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Sur cette assignation, Baudri de Roisin fait défaut; mais la dame de Rodoan se présente comme sa curatrice, et demande d'abord que le sieur de Devroede justifie sa qualité de créancier.

Le sieur Devroede la justifie, en effet, par la production de billets souscrits à son profit en 1803 et 1804 par Baudri de Roisin ; mais il ne conclud pas au paiement des ces billets.

Au fond, la dame de Rodoan soutient que son mari a été légitimement interdit; que son interdiction subsiste encore, et que le sieur Devroede doit être déclaré non fondé dans sa demande.

Par jugement du 4 décembre 1806, le tribunal civil de Tournai pose ainsi les questions à juger:

« 10 Le sieur Devroede est-il recevable?

» 2o Le sieur Baudri de Roisin a-t-il été valablement interdit, et par quelle disposition?

D 30 Cette interdiction et la curatelle a-telle pris fin par la publication, soit de la constitution de l'an 3 dans ce pays, soit de toute au tre loi ? En cas d'affirmative, quelle est la loi qui a produit cet effet » ?

Et statuant sur ces questions,

Attendu 1o que le demander a, au moins préparatoirement, établi sa qualité de créancier du sieur de Roisin, par des billets reconnus être signés dudit de Roisin, défaillant, par la dame de Rodoan, sa curatrice; qu'ainsi, il peut être reçu à demander, dans son intérêt, la nullité de l'interdiction dudit de Roisin, ou sa cessation;

» 20 Considérant que l'interdiction prononcée par les échevins de Tournai, l'a été dans le temps de la minorité dudit de Roisin, et lorsqu'il était en tutelle... ;

» Considérant, quant à celle prononcée par le conseil provincial, qu'elle a eu lieu plusieurs années après la majorité du sieur de Roisin; qu'elle a été publiée tant à Tournai, aux lieux accoutumés, qu'au domicile de l'interdit; qu'elle lui a été signifiée, qu'il n'y a formé aucune opposition; que ce silence, cette non opposition emportent de sa part une sorte d'aveu et d'adhésion, dans la circonstance surtout que ni le droit public ni le droit civil d'alors n'empêchaient qu'il y prêtât les mains; que ce silence peut encore couvrir le défaut résultant de ce que ledit de Roisin n'aurait pas été entendu, si l'on considère qu'il est impossible de supposer que les juges aient pris une décision dans une matière aussi grave, sans être au préalable apaisés par des preuves préparatoi res, morales et déterminantes, propres à éclairer leur conscience;

» 30 Considérant qu'aucune loi, dans ce pays, depuis sa réunion à la France jusqu'à l'époque

de la publication du Code civil, n'a prononcé la cessation de l'interdiction pour cause de prodigalité; que l'art. 13 de la constitution de l'an 3 ne présente point par lui-même un texte assez positif ni assez concluant pour en induire cette cessation, puisqu'il est rangé sous le titre de l'état politique des citoyens, et que la question appartient plus particulièrement à l'état et au droit civil, qu'à l'état politique; que d'ailleurs la rédaction de l'article laisse en quelque sorte supposer qu'il peut y avoir d'autres causes d'interdiction que la démence, l'imbécillité ou la fureur, puisqu'autrement il eût été plus simple de dire : l'exercice des droits de citoyen est suspendu, 1o par l'interdiction judiciaire; et qu'enfin, il n'est point de quatrième cause d'interdiction usitée et connue que celle de prodigalité;

>> Considérant qu'il en est autrement depuis la publication du Code civil; que l'art. 489 n'ordonnant d'interdire que ceux qui sont dans un état actuel d'imbécillité, de démence ou de furcur, et l'art. 513 disposant seulement à l'égard du Prodigue, qu'il peut lui être défendu de plaider, de transiger, etc., sans l'assistance d'un conseil qui lui est nommé par le tribunal, il faut en induire que, comme pour l'avenir, il ne peut plus y avoir d'interdiction pour cause de prodigalité, de même toute interdiction fondée sur cette cause vient à cesser, parceque l'uniformité à établir dans l'empire est un des objets éminens de ce Code, surtout quant à l'état et à la capacité des per sonnes; parceque les lois relatives à cet état et à cette capacité saisissent l'individu au moment de leur émission, qu'elles le rendent capable ou incapable selon leur détermination; parcequ'enfin, cette détermination est constamment au pouvoir du législateur qui rétrécit ou étend les bornes de cette capacité ou incapacité à son gré, ou plutôt selon les circonstances où la société se trouve;

» Que c'est par une conséquence de ces mêmes principes, qu'il a été décidé, par plusieurs arrêts, que le pubère sui juris avant la publication du Code, et qui n'avait point atteint sa vingt et unième année, est retombé sous la tutelle de sa mère; que, s'il n'avait pas dix-huit ans, cette mère a eu la jouissance de ses biens jusqu'à cet âge, etc. ; que, si l'on décide ainsi à l'égard du pubère, en le soumettant à une jouissance qui lui était inconnue, à plus forte raison doit-on décider de même à l'égard d'un interdit, en l'affranchissant d'un lien que la loi ne reconnaît plus;

» Considérant que l'art. 512 du Code civil ne détruit nullement cette conséquence à l'égard de l'interdit, puisqu'il n'y est question que de

la main-levée de l'espèce d'interdiction qui occupe le législateur au même chapitre, c'est-àdire, de celle pour cause de démence, d'imbécillité ou de fureur, d'autant qu'il n'y peut avoir pour objet de délier que ce qu'il a précédemment lié ; qu'ainsi, ce serait en faire une fausse application que d'en induire qu'il faut un jugement pour délier ce Prodigue de l'interdiction prononcée contre lui;

» Considérant que, dès que l'interdiction a cessé, c'est une conséquence que la curatelle ou tutelle ait pris fin; que tout ce qui pourrait former l'objet d'un doute, serait la question de décider si les caractères du conseil judiciaire se trouvant dans ceux de la tutelle, comme le moins l'est dans le plus, la tutelle ou curatelle ne devrait pas au moins subsister comme et sous le nom, ainsi qu'avec les attributions du conseil judiciaire; question sérieuse, mais qui n'étant point déduite en jugement, il n'échoit d'y statuer;

Par ces motifs, le tribunal déclare le sieur Devroede recevable, donne défaut contre Baudri de Roisin, et pour le profit, et statuant contradictoirement entre le demandeur et la dame Rodoan, déclare l'interdiction prononcée par les mayeur et échevins de Tournai, nulle et inopérante; celle au contraire prononcée par le conseil provincial, valide et subsistante jusqu'à l'époque de la publication, dans le département de Jemmapes, du tit. 11, liv. 1, du Code civil; déclare en outre qu'à cette époque et par le seul effet de cette publication, l’interdiction dudit Roisin, ainsi que la qualité de curatrice dans la dame son épouse, ont pris fin...».

Le sieur et la dame de Roisin appellent de ce jugement,

10 En ce qu'il déclare nulle l'interdiction prononcée par les échevins de Tournai, le 19 mai 1785;

2o En ce qu'à l'égard de l'interdiction prononcée par le conseil provincial de Tournai, le 30 août 1792, il déclare qu'elle a pris fin par la publication du Code civil;

3o En ce qu'il déclare qu'il n'y a lieu de statuer sur la question de savoir si la curatelle ne doit pas subsister comme conseil judiciaire.

La cause portée à l'audience de la cour d'appel de Bruxelles, le sieur Devroede appelle incidemment, sur le barreau, de la disposition du jugement qui déclare que l'interdiction a subsisté jusqu'à la publication du tit. 11 du liv. 1 du Code civil.

De leur côté, les sieur et dame de Roisin soutiennent, d'abord que le sieur Devroede était non-recevable dans les demandes qu'il avait

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formées en première instance; que ne concluant au paiement d'aucune créance, il n'avait pas eu de qualité pour attaquer une interdiction qui subsistait et recevait paisiblement son exécution; et que n'ayant contracté avec le sieur de Roisin que postérieurement à la sentence d'interdiction du conseil provincial, il était sans intérêt pour attaquer celle qui avait été précédemment rendue par les échevins de Tournai.

Ils ajoutent que l'appel incident du sieur Devroede ne peut pas être reçu, par la raison qu'il a été formé verbalement à l'audience, tandis qu'aux termes de l'art. 337 du Code de procédure civile, il aurait dû l'être par acte d'avoué à avoué.

Au fond, 'ils reproduisent tous les moyens qu'ils avaient employés devant les premiers juges pour établir, et que ces deux sentences d'interdiction étaient régulières, et qu'elles avaient conservé leur effet, même après la publication du tit. 11 du liv. I du Code civil.

Le 31 mars 1808, après une plaidoirie contradictoire, et sur les conclusions du ministère public, la cour d'appel de Bruxelles rend un arrêt ainsi conçu :

« 10 Echoit-il de statuer sur la question de savoir si l'intimé était recevable dans la forme et manière dont il a intenté son action?

» 20 Échoit-il d'examiner celle de savoir si le sieur de Roisin a été valablement mis en état d'interdiction par les échevins de Tournai, en 1785?

» 30 A-t-il été valablement constitué en curatelle par le conseil de Tournai, en 1792?

» 4° L'appel incident de l'intimé est-il recevable de la manière dont il a été formé? » 5° Est-il fondé ?

» 6o L'interdiction du sieur de Roisin a-t

elle cessé, de plein droit, par la publication du Code civil?

>> Sur la première, attendu que les appelans ont plaidé, devant le tribunal de Tournai, sans opposer d'exception quelconque contre le mode dont l'intimé avait intenté son action; de sorte qu'ils ont couvert, par ce silence, toute irrégularité qui aurait pu exister de ce chef, et qu'un examen ultérieur à cet égard est inutile;

» Sur la seconde, attendu que l'intimé est sans intérêt à prétendre discuter la validité de la mise en curatelle du sieur de Roisin, en 1785, puisque, postérieurement à cette époque et antérieurement à celle où les créances dont il réclame le paiement, auraient pris naissance, il est intervenu une sentence du conseil de Tournai qui a déclaré le sieur de Roisin en état d'interdiction;

>> Sur la troisième, determinée par les motifs énoncés au jugement dont appel;

» Sur la quatrième, attendu que l'art. 443 du Code de procédure n'exige pas, de l'intimé, à l'effet d'interjeter un appel incident, les mêmes formalités que celles qui sont établies à l'égard de l'appelant au principal; que le même article permet d'interjeter appel incident en tout état de cause;

» Attendu que, quand même l'art. 337 du Code de procédure serait applicable à l'appel incident, il ne s'ensuivrait pas qu'il fût nul pour avoir été fait simplement à l'audience, 1o parceque cet article ne commine pas de nullité, et 20 parceque la déclaration d'appeler incidemment faite sur le bureau, en présence de l'avoué de l'appelant au principal, équivaut bien évidemment à une déclaration de même nature faite d'avoué à avoué par voie d'huissier; et que tout ce qu'en pareil cas, peut réclamer l'appelant au principal, c'est un délai moral, afin de se mettre à même de répondre à cet appel;

la

>> Sur la cinquième, attendu qu'outre que constitution de l'an 3 n'a réglé que les droits politiques des Français; que l'art. 13 de cette constitution, invoqué par l'intimé, ne renferme aucune expression de laquelle on puisse déduire qu'il ait aboli l'interdiction pour cause de prodigalité, et encore moins qu'il ait fait cesser de plein droit les jugemens d'interdiction alors existans; qu'à la vérité, cet article porte bien que la qualité de citoyen se perd par l'interdiction pour cause de fureur, de démence ou d'imbécillité; mais que toute la conséquence qu'il y a à tirer de là, par la règle des exclusions, c'est que cette qualité ne se perdra plus pour cause de prodigalité, mais non qu'il n'y aura plus d'interdiction pour ce motif; qu'il est donc vrai de dire que la constitution de l'an 3 a pris et laissé, à cet égard, l'état civil des citoyens français tel qu'il était lors de son émanation; » Attendu qu'aucune loi ni antérieure ni postérieure à cette constitution, n'a, jusqu'au Code civil, aboli l'interdiction pour cause de prodigalité; et que le décret du 2 septembre 1793 ne fait que renvoyer à la commission chargée de discuter le projet d'un Code civil, une proposition faite par un membre de la convention, uniquement dans l'ordre de la discussion de ce projet;

» Sur la sixième, attendu que le Code civil, en abolissant l'interdiction pour cause de prodigalité, a bien accordé aux interdits de cette espèce, le droit de demander de sortir de leur état d'interdiction; mais qu'il n'a pas dérogé à la règle générale, que ce n'est que par un jugement contraire qu'il est permis de faire ces

ser les effets dont la cause avait son origine dans un jugement;

» Par ces motifs, la cour reçoit l'appel incident formé par l'intimé sur le barreau, et y faisant droit, ainsi que sur l'appel principal, sans s'arrêter aux autres fins de non-recevoir proposées par les appelans, déclare ledit intimé non fondé dans ses conclusions introductives, le condamne aux dépens des causes principale et d'appel,ordonne la restitution de l'amende..».

Le sieur Devroede se pourvoit en cassation contre cet arrêt, et le dénonce comme contraire au décret de la Convention nationale du 2 septembre 1793, à l'art. 13 de l'acte constitutionnel du 5 fructidor an 3, et aux art. 489 et 513 du Code civil.

Le 20 avril 1809, arrêt qui admet la requête du sieur Devroede. En conséquence, l'affaire est discutée contradictoirement ; et le rapport en est fait par M. Cassaigne, le 6 juin 1810, à l'audience de la section civile.

་་ Le moyen de cassation que le demandeur vous a proposé par écrit (ai-je dit à cette audience), offre à votre examen trois questions: l'arrêt attaqué contrevient-il au décret de la Convention nationale, du 2 septembre 1793? Contrevient-il à l'art. 13 de la constitution du 5 fructidor an 3? Contrevient-il aux art. 489 et 513 du Code civil?

» En élevant ces questions par sa requête, le demandeur n'avait qu'un seul objet : c'était d'établir que l'interdiction prononcée contre le sieur de Roisin, par la sentence du conseil provincial de Tournai, du 30 août 1792, avait été abolie par les lois qu'il invoquait, et que l'arrêt attaqué avait violé ces lois. Il reconnaissait donc que l'arrêt attaqué n'avait violé aucune loi, en tant qu'il avait jugé cette interdiction régulière et valable dans son principe. Cependant, Messieurs, à l'audience, il a prétendu le contraire; mais n'eût-il pas mieux fait de s'en tenir à son premier système?

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Quelque extraordinaire qu'il paraisse, au premier coup-d'œil, qu'un citoyen soit, même provisoirement, interdit sur la seule demande, sur une information préliminaire faite à la seule requête de sa famille, sans qu'il ait été personnellement entendu ni même appelé; quoique d'Argentrée, sur l'art. 492 de l'ancienne coutume de Bretagne, se soit élevé avec beaucoup de force contre les docteurs Angelus, Jason et Decius, qui non putant, dit-il, ad declarationem prodigalitatis necessariam esse vocationem prodigi, quia, inquiunt, prodigi non possunt impedire ne eis bonis interdicatur; quoique la citation des personnes à interdire soit impérieusement commandée par deux cou tumes limitrophes du Tournesis où demeurait

le sieur de Roisin en 1792, savoir, celle de la châtellenie de Lille, tit. 15, art. 10, et celle de la gouvernance de Douai, chap. 12, art. 8. » Il est néanmoins très-constant que cette manière de procéder était, à l'époque de la sentence d'interdiction dont il s'agit, autorisée par la jurisprudence du pays où cette sentence a été rendue.

» Christin, tome 1, §. 182, rapporte un arrêt de la veille de Pentecôte 1526, par lequel le grand conseil de Malines, c'est-à-dire, le tribunal supérieur du Tournesis, avait jugé que l'interdiction provisoire pouvait être prononcée, sans appeler ni entendre la personne accusée de prodigalité; et nous avons eu plusieurs fois occasion de remarquer qu'on le pratiquait ainsi, même dans la coutume de la gouvernance de Douai; en sorte que, dans l'usage, la disposition de cette coutume qui prescrivait la citation des personnes à interdire, était limitée à l'interdiction définitive.

» Il paraît même qu'on allait plus loin dans le ressort du parlement de Paris, et qu'on y jugeait valable, même les interdictions définitives, qui étaient prononcées sans entendre les prévenus de prodigalité.

>> Écoutons Denisart, au mot Interdiction, n° 15:

» Je connais deux arrêts qui ont jugé des interdictions valables, quoique les interdits pour prodigalité n'eussent pas été entendus.

» Le premier a été rendu le 1er avril 1721, sur les conclusions de M. l'avocat-général de Lamoignon. Dans cette espèce, il s'agissait de l'interdiction du sieur Bigot de Villandry, qui, dans ses différens voyages, avait contracté beaucoup de dettes, et qui en avait aussi beaucoup en France. Le sieur de Villandry était depuis plusieurs années en Hollande, quand son interdiction fut provoquée par sa mère, et elle ne l'avait pas appelé.

» Le second, rendu au mois de mai 1731, en la cinquième chambre des enquêtes, au rapport de M. de Favières, entre Antoine Fatthieu, appelant, et Madeleine Rotrou, de la ville de Dreux, intimée, confirme une sentence qui n'avait pas même été signifiée à l'ap pelant, et qui prononçait l'interdiction contre un Prodigue, sans qu'il eût été entendu. Le motif de l'arrêt est que l'appelant était un cabaretier, chez lequel l'interdit demeurait, et contínuait une vie crapuleuse. La sentence d'interdiction avait d'ailleurs été publiée, et le cabaretier s'était fait abandonner les propres de l'interdit postérieurement à la publi

cation.

» Plus bas, no 19, Denisart cite encore un arrêt rendu en forme de réglement au parleTOME XII.

1

ment de Rouen, le 30 juillet 1751, qui a confirmé la sentence rendue par le lieutenantgénéral de Rouen, qui avait prononcé l'interdiction de la dame Deu (détenue dans un couvent en vertu d'une lettre de cachet), pour cause de prétendue dissipation, sans un interrogatoire préalable.

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Enfin, Messieurs, ce qui nous paraît écarter jusqu'au plus léger doute sur l'inutilité des efforts que fait aujourd'hui le demandeur pour attaquer la disposition de l'arrêt de la cour de Bruxelles, qui confirme le jugement du tribunal civil de Tournai, en tant qu'il déclare valable, dans son principe, l'interdiction prononcée par la sentence du conseil provincial de la même ville, du 30 août 1792, c'est la manière dont est motivé, à cet égard, le jugement du tribunal de Tournai lui-même : cette interdiction (y estil dit) a eu lieu plusieurs années après la majorité du sieur de Roisin; elle a été publiée, tant à Tournai, aux lieux accoutumés, qu'au domicile de l'interdit; elle lui a été signifiée, il n'y a formé aucune opposition; ce silence et cette non-opposition emportent, de sa part, une sorte d'aveu et d'adhésion, dans la circonstance surtout que ni le droit public ni le droit civil d'alors n'empêchaient qu'il y prétát les mains ; et en effet, Messieurs, autre chose est qu'une personne puisse provoquer ellemême son interdiction; autre chose est qu'une personne dont l'interdiction a été provoquée par une partie compétente, puisse acquiescer au jugement qui l'a prononcée, et rendre hommage aux preuves même préparatoires qui en ont motivé la prononciation. Ce silence (continue le conseil provincial) peut encore cou vrir le défaut résultant de ce que ledit de Roisin n'aurait pas été entendu, si l'on considère qu'il est impossible de supposer que les juges aient pris une décision dans une matière aussi grave, sans s'être, au préalable, apaisés par des preuves morales et détermi nantes, propres à éclairer leur conscience. Et dans le fait, la sentence du 30 août 1792 énonce elle-même qu'elle est rendue, non seulement sur la requête du chanoine de Roisin, mais encore sur les pièces jointes à ladite requête, sur l'écrit d'intendit produit par ledit chanoine de Roisin, sur LES INFORMATIONS TE NUES EN CONSÉQUENCE, et sur les conclusions du conseiller procureur général.

>> Mais si cette sentence était valable dans son principe, n'a-t-elle pas été abolie par les lois que cite le demandeur ? Et la cour d'appel de Bruxelles,en jugeant que non,n'a-t-elle pas violé ces lois? Voilà ce que nous avons à examiner, voilà ce qui appelle toute l'attention de la cour.

19

» La question n'en est point une pour le décret de la Convention nationale, du 2 septembre 1793.

D'une part, ce décret n'a jamais été publié dans la Belgique; il ne l'a même jamais été dans aucune partie de l'ancien territoire francais.

» De l'autre, à quel titre aurait-il été publié, à quel titre ferait-il loi? Il ne décide rien; il ne fait que renvoyer au comité chargé alors de la rédaction d'un projet de Code civil, l'examen d'une proposition subordonnée à l'abolition des interdictions actuellement existantes, prononcées pour cause de prodigalité, et qui tendait à donner effet aux obligations contrac. tées pendant la durée de ces interdictions, par ceux qui s'en trouvaient frappés. Sans doute, on peut bien inférer de là qu'il était alors tion d'abolir les interdictions qui précédemment avaient été prononcées pour cause de prodigalité, mais en conclure qu'elles ont été en effet abolies, on ne le peut certainement pas.

ques

» Le demandeur est-il mieux fondé à se prévaloir de l'art. 13 de l'acte constitutionnel du 5 fructidor an 3?

>> On peut dire pour l'affirmative, qu'en dé. clarant que l'exercice des droits de citoyen est suspendu par l'interdiction judiciaire pour cause de fureur, démence ou imbécillité, l'art. 13 de la constitution du 5 fructidor an 3 supposait implicitement qu'il ne pouvait plus être prononcé d'interdiction que pour l'une de ces trois causes, et que par conséquent il n'en pouvait plus être prononcé pour cause de prodigalité; qu'aussi, le 1er frimaire an 7 et le 16 vendémiaire an 8, le ministre de la justice a-t-il écrit à une veuve Martin, que, dans l'état où se trouvait alors la législation, l'interdiction ne pouvait plus avoir lieu pour cause de prodiga lité, mais seulement pour cause de démence, d'imbécillité ou de fureur ; que, peu de temps auparavant, la question ayant été soumise par cette même veuve Martin, au conseil des Cinqcents, ce conseil avait passé à l'ordre du jour; qu'enfin, il est énoncé en toutes lettres, dans un arrêt de la cour, du 24 nivôse an 10, que, depuis la constitution de l'an 3, l'on n'a plus reconnu dans la République, que trois causes d'interdiction: la fureur, la démence et l'imbécillité.

» Mais que ne peut-on pas répondre, surtout dans une espèce où il ne s'agit que de faire maintenir, comme ne violant aucune loi expresse, un arrêt qui a jugé tout à la fois, et que la constitution du 5 fructidor an 3 n'avait pas aboli l'interdiction pour cause de prodigaté, et que, l'eût-elle abolie pour l'avenir, du

moins elle n'avait pas fait cesser les interdictions de ce genre, qui avaient été prononcées avant sa promulgation?

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D'abord, si de l'art. 13 de la constitution du 5 fructidor an 3, on peut, avec quelque apparence de fondement, conclure qu'il est dans son esprit de ne reconnaître à l'avenir d'interdiction judiciaire, que celle qui sera prononcée pour cause de démence, de fureur ou d'imbécillité, on peut aussi, on doit même, en bonne logique, en tirer une conséquence directement opposée.

» Il est certain qu'au moment où a été faite la constitution du 5 fructidor an 3, les lois civiles admettaient deux sortes d'interdictions judiciaires : l'interdiction pour cause de fureur, d'imbécillité ou de démence, l'interdiction pour cause de prodigalité. Pourquoi donc cette constitution n'a telle parlé que de la première? Parceque uniquement occupée de la détermination des qualités requises pour l'exercice des droits politiques de citoyen dans les assemblées primaires et électorales, elle n'a trouvé d'obstacle à cet exercice que dans l'interdiction pour cause de fureur, de démence ou d'imbécillité; parcequ'il lui a paru que l'interdiction pour cause de prodigalité ne portant que sur les biens (interdicitur bonorum administratio, bonis interdicitur, disent toutes les lois romaines placées sous le titre du digeste de curatoribus), elle ne devait point avoir d'effet sur la personne même, ou que du moins elle n'en devait avoir, qu'autant que les actes émanés de la personne, pouvaient altérer sa fortune; qu'ainsi, de même qu'un interdit pour cause de prodigalité, conservait la capacité de contracter un mariage ou tout autre engagement qui n'était et ne pouvait être que personnel, de même aussi il devait conserver la capacité d'exercer ses droits politiques.

» Ce n'est donc point dans l'intention d'abolir l'interdiction pour cause de prodigalité, que la constitution du 5 fructidor an 3 n'en a point parlé; elle n'a omis d'en parler, que parcequ'elle n'y a point trouvé d'empêchement à l'exercice des droits politiques de citoyen; et après tout, ce n'est point par son seul silence qu'elle peut être censée l'avoir abolie.

>> Ensuite, que peuvent signifier ici les lettres ministérielles des 1er frimaire an 7 et 16 vendémiaire an 8? Elles prouvent sans doute qu'à ces époques, l'abolition de l'interdiction pour cause de prodigalité passait pour constante dans le ministère de la justice; mais elles ne prouvent pas que cette abolition fût prononcée à ces époques, par une loi qu'il fût défendu aux juges de transgresser sous peine de cassation. Elles ne prouvent même pas que telle

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