Page images
PDF
EPUB

réaction est égale à l'action. Les fureurs des révoltes donnent la mesure des vices des institutions; et ce n'est pas au gouvernement qu'on veut avoir, mais à celui qu'on a eu longtemps, qu'il faut s'en prendre de l'état moral d'une nation. On dit aujourd'hui que les Français sont perver- 5 tis par la révolution. Et d'où venaient donc les penchants désordonnés qui se sont si violemment développés dans les premières années de la révolution, si ce n'est de cent ans de superstition et d'arbitraire?

Il semblait, en 1793; qu'il n'y eût plus de place pour 10 des révolutions en France, lorsqu'on avait tout renversé, le trône, la noblesse, le clergé, et que le succès des armées devait faire espérer la paix avec l'Europe. Mais c'est précisément quand le danger est passé, que les tyrannies populaires s'établissent: tant qu'il y a des obstacles et 15 des craintes, les plus mauvais hommes se modèrent; quand ils ont triomphé, leurs passions contenues se montrent sans frein.

Les Girondins firent de vains efforts pour mettre en activité des lois quelconques, après la mort du roi; mais 20 ils ne purent faire accepter aucune organisation sociale: l'instinct de la férocité les repoussait toutes. Hérault de Séchelles proposa une constitution scrupuleusement démocratique, l'assemblée l'adopta; mais elle ordonna qu'elle fût suspendue jusqu'à la paix. Le parti Jacobin voulait 25 exercer le despotisme; et c'est bien à tort qu'on a qualifié d'anarchie ce gouvernement. Jamais une autorité plus forte n'a régné sur la France; mais c'était une bizarre sorte de pouvoir: dérivant du fanatisme populaire, il inspirait l'épouvante à ceux-mêmes qui commandaient en 30 son nom; car ils craignaient toujours d'être proscrits à leur tour par des hommes qui iraient plus loin qu'eux encore dans l'audace de la persécution. Le seul Marat

vivait sans crainte dans ce temps; car sa figure était si basse, ses sentiments si forcenés, ses opinions si sanguinaires, qu'il était sûr que personne ne pouvait se plonger plus avant que lui dans l'abîme des forfaits. Robespierre ne 5 put atteindre lui-même à cette infernale sécurité.

Les derniers hommes qui, dans ce temps, soient encore dignes d'occuper une place dans l'histoire, ce sont les Girondins. Ils éprouvaient sans doute au fond du cœur un vif repentir des moyens qu'ils avaient employés pour Io renverser le trône; et quand ces mêmes moyens furent dirigés contre eux, quand ils reconnurent leurs propres armes dans les blessures qu'ils recevaient, ils durent sans doute réfléchir à cette justice rapide des révolutions, qui concentre dans quelques instants les événements de plu15 sieurs siècles.

Les Girondins combattaient chaque jour et à chaque heure avec une éloquence intrépide contre des discours aiguisés comme des poignards, et qui renfermaient la mort dans chaque phrase. Les filets meurtriers dont on en20 veloppait de toutes parts les proscrits, ne leur ôtaient en rien l'admirable présence d'esprit qui seule peut faire valoir tous les talents de l'orateur.

M. de Condorcet, lorsqu'il fut mis hors de la loi, écrivit sur la perfectibilité de l'esprit humain un livre qui contient 25 sans doute des erreurs, mais dont le système général est inspiré par l'espoir du bonheur des hommes; et il nourrissait cet espoir sous la hache des bourreaux, dans le moment même où sa propre destinée était perdue sans ressource. Vingt-deux des députés républicains furent traduits devant 30 le tribunal révolutionnaire, et leur courage ne se démentit pas un instant. Quand la sentence de mort leur fut prononcée, l'un d'entre eux, Valazé, tomba du siége qu'il occupait; un autre député, condamné comme lui, se trou

vant à ses côtés, et croyant que son collègue avait peur, le releva rudement avec des reproches; il le releva mort. Valazé venait de s'enfoncer un poignard dans le cœur, d'une main si ferme, qu'il ne respirait plus une seconde après s'être frappé. Telle est cependant l'inflexibilité de 5 l'esprit de parti, que ces hommes qui défendaient tout ce qu'il y avait d'honnêtes gens en France, ne pouvaient se flatter d'obtenir quelque intérêt par leurs efforts. Ils luttaient, ils succombaient, ils périssaient, sans que le bruit avant-coureur de l'avenir pût leur promettre quelque 10 récompense. Les Royalistes constitutionnels eux-mêmes étaient assez insensés pour désirer le triomphe des Terroristes, afin d'être ainsi vengés des républicains. Vainement ils savaient que ces Terroristes les proscrivaient, l'orgueil irrité l'emportait sur tout; ils oubliaient, en se 15 livrant ainsi à leurs ressentiments, la règle de conduite dont il ne faut jamais s'écarter en politique: c'est de se rallier toujours au parti le moins mauvais parmi ses adversaires, lors même que ce parti est encore loin de votre propre manière de voir.

20

La disette des subsistances, l'abondance des assignats, et l'enthousiasme excité par la guerre, furent les trois grands ressorts dont le comité de salut public se servit pour animer et dominer le peuple tout ensemble. Il l'effrayait, ou le payait, ou le faisait marcher aux frontières, 25 selon qu'il lui convenait de s'en servir. L'un des députés à la Convention disait: "Il faut continuer la guerre, afin "que les convulsions de la liberté soient plus fortes." On ne peut savoir si ces douze membres du comité de salut public avaient dans leur tête l'idée d'un gouvernement 30 quelconque. Si l'on en excepte la conduite de la guerre, la direction des affaires n'était qu'un mélange de grossièreté et de férocité, dans lequel on ne peut découvrir aucun

plan, hors celui de faire massacrer la moitié de la nation par l'autre car il était si facile d'être considéré par les Jacobins comme faisant partie de l'aristocratie proscrite, que la moitié des habitants de la France encourait le soup5 çon qui suffisait pour conduire à la mort.

L'assassinat de la Reine et de madame Élisabeth causa peut-être encore plus d'étonnement et d'horreur que l'attentat commis contre la personne du Roi; car on ne saurait attribuer à ces forfaits épouvantables d'autre but que l'effroi 10 même qu'ils inspiraient. La condamnation de M. de Malesherbes, de Bailly, de Condorcet, de Lavoisier, décimait la France de sa gloire: quatre-vingts personnes étaient, immolées chaque jour, comme si le massacre de la SaintBarthélemi dût se renouveler goutte à goutte. Une grande 15 difficulté s'offrait à ce gouvernement, si l'on peut l'appeler ainsi; c'est qu'il fallait à-la-fois se servir de tous les moyens de la civilisation pour faire la guerre, et de toute la violence de l'état sauvage pour exciter les passions. Le peuple et même les bourgeois n'étaient point atteints par les malheurs 20 des classes élevées; les habitants de Paris se promenaient dans les rues comme les Turcs pendant la peste, avec cette seule différence que les hommes obscurs pouvaient assez facilement se préserver du danger. En présence des supplices, les spectacles étaient remplis comme à l'ordinaire ; on 25 publiait des romans intitulés: Nouveau voyage sentimental, l'Amitié dangereuse, Ursule et Sophie; enfin toute la fadeur et toute la frivolité de la vie subsistaient à côté de ses plus sombres fureurs.

Nous n'avons point tenté de dissimuler ce qu'il n'est pas 30 au pouvoir des hommes d'effacer de leur souvenir; mais nous nous hâtons, pour respirer plus à l'aise, de rappeler dans le chapitre suivant les vertus qui n'ont pas cessé d'honorer la France, même à l'époque la plus horrible de son histoire.

CHAPITRE II.

DE L'ARMÉE FRANÇAISE, PENDANT LA TERREUR; DES FÉDÉRA-
LISTES ET DE LA VENDÉE.

LA conduite de l'armée Française, pendant le temps de la Terreur, a été vraiment patriotique. On n'a point vu de 5 généraux traitres à leur serment envers l'état; ils repoussaient les étrangers, tandis qu'ils étaient eux-mêmes menacés de périr sur l'échafaud, au moindre soupçon suscité contre leur conduite. Les soldats n'appartenaient point à tel ou tel chef, mais à la France. La patrie ne consistait plus que 10 dans les armées; mais là, du moins, elle était encore belle, et ses bannières triomphantes servaient, pour ainsi dire, de voile aux forfaits commis dans l'intérieur. Les étrangers étaient forcés de respecter le rempart de fer qu'on opposait à leur invasion; et bien qu'ils se soient avancés jusqu'à 15 trente lieues de Paris, un sentiment national, encore dans toute sa force, ne leur permit pas d'y arriver. Le même enthousiasme se manifestait dans la marine; l'équipage d'un vaisseau de guerre, le Vengeur, foudroyé par les Anglais, répétait comme en concert le cri de Vive la république! en 20 s'enfonçant dans la mer; et les chants d'une joie funèbre semblaient retentir encore du fond de l'abîme.

L'armée Française ne connaissait pas alors le pillage; et ses chefs marchaient quelquefois comme les plus simples soldats à la tête de leurs troupes, parce que l'argent leur 25 manquait pour acheter des chevaux dont ils auraient eu besoin. Dugommier, général en chef de l'armée des Pyrénées, à l'âge de soixante ans, partit de Paris à pied pour aller rejoindre ses troupes sur les frontières d'Espagne. Les hommes que la gloire des armes a tant illustrés depuis, se 30 distinguaient aussi par leur désintéressement. Ils portaient

« PreviousContinue »