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Qui crois l'ame immortelle, et que c'est Dieu qui tonne,

Il vaut mieux pour jamais me bannir de ce lieu.

Je me retire donc. Adieu, Paris, adieu.

SATIRE II.

A MOLIÈRE*.

RARE et fameux esprit, dont la fertile veine
Ignore en écrivant le travail et la peine;
Pour qui tient Apollon tous ses trésors ouverts,
Et qui sais à quel coin se marquent les bons vers;
Dans les combats d'esprit, savant maître d'escrime',
Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime 2.

*

Composée en 1664. Molière devoit lire quelques morceaux de sa traduction de Lucrèce, en vers, dans une société où se trouvoit Despréaux. On pria celui-ci de lire d'abord la satire adressée à Molière, et qui n'étoit point encore imprimée. Mais quand Molière l'eut entendu, il refusa de lire sa traduction, la jugeant trop indigne des louanges qu'il venoit de recevoir. Il lut le premier acte du Misanthrope, auquel il travailloit déja, en faisant observer toutefois aux auditeurs, « qu'ils ne devoient pas s'attendre à des «vers aussi parfaits et aussi achevés que ceux de M. Despréaux, « et qu'il lui faudroit un temps infini, s'il vouloit travailler, ses << ouvrages comme lui. » Ce propos, dit La Harpe, est à-la-fois l'excuse de Molière, à qui le temps manquoit, et l'éloge de Boileau, qui employoit si bien le sien.

' Voltaire fait, à propos de ce vers, le procès à ceux-ci de J. B. Rousseau, dans son épître à Marot:

Et qui jadis, en maint genre d'escrime,

Vint chez vous seul étudier la rimc.

Dans Boileau, dit-il, la figure est juste, parcequ'on s'escrime dans un combat; mais on n'étudie point la rime en s'escrimant. (Quest. encyclop., art. FIGURE.)

2 D'Alembert s'étonne (Éloge de Despréaux, pag. 65) que Boi

On diroit, quand tu veux, qu'elle te vient chercher :
Jamais au bout du vers on ne te voit broncher;
Et, sans qu'un long détour t'arrête ou t'embarrasse,
A peine as-tu parlé, qu'elle-même s'y place 1.
Mais moi, qu'un vain caprice, une bizarre humeur,
Pour mes péchés, je crois, fit devenir rimeur,
Dans ce rude métier où mon esprit se tue,

En vain, pour la trouver, je travaille et je sue.
'Souvent j'ai beau rêver du matin jusqu'au soir;

leau n'ait pas demandé plutôt à son illustre ami où il trouvoit les chefs-d'œuvre dont il avoit déja enrichi la scène à cette époque : l'École des maris et l'École des femmes. Il eût été plus digne de lui, ajoute le panégyriste, de prévoir et de démêler dans ces chefs-d'œuvre ceux qui devoient les suivre. Sans doute un pareil sujet eût peut-être été plus digne à-la-fois et de Despréaux et de Molière; mais la rime est une condition assez essentielle de notre poésie, pour que la difficulté de la trouver, et le mérite de l'accorder avec la raison dans des vers harmonieux, aient pu fournir à deux grands poëtes l'objet d'une petite discussion. Voltaire se plaint et s'excuse auprès d'Horace, dans la charmante épître qu'il lui adresse, de la nécessité de lui retracer en rimes ses propres leçons; mais il ajoute immédiatement :

La rime est nécessaire à nos jargons nouveaux,
Enfants demi polis des Normands et des Goths;
Elle flatte l'oreille, etc.

Il est fâcheux toutefois que l'obligation de la rime ne soit pas ici plus heureusement justifiée par l'exemple: Boileau, au contraire, n'a prouvé la difficulté de rimer, qu'en rimant avec le plus grand soin, et le bonheur le plus rare.

I Molière auroit pu lui répondre que le genre même qu'il traitoit comportoit cette facilité; et que la rime, si difficile à trouver dans les sujets nobles et sérieux, se place, en effet, comme d'ellemême, dans le style simple et familier de la comédie.

Quand je veux dire blanc, la quinteuse dit noir;
Si je veux d'un galant dépeindre la figure 1,
Ma plume pour rimer trouve l'abbé de Pure;
Si je pense exprimer un auteur sans défaut,
La raison dit Virgile, et la rime Quinault 2:
Enfin, quoi que je fasse ou que je veuille faire,
La bizarre toujours vient m'offrir le contraire.
De rage quelquefois, ne pouvant la trouver,
Triste, las et confus, je cesse d'y rêver;
Et, maudissant vingt fois le démon qui m'inspire,

Il y avoit d'abord:

Si je pense parler d'un galant de notre âge,

Ma plume, pour rimer, rencontrera Ménage.

Et le trait étoit d'autant plus piquant, qu'il frappoit plus juste ; car, malgré le triple vernis d'une érudition pédantesque, l'abbé Ménage faisoit, à sa manière, profession de galanterie. Il fut même soupçonné d'un penchant assez décidé pour la vive et spirituelle Bussy de Chantal, depuis marquise de Sévigné, dont il eut, avec Chapelain, l'honneur de faire la première éducation, — L'abbé de Pure, qui remplaça Ménage dans ce malin hémistiche, est auteur d'une fort mauvaise traduction de Quintilien; d'une vie du maréchal de Gassion, et d'une tragédie d'Ostorius, jouée au théâtre françois en 1659. Il s'étoit d'ailleurs donné le ridicule de prendre contre Molière le parti des Précieuses, que Ménage avoit eu le courage d'abandonner aux sifflets du parterre. Il sera encore question de l'abbé de Pure dans les satires vi et Ix, et sur-tout dans le dialogue des Héros de Romans.

2

1 Voilà le premier signal de la guerre déclarée par Boileau, non pas à l'aimable auteur d'Atys, d'Isis, de Roland, et sur-tout d'Armide, qui n'avoient point encore paru; mais à celui d'une foule de pièces oubliées, ou scandaleusement applaudies. La Mère coquette même, qui auroit pu désarmer, jusqu'à un certain point, la sévérité du satirique, ne parut que l'année suivante, 1665.

Je fais mille serments de ne jamais écrire.

Mais, quand j'ai bien maudit et Muses et Phébus,
Je la vois qui paroît quand je n'y pense plus :
Aussitôt, malgré moi, tout mon feu se rallume;
Je reprends sur-le-champ le papier et la plume,
Et, de mes vains serments perdant le souvenir,
J'attends de vers en vers qu'elle daigne venir.
Encor si pour rimer, dans sa verve indiscrète,
Ma muse au moins souffroit une froide épithète,
Je ferois comme un autre; et, sans chercher si loin,
J'aurois toujours des mots pour les coudre au besoin :
Si je louois Philis EN MIRACLES FÉConde',

Je trouverois bientôt, A NULLE AUTRE SECONDE;
Si je voulois vanter un objet NONPAREIL,

Je mettrois à l'instant, PLUS BEAU QUE LE SOLEIL;

Enfin, parlant toujours d'ASTRES et de MERVEILLES,
De CHEFS-D'OEUVRE DES CIEUX, de BEAUTÉS SANS PAREILLES,
Avec tous ces beaux mots, souvent mis au hasard,
Je pourrois aisément, sans génie et sans art,

I

Boileau désigne sur-tout Ménage, qui n'avoit, de son propre aveu, aucun naturel à la poésie françoise, et ne faisoit des vers qu'en dépit des Muses. Il réussit beaucoup mieux dans les vers italiens, et eut cela de commun avec l'abbé Régnier-Desmarais. A l'imitation de Boileau, Pope s'est également moqué (Essai sur la Critique, v. 352) de ces rimeurs parasites de phrases usées, dans des vers assez heureusement traduits par l'abbé Du Resnel:

Par-tout où vous voyez couler de clairs ruisseaux,
Il faut vous préparer au doux chant des oiseaux.
On aperçoit toujours une jeune bergère
Assise mollement sur la tendre fougère.
Entendez-vous les eaux murmurer et frémir:
Vous n'êtes pas en vain menacé de dormir.

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