgile sur le bonheur des agriculfeurs ?

Sua si bona norint.......

Rien ne manquerait à leurs biens,

S'ils savaient les connaître.......

Les maîtres du monde connaissaient l'importance de l'agriculture, et leurs conquêtes avaient peut-être quelquefois autant pour but les approvisionnements de subsistances, que la gloire ou un accroissement de puissance. Après l'invasion des barbares, au milieu des sanglantes agitations qui, durant le moyen-âge, ne cessèrent de faire trembler le sol européen, l'agriculture, qui ne trouvait qu'à l'ombre des monastères la sécurité dont elle a besoin, ne put se développer que lentement. Toutefois, dans l'intervalle qui sépare la chute de l'empire romain du XVIIe siècle, on peut remarquer quelques circonstances favorables, qui eurent pour effet d'augmenter ses richesses et de lui donner une heureuse impulsion. De ce nombre sont l'importation du sarrazin ou blé noir, que les Croisés nous apportèrent de l'Orient; celle du maïs, présent précieux que le Nouveau-Monde a fait à l'ancien, et l'introduction du murier, dont la feuille nourrit le ver qui produit la soie. A ces causes il faut ajouter l'influence du règne pacifique et populaire de Henri IV. On sait quelle importance ce grand prince, assisté d'un grand ministre, attachait à la prospérité Je l'agriculture française. On connaît cette rude remontrance qu'il adressa à des capitaines, au sujet de mauvais traitements exercés par quelques soldats contre des paysans « Si vous maltraitez les cultivateurs, qui vous »> nourrira, Messieurs? Ventrebleu! qui s'en prend à » mon peuple, s'en prend à moi. »>

Plusieurs mots heureux de ce prince attestent qu'il s'occupait activement d'améliorer le sort des cultivateurs. Les édits de 1599 et 1607, relatifs au dessèche

ment des marais et au défrichement des terres incultes, témoignent de son zèle éclairé pour le progrès de l'agriculture. Henri IV n'eut pas seulement le bonheur d'avoir Sully pour ministre, il encouragea et honora d'une affection particulière Olivier de Serres, patriarche des écrivains agronomes, qui, après avoir consacré sa vie à cultiver les terres que ses concitoyens arrosaient de sang français, et avoir introduit dans sa patrie la culture du mûrier, publia le Théâtre d'agriculture, ou le Ménage des champs, ouvrage plein d'observations judicieuses et d'utiles préceptes, qui devint le livre favori de Henri IV. Mais tous les efforts de ce prince, secondé par des hommes si éminents, ne produisirent que des résultats passagers. Les moyens de progrès agricole qu'il voulut mettre en honneur, furent abandonnés après lui, et le même sort était réservé à toutes les bonnes idées, à tous les projets utiles à l'agriculture, jusqu'à l'époque où la pomme de terre fut enfin naturalisée sur notre sol. L'Académie de Besançon eut l'honneur de s'associer à la gloire de Parmentier, et de l'encourager par le prix qu'elle lui décerna, dans la lutte qu'il eut à soutenir, pendant nombre d'années, contre l'ignorance des uns et le préjugé des autres. La victoire resta à cet ami de l'humanité, et cette victoire a porté ses fruits. La France s'est enrichie du pain providentiel des pauvres, qui est devenu aussi l'aliment journalier du riche.

Les sciences sont venues à leur tour éclairer l'agriculture. Les découvertes des éléments de l'air et de l'eau ont jeté un grand jour sur les phénomènes de la végétation, les moyens de nourriture des plantes et

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