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dette et de créance qui a opéré ipso facto la compensation de l'une par l'autre.

Encore une fois, l'art. 24 prouve, avec la plus grande évidence, qu'en cette matière, il ne peut pas s'opérer de compensation, et que l'Etat ne peut ni ne doit appliquer les revenus séquestrés qu'il touche, au paiement du droit qui lui est acquis.

Et en effet, pour qu'il y ait compensation, il faut qu'il y ait concours de dettes liquides de part et d'autre. Or, tant que les héritiers n'ont pas fait la déclaration que leur prescrit la loi, le droit de mutation dont ils sont grevés, n'est pas et ne peut pas être liquide. Il ne peut conséquemment pas être compensé par les revenus que perçoit l'Etat pour le compte des héritiers dont les biens sont sous le séquestre.

Mais, dit-on, ce n'est point aux héritiers, dans ce cas, à faire la déclaration, la régie est elle-même chargée de ce soin.

Vaine défaite. L'art. 24, on ne saurait trop le répéter, décide textuellement que les héritiers doivent faire la déclaration dans les six mois qui suivent la levée du séquestre; elle dé· cide par conséquent que la déclaration n'a pas dû, pendant la durée du séquestre, être faite par la régie.

Il est donc bien constant que, pour les suc cessions ouvertes et séquestrées depuis la loi du 22 frimaire an 7, la Prescription ne court pas contre la régie tant que le séquestre n'est pas levé, tant que les héritiers ne sont pas mis en possession.

A l'égard des successions ouvertes et séquestrées avant cette loi, et sous l'empire de celle du 5-19 décembre 1790, la question n'est pas plus difficile à résoudre; et elle doit évidem

ment recevoir la même solution.

L'art. 18 de la loi du 5-19 décembre 1790 porte que les cinq ans fixés pour le recouvrement des droits de mutation par décès, doivent se compter du jour de l'ouverture de ces droits. Or, de quel jour les droits de mutation sont ils ouverts relativement à une succession séquestrée? Ils ne le sont certainement pas du jour du décès de la personne dont la succession est frappée de séquestre. Tant que la succession est séquestrée, il demeure incertain, ou s'il en reviendra quelque chose aux héritiers, ou quels sont les biens qui leur en reviendront.

Il demeure incertain s'il leur en reviendra quelque chose, dans le cas où le séquestre a été apposé pour assurer le recouvrement d'une créance nationale, puisque, le séquestre te

nant, on ignore si la créance n'absorbera pas la totalité des biens. Telle était l'espèce de l'arrêt du 2 ventôse an 11, dans l'affaire des veuve et héritiers Veymeranges.

Et dans le cas où le séquestre a été apposé à raison des droits de l'Etat dans une hérédité dévolue partiellement à des émigrés, il demeure incertain quels sont les biens qui en reviendront aux héritiers, puisqu'alors ces biens ne peuvent être déterminés que par un partage, et que le partage seul peut faire connaître à chaque héritier, la nature, la consistance et la valeur des objets qui entreront dans son lot.

Ainsi, dans l'un et l'autre cas, nulle possibilité de régler, de liquider, de percevoir le droit de mutation; dans l'un et l'autre cas, par conséquent, le droit de mutation n'est pas exigible, tant que dure le séquestre; et par conséquent encore, dans l'un et l'autre eas, tant que dure le séquestre, le droit de mutation ne peut pas être considéré comme

ouvert.

Il est vrai que la régie a reconnu, dans un mémoire du 22 vendémiaire an 10, « que l'art. 24 de la loi du 22 frimaire an 7, qui ne fait >> courir le délai de six mois qu'à compter du jour de la mise en possession de l'héritier qui » recueille des biens séquestrés, n'est pas appli» cable au cas d'une succession ouverte en l'an » 2; que des décisions ministérielles rendues » dans ce sens pour des époques antérieures à » cette loi, n'ont pu altérer l'effet de celle du 5-19 décembre 1790, qui limite à cinq années, » sans distinction d'aucune circonstance, le » temps après lequel laPrescription est acquise».

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que

Mais la régie ne parlait ainsi à cette époque, et elle l'a déclaré elle-même en termes exprès, que parceque, jusqu'à cette époque, Ic tribunal de cassation avait décidé, par ses arrêts des 26 frimaire et 9 ventôse an 8, le délai de la Prescription courait nonobstant le séquestre. En tenant un semblable langage, elle n'a pas nui, elle n'a pas pu nuire aux intérêts de l'Etat. C'était, de sa part, une erreur qu'il est toujours temps de rectifier; et cette erreur est aujourd'hui bien rectifiée en effet, puisque c'est précisément pour des successions ouvertes et séquestrées sous l'empire de la loi du 5-19 décembre 1790, qu'ont été rendus les arrêts de la cour de cassation, des 6 floréal an 10, 2 ventôse et 3 messidor an II.

Ainsi, en dernière analyse, la jurisprudence actuelle de la cour de cassation est aussi constante qu'il est possible de le désirer, sur lą question dont il s'agit; et tout concourt à

prouver que cette jurisprudence doit être maintenue (1).

§. X. 10 Questions sur la Prescription des servitudes.

2o Peut-on acquérir, par Prescription, un droit d'usage sur le fonds d'autrui ? 30 Questions sur la libération des servitudes et des droits d'usage par la Prescription.

40 Peut-on, tant que l'on possède un objet ou un droit acquis par un contrat synallagmatique, prescrire la libération de la charge moyennant laquelle on est devenu possesseur de cet objet ou de ce droit ?

5o L'emphyteote temporaire peut-il prescrire, contre son bailleur, la libération de la redevance qui forme le prix de son bail?

60 Peut-il la prescrire contre le tiers à qui son bailleur a cédé cette redevance?

I. Sur le premier objet, V. l'article Servitude.

II. Sur le second, V. l'article Usage (Droit d'), §. 7.

dont il n'est que l'écho, le cas où l'obligation résulte, comme ici, d'un contrat synallagmatique; vainement prétendrait-on que, tant qu'un pareil contrat est exécuté par l'une des parties, l'autre ne peut pas acquérir, par la Prescription, le droit de ne pas l'exécuter ellemême.

Je sais bien que ce système pourrait être étayé de suffrages imposans.

Je sais bien que le président Favre dit expressément dans son Code, liv. 7, tit. 13, défin. 20, que, Si debitum contractum est_con= tractu ultró citróque obligatorio, cùm ex porte uná jam satisfactum est, fieri non potest ut contractus, qui jam ex uná parte impletus est, ex alterá præscribatur.

Je sais bien que le président de Salvaing, dans son Traité de l'usage des fiefs, chap. 94, après avoir établi que, relativement à la faculté de prescrire l'obligation résultant d'un contrat de l'exécution duquel on profite, il faut distinguer ce qui est de l'essence de l'acte, d'avec ce qui y est purement accidentel, et avoir justement conclu de là que l'acquéreur de l'obligation de payer le prix de la vente(1), peut se libérer, par la Prescription de 30 ans. ajoute :

III. Sur le troisième, V. l'article Usage reçoit une limitation; car si les conventions «Mais la distinction que nous venons de faire, (droit d'), §. 8.

IV. La question de savoir si, après avoir acquis un objet ou un droit par un contrat synallagmatique, on peut, tout en continúant de jouir de cet objet ou de ce droit, prescrire la libération de la charge qui en a formé le prix, paraît devoir être résolue sans hésitation pour l'affirmative.

Il est vrai qu'on ne peut pas prescrire contre son titre; mais ce n'est, comme le dit l'art. 2240 du Code civil, conformément aux anciennes règles, qu'en ce sens que l'on ne peut point se changer à soi-même la cause et le principe de sa possession; et il n'en est pas moins constant, comme le déclare l'art. 2241 du même code, également puisé dans l'ancien droit (2), qu'on peut prescrire contre son titre, en ce sens que l'on prescrit la libération d'une obligation que l'on a contractée.

Vainement chercherait-on à excepter de la disposition de ce dernier article, ou, ce qui est la même chose, de la règle de l'ancien droit

tiennent les parties respectivement obligées à faire chacune quelque chose et que le contrat tombe dans la nature de celui que les grecs appellent synallagma, c'est-à-dire, obligatoire de part et d'autre, alors si Titius a accompli de sa part ce à quoi il s'est obligé par l'acte, Sempronius doit exécuter aussi de sa part ce qu'il a promis, sans qu'il puisse alléguer qu'il est en possession de ne pas le faire et qu'il en a prescrit l'exécution.

» Et Conan, écrivant sur la loi 7, §. 2, D. de pactis, lib. 2, cap. 5, sub littera G. parlant des ces conventions obligatoires de part et d'autre, dit ce qui s'ensuit: Cùm autem aliquid jam dedi aut feci tuá causá, ut aliquid similiter mihi dares aut faceres, non de verbis jam quæstio est, sed de æquitate quæ non permittit ut ex rebus meis me invito lucrum facias; sic aut faciendum tibi est quod promisisti, aut quod med interest res

tituendum.

» Tellement qu'il faut tenir pour une maxime constante et indubitable que, toutes les fois (1) Elle l'a été en effet par tous les arrêts qui, depuis qu'il emploie pour fondement de son intenque quelqu'un produit un acte en justice,

l'impression de ce qu'on vient de lire, dans la seconde édition de ce recueil, ont prononcé sur la question V. le Répertoire de jurisprudence, aux mols Enregistrement (droit d' ), S. 32.

(2) V. le Répertoire de jurisprudence, au mot Prescription, sect. 1, §. 6, art. 3.

tion, ou qu'il en demande l'exécution, si, par cet acte, il est obligé à accomplir de sa part

71) V. le Répertoire de jurisprudence, à l'endroit cité.

quelque chose, alors il ne peut pas se défendre d'exécuter ce qu'il a promis, bien qu'autrement il eût pu s'en garantir par la force de la Prescription. Car comme les conventions réciproques sont corrélatives et dépendent mutuellement l'une de l'autre, et que la nature des corrélatifs est telle que, posez l'un, vous posez l'autre, ôtez l'un, vous ôtez l'autre, il s’ensuit de là que, demandant l'exécution de l'acte, vous ouvrez en même temps à votre partie la voie à en demander aussi l'exécution; et par ce moyen, vous vous départez de toutes Prescriptions que vous pourriez avoir acquises contre lui ».

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Je sais bien encore que Dunod professe la même doctrine dans son Traité des Prescriptions, part. Ire, chap. 8; et qu'après avoir rappelé le principe de l'ancien droit, renouvelé par l'art. 2241 du Code civil, que « ce » n'est pas prescrire contre son titre, que d'acquérir l'exemption des obligations qu'il im» pose », il continue en ces termes : « il faut en » excepter le cas de la réciprocité; et en effet, si le contrat est réciproque et synallag›matique, tandis qu'il est exécuté par l'un des » contractans, l'autre ne peut pas se défendre » de l'exécuter de sa part, sous prétexte de » Prescription; car il n'en peut point ac>> quérir en ce cas contre le titre commun, pendant qu'il en profite : c'est par la règle » des corrélatifs, et parceque la possession de >> l'un conserve celle de l'autre; ainsi, tandis » que l'on paie la redevance promise pour un » droit d'usage, on ne perd pas ce droit, quoi. » qu'on n'en use pas».

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Je sais enfin que c'est sur la même doctrine que se fondait Julien, dans son Commentaire sur les statuts de Provence, tome 2, page 422, pour établir qu'on ne pouvait rien exiger aux fours et moulins bannaux des seigneurs, au-delà des droits fixés par les titres constitutifs de la bannalité. « Il n'y a point » d'usage, quelque long qu'il soit (disait-il),

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qui puisse autoriser les sur-exactions. Le ti» tre qui règle les propriétaires bannaux et les habitans, est imprescriptible et veille tou»jours pour la conservation des droits respec» tifs; et les usages contraires qui peuvent se glisser, ne sont que des abus qu'on doit ré» former. L'acte est indivisible et ne peut être

» exécuté dans un chef, sans être exécuté dans

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» les autres. Ainsi, nul ne peut prescrire contre » un titre qu'il exécute, nul ne pouvant chan» ger la cause de sa possession ».

Mais plus je médite cette doctrine, plus je la trouve en opposition avec les principes de l'ancien droit et avec ceux du Code civil.

En général, la Prescription exerce son empire sur tout ce qui n'y est pas expressément

soustrait par la loi; et la loi ne dit nulle part qu'une obligation cesse d'être prescriptible par cela seul qu'elle est corrélative à une au. tre, ou, ce qui est la même chose, par cela seul qu'elle a pour cause un contrat synallagmatique duquel dérive une autre obligation dont elle est elle-même la condition et qui continue d'être exécutée.

Qu'y a-t-il de plus corrélatif à l'obligation du vendeur de faire jouir l'acheteur de l'objet vendu, que l'obligation de celui-ci d'en payer le prix à celui-là? Cependant les lois romaines décidaient formellement que le prix de la vente était prescriptible de la part de l'acheteur à qui l'objet vendu avait été livré, et qui en jouissait paisiblement; et personne n'oserait aujourd'hui, en présence de l'art. 2262 du Code civil, où il est dit, dans les termes les plus généraux, que toutes les actions tant réelles que personnelles, sont prescrites par 30 ans, soutenir sérieusement que cette décision est abrogée.

Qu'y avait-il, dans l'ancien droit, de plus corrélatif à l'obligation du bailleur à rente de faire jouir le preneur de l'objet arrenté, que l'obligation du de lui payer exactepreneur ment la rente qui formait le prix du bail? Cependant la jurisprudence des parlemens de Paris, de Grenoble, de Dijon et de Besançon était invariablement fixée sur la prescriptibilité de la rente de la part du preneur qui jouissait paisible ment de l'immeuble arrenté; et si quelques cours souveraines jugeaient le contraire, ce n'était que par un motif étranger à la corrélation existante entre l'obligation du bailleur et celle du preneur; ce n'était que par un reste de déférence les unes que avaient long-temps montrée et que les autres conservaient encore pour le système du docteur Bulgare, qui prétendait que le fonds de toutes les rentes, de quelque espèce qu'elle fussent, même de celles qui étaient constituées à prix d'argent, était imprescriptible (1).

Et pourquoi en était-il ainsi dans l'ancien droit? Pourquoi, encore aujourd'hui, la rente moyennant laquelle un immeuble a été cédé, peut-elle être prescrite par l'acquéreur, quelque paisible que soit la possession dans laquelle l'a mis le vendeur, de l'immeuble dont elle forme le prix ? Parceque, dans l'ancienne jurisprudence, la rente foncière, quoiqu'irrachetable de sa nature, pouvait toujours être rachetée du consentement du bailleur; parcequ'aujourd'hui, la rente qui forme le prix de la cession d'un immeuble, est essentiellement

(1) V. le Répertoire de jurisprudence, au mot Prescription, sect. 3, §. 2, art, 2.

rachetable, sauf la faculté que donne l'art. 530 du Code civil d'en interdire le rachat pendant 30 ans au plus ; parceque la Prescription fait supposer tout ce qui est possible, tout ce que la loi ne défend pas, tout ce qui n'est pas en contradiction avec l'essence des choses, et que le rachat d'une rente est toujours possible, toujours permis par la loi, jamais contraire à l'essence du titre constitutif de la rente elle-même.

Que, dans l'ancienne jurisprudence, la possession, quelque longue qu'elle fût, ne pût pas autoriser un seigneur à exiger des sujets de sa bannalité, des rétributions excédant les titres qui l'avaient constituée, j'en conviens avec le commentateur des statuts de Provence; mais ce n'était point, comme il le prétendait, par l'effet de la réciprocité de ces titres et de la règle des corrélatifs; c'était parceque la possession ne pouvait pas conférer au seigneur des droits qu'il n'aurait pas pu acquérir par des actes exprès; parceque l'ancienne juris prudence avait sagement mis en principe, pour réprimer les abus de la puissance féodale, que les sur-exactions des seigneurs ne pouvaient jamais être légitimées par des actes térieurs aux titres primitifs (1).

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Je conviens encore avec Dunod, que tant que l'on paie la redevance promise pour un droit d'usage, on ne perd pas ce droit, quoi. qu'on n'en use pas; mais cela vient-il de la corrélation qu'il y a entre l'obligation de l'usager et celle du propriétaire? Non, c'est tout simplement la conséquence du principe consacré par l'ancienne jurisprudence, et érigé en loi par l'art. 2248 du Code civil, que « la Prescription est interrompue par la recon»> naissance que le débiteur ou le possesseur fait >> du droit de celui contre lequel il prescriyait». Il est sensible, en effet, que le propriétaire du fonds grevé d'un droit d'usage, ne peut pas recevoir annuellement la redevance qu'il s'est réservée pour prix de ce droit, sans reconnaître, chaque année, que ce droit existe, et par conséquent sans renoncer, chaque année, à l'exception qu'il pourrait tirer du long espace de temps pendant lequel l'usager s'est abstenu de l'exercer.

Mais on sent en même temps que ce n'est qu'à cette reconnaissance que l'usager doit, en pareil cas, l'avantage de conserver son droit intact, et que, si cette reconnaissance n'avait pas par elle-même l'effet de mettre son droit à l'abri de la Prescription, ce serait en vain

(1) V. les conclusions du 14 juillet 1814, rapportées dans le Répertoire de jurisprudence, aux mots Bente seigneuriale, §. 2, no 6 bis.

qu'il se retrancherait dans la réciprocité qui lie son obligation à celle du propriétaire.

Pour nous en convaincre, supposons le cas inverse de celui dont parle Dunod: supposons que l'usager ait constamment joui de son droit, nais qu'il ait cessé pendant 30 ans de payer au propriétaire la redevance moyennant la quelle il en avait originairement obtenu la concession.

Assurément, dans ce cas, l'usager ne peut pas être censé avoir, par le seul fait de la continuation de la jouissance de son droit, reconnu, comme encore existante, l'obligation qu'il a primitivement contractée d'en payer une redevance annuelle, puisqu'au contraire, en cessant de payer cette redevance pendant 30 ans, il a, pendant 30 ans, agi comme ne la devant plus ; il a, pendant 30 ans, protesté implicitement qu'il s'en tenait pour libéré.

Cependant il est hors de toute espèce de doute qu'on ne peut pas lui refuser le bénéfice de la Prescription, et que sa possession trentenaire de ne pas payer cette redevance, equi, polle pour lui à une preuve légale, soit qu'il en fait le rachat entre les mains du propriétaisoit celui-ci l'en a déchargé gratuiteque

re,

ment.

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Vainement, en effet, argumenterait-on contre lui de ce que, par l'art. 2236 dụ Code civil, il est dit que « le fermier, le dépositaire, » l'usufruitier, et tous ceux qui détiennent précairement la chose du propriétaire, ne » peuvent la prescrire ». Non, l'usager ne peut pas plus que le fermier, pas plus que le dépo sitaire, pas plus que l'usufruitier, devenir propriétaire par l'effet de sa possession; mais pourquoi? Parcequ'il ne peut pas plus qu'eux, comme le dit l'art. 2240, se changer à soimême la cause et le principe de sa possession (1). Que faudrait-il donc pour qu'il ne pût pas prescrire la libération des obligations qu'il

a contractées envers son auteur? Bien évidemment il faudrait que l'absence ou l'extinction de ces obligations répugnât à l'essence de sou titre; car, si elle n'y répugne pas, la cause et le principe de sa possession n'éprouvent aucun changement par la Prescription que ces obligations souffrent à son profit. Or, répugnet-il à l'essence de son titre, qu'il jouisse gratuitement? Non certainement : il aurait pu obtenir gratuitement la concession de son droit d usage, sans que sa qualité d'usager en fût altérée ; sa qualité d'usager n'est donc pas non plus altérée par la cessation du paiement de la redevance qui a formé originairement le prix de sa concession; et par conséquent rien ne s'oppose

(1) V. ci-après, §. 26.

à ce que, par l'effet de la Prescription, il soit libéré de cette redevance; bien different en cela du fermier qui, lors même qu'en vertu d'un bail de 50 ans, il a joui pendant 30 ans sans payer de fermages, ne peut cependant pas prétendre avoir prescrit le droit de jouir gratuitement pendant les années suivantes, parcequ'une jouissance gratuite répugnerait à l'essence de son titre, et que tout ce que l'essence de son titre lui permet, c'est de prescrire un certain nombre d'années d'arrérages.

Donc il ne peut résulter de la corrélation qui existe entre l'obligation contractée par l'usager envers le propriétaire, et l'obligation contractée par le propriétaire envers l'usager, aucun obstacle à ce que l'une se prescrive, tandis que l'autre continue de s'exécuter.

Donc la doctrine du président Favre, du président de Salvaing et de Dunod ne repose sur aucune base solide.

Donc elle doit être rejetée comme le pur produit d'une imagination systématique.

Il est cependant trois cas où cette doctrine serait matériellement vraic, et pourrait être appliquée avec justesse.

J'en ai déjà signalé deux :

Celui où l'exécution de l'une des obligations corrélatives dont se compose un contrat synallagmatique, emporterait, de la part de la personne au profit de laquelle elle aurait lieu, la reconnaissance du droit de l'autre partie, et par conséquent de sa propre obligation ;

Et celui où l'une des deux obligations résultant d'un contrat synallagmatique, ne pourrait pas survivre à l'autre, sans que l'essence du contral, en fût altérée, et sans porter atteinte au principe que nul ne peut se changer à soimême la cause de sa possession.

Le troisième est celui où la partie à laquelle est opposée la Prescription de l'obligation contractée à son profit par un titre synallagmatique, n'a pas pu agir pour faire exécuter cette obligation, avant que d'avoir exécuté ellemême celle qui en forme le corrélatif.

Rendons ceci sensible par un exemple. Je vous ai vendu une maison moyennant 30,000 francs: par là, il s'est formé, entre vous et moi, deux obligations bien corrélatives, savoir, de ma part, celle de vous livrer la maison,et de la vôtre, celle de m'en payer le prix. Mais, à moins que le contraire n'ait été expressément stipulé par le contrat, vous n'avez pas pu agir contre moi en délivrance de la maison, sans m'en offrir le prix ; et réciproquement, je n'ai pas pu agir contre vous en paiement du prix, sans vous offrir la délivrance de la maison.

Supposons maintenant qu'il se soit écoulé 30 ans depuis le contrat de vente, sans que vous m'ayez payé ni offert le prix de la maison, ni que je vous l'aie livrée; supposons que, pendant ces 30 ans, j'aie fait contre vous, sans offrir de vous livrer la maison, des poursuites qui vous ont empêché de prescrire votre obligation de m'en payer le prix : pourrai-je, après ce laps de temps, exiger de vous le prix de la vente, parceque mes poursuites ont conservé mon action, et vous refuser la délivrance de la maison, sous le prétexte que l'action que vous aviez contre moi, est prescrite?

Non, certainement non: mais ce ne sera pas précisément parceque mon obligation et la vôtre sont corrélatives; ce ne sera pas à raison de la réciprocité qui les subordonne l'une à l'autre ; ce ne sera pas enfin parceque la non Prescription de mon action a fait obstacle à la Prescription de la vôtre; ce sera et ce sera uniquement parceque votre action n'était pas encore ouverte au moment où j'ai intenté la mienne; parceque vous ne pouviez exiger de moi la délivrance de la maison qu'en me payant ou en offrant de me payer la somme qui en forme le prix ; parceque la Prescription ne court pas contre une action qui n'est pas ouverte.

Par la même raison, si, pendant les 30 ans qui se sont écoulés depuis le contrat de vente, vous m'avez poursuivi pour me faire condamner à la délivrance de la maison, et que, par là, vous ayez conservé votre action, vous aurez nécessairement aussi conservé la mienne; et vous ne pourrez me forcer à remplir mon obligation qu'en remplissant la vôtre; mais ce ne sera pas précisément parceque votre obli. gation et la mienne sont corrélatives; ce sera, et ce sera uniquement parceque l'action que j'ai pour faire exécuter la vôtre, ne s'ouvre qu'au moment où j'exécute la mienne.

Voilà, je le répète, les seuls cas auxquels puisse justement s'appliquer la doctrine du président Favre, du président de Salvaing et de Dunod,sur la règle des corrélatifs en matière de Prescription; et cette doctrine n'est,dans toute autre hypothèse,qu'une vaine théorie,non moins contraire aux principes de l'ancien droit, qu'inconciliable avec la généralité de la disposition de l'art. 2262 du Code civil.

V. La question de savoir si l'emphyteote temporaire, le seul dont nous devons nous occuper ici, parcequ'il ne peut plus exister d'emphytéose perpétuelle (1), peut prescrire la libération de la redevance qui forme le prix du

(1) V. Particle Emphyteose, §. 5.

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