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sein de l'ame fidèle, lorsqu'il apaise le trouble de ses passions; en sorte qu'il chante avec David: « Je m'endormirai dans la paix ; en elle je prendrai mon repos, puisque vous êtes, Seigneur, le ferme appui de mon espérance 1: »> en quoi consiste le bienheureux sommeil d'une ame qui s'abandonne à JésusChrist et qui se repose toute en lui dont il sera encore parlé au chap. v, vers. 2. Ainsi finit le premier jour.

SECOND JOUR.

7. Filles de Jérusalem, je vous conjure par les chevreuils et par les biches de la campagne : gardez-vous d'éveiller ma bien-aimée. Le second jour de l'Eglogue commence à l'instant que l'Epouse doit s'éveiller. Elle dort encore d'un sommeil tranquille, lorsque l'Epoux la quitte : il défend donc qu'on l'éveille; et tandis qu'elle achève de prendre son repos, il s'en va à son travail ordinaire. Filles de Jérusalem, gardez-vous d'éveiller. C'étoit la coutume de chanter deux épithalames: l'un au soir, au coucher des nouveaux mariés ; l'autre au matin, au lever de l'épouse, afin qu'elle s'endormit et qu'elle s'éveillât au doux concert de chansons d'heureux présage. Nous l'avons vu déjà plusieurs fois dans Théocrite: les jeunes filles viennent féliciter Ménélas et Hélène de leur heureux mariage; et après avoir achevé le cantique nuptial du coucher, elles promettent de revenir avant l'aurore au chant du coq qui doit les éveiller à l'heure qu'il le faudra recommencer 2. Ainsi l'Epoux voyant les compagnes de l'Epouse arrivées et prêtes à élever leurs voix : Gardez-vous, leur dit-il, d'éveiller ma bien-aimée, jusqu'à ce qu'elle le veuille. Je vous en conjure par les chevreuils et par les biches: par l'objet de vos plaisirs, par vos chevreuils et par vos biches: nous faisant entendre qu'il parle à des chasseresses. Aussi les jeunes filles de Palestine pouvoient bien avoir l'usage de tirer de l'arc, comme leurs voisines les jeunes filles de Tyr3. Ce qui nous donne occasion de rapporter ce trait des anciennes mœurs, pour l'amour de ceux qui les aiment. Car alors les vierges et les jeunes filles, bien éloignées de la mollesse et de la nonchalance de celles d'aujourd'hui, actives et vigilantes, elles se faisoient un exercice continuel de la chasse et de toute sorte de travaux. Dans le sens spirituel, Jésus-Christ a des chasseurs aussi bien que des pêcheurs ce qui fait dire au prophète : « Je leur enverrai des chasseurs en grand nombre *. » Ici il défend aux ames fidèles qui travaillent au salut des autres, de remettre dans la vie active quelque grande ame, enflammée de l'amour divin et élevée à une haute contemplation, où elle jouit d'une douce tranquillité, jusqu'à ce qu'y étant poussée par l'esprit de Dieu, elle s'y porte d'elle-même. «Car l'Epoux sait que l'Eglise, cette bonne mère,

1 Ps. IV, 9, 10.- Idyl. XVIII.

3 Virg., Æneid., liv. I. — ↳ Jerem., XVI, 16.

cst toujours attentive aux progrès de ses enfans par le zèle de son amour: c'est pourquoi il n'a pas craint de lui confier ce secret de la conduite des ames 1. »> « Les hommes charnels qui sont dans l'Eglise, dit saint Grégoire, ne cessent de troubler le repos des saintes ames dans la contemplation, » parce que les voyant éloignées des occupations du monde, ils croient qu'elles passent leur vie dans l'inutilité. Les chevreuils et les biches, dont il est parlé plusieurs fois en ce livre, marquent les ames fidèles, qui se relèvent si promptement, qu'à peine s'aperçoit-on qu'elles soient tombées, et qui vont à la perfection à grands pas, comme si elles s'avançoient en sautant. Ma bienaimée: mon amour; ( hébr.): « l'Epouse elle-même,» mon amour et mes délices, ou plutôt l'amour même.

8. J'entends la voix de mon bien-aimé. Il semble que l'Epouse se dise ces choses à elle-même, comme il arrive dans un grand transport, et que l'Epoux, comme attiré par ses vœux et par ses soupirs, revienne ensuite à elle. Car comme elle étoit toute occupée de lui-même dans le sommeil, dès qu'elle s'éveille, elle croit d'abord entendre sa voix : elle le voit venir à elle à grands pas, sautant par dessus les montagnes et les collines à la manière des chevreuils et des biches, déjà tout proche et attaché à sa fenêtre. En effet nous avons vu l'Epoux sortir dès le matin; mais se sentant pressé par son amour, il revient et paroît à l'instant.

9. Mon bien-aimé ressemble au chevreuil et au faon d'une biche. Ce sont des paroles de tendresse que l'époux et l'épouse se disent souvent l'un à l'autre telles que celles-ci dans les Proverbes : « Ma belle biche, mon aimable chevreuil, que ses mamelles soient vos délices en tout temps: mettez toute votre joie dans son amour (cet amour chaste et conjugal) 2. » Ces termes de caresses étoient simples et naturels à de jeunes hommes et à de jeunes filles également exercés à la chasse: ils marquent ici la vitesse avec laquelle l'Epoux est revenu. Le voilà debout derrière le mur. Cette vie passagère est un mur qui nous sépare de Jésus-Christ. L'ancienne loi est aussi ce mur que Jésus-Christ a abattu par sa mort, pour réunir dans son Eglise les Gentils avec le peuple de Dieu, en détruisant leur inimitié 3. Nos péchés sont un mur qui nous sépare de Dieu et qui nous cache sa face, empêchant qu'il ne nous écoute, ou que sa voix ne vienne jusqu'à nous. Ce mur, c'est encore toutes les créatures, en qui Dieu est caché et par lesquelles il nous parle ; enfin, s'il est permis de le dire, ce mur est la chair de JésusChrist qui nous cache sa divinité, mais qui sert à faire éclater sa puissance et à nous faire entendre les doux accents de sa divine parole. Il regarde par la fenêtre. Il n'entre pas, de peur d'éveiller l'Epouse; mais ne pouvant résister à l'ardeur de son amour, il lui parle dès le premier abord. Ce qui fait ▲ Proverb., V, 19.

1 S. Bern., Serm. LII in Cant. ♦ Is., LIX, 2.

3 Ephes., II, 14. —

dire à saint Ambroise : « Il semble que l'Epoux s'abandonne à un amour folâtre, lorsqu'il veut éprouver les sentimens de sa bien-aimée : il sort souvent pour se faire chercher par l'Epouse; et soudain il revient pour lui faire désirer ses caresses: il est debout derrière le mur, il regarde par la fenêtre, il s'avance à travers des châssis; moitié dedans, moitié dehors, il est à la fois absent et présent, pour attirer l'Epouse à lui et pour rendre leur entrevue plus agréable, en excitant leur amour par leur doux entretien1. »

10. Levez-vous, hâtez-vous : « annoncez la parole, pressez les hommes à temps, à contre-temps: » avancez votre ouvrage. Car ni l'efficace de l'esprit, ni le péril des ames ne peuvent souffrir un travail languissant. Levez-vous quittez le saint repos de la contemplation, où vous ne pensez qu'à moi, et venez éveiller les ames lâches. Ma colombe: n'est pas dans l'hébreu il a été pris du grec; mais l'hébreu même le porte ici, vers. 14.

11. L'hiver : c'est le temps des persécutions et des tentations.

12. Les fleurs commencent à paroitre : la beauté du printemps attire à la campagne. Voici le temps de tailler la vigne: venez, prenons des serpettes, allons ensemble nettoyer les arbres et les vignes, coupons leur bois inutile. Dans le sens spirituel, Origène explique ceci de la « rémission des péchés et du retranchement des mauvais désirs 3.» La voix de la tourterelle: qui aime le haut des montagnes et des arbres, c'est la voix des ames élevées à une haute contemplation et vivant dans l'éloignement du monde. C'est aussi la figure d'une épouse très-fidèle et très-chaste, qui garde la foi donnée à son premier époux, et qui après lui ne s'attache à aucun autre. Enfin la voix de la tourterelle, qui gémit et soupire tendrement, plutôt qu'elle n'exprime aucun son, c'est le saint gémissement d'une ame solitaire, pleurant son éloignement de Jésus-Christ, vers qui tendent tous ses désirs.

13. Le figuier a poussé des bourgeons : « Entendez la parabole du figuier': » et apprenez à connoître l'avancement des ames par les branches, par les feuilles, les nœuds et les fruits qu'elles produisent 5. Les vignes en fleurs : si la vigne est en fleur, il y aura du raisin: si les fleurs répandent une bonne odeur, le vin sera bon; jugez-en de même des ames pieuses.

14. Ma colombe: l'Epouse est comme une colombe solitaire et tremblante, qui se tient cachée dans les fentes des rochers, et dans les trous des murailles, ou dans les ouvertures d'une masure qui s'écroule. Venez, sortez de vos ténèbres. Montrez-moi votre visage, faites-moi entendre votre voix: si vous ne voulez pas m'ouvrir, au moins montrez-vous : dites-moi quelque parole: et que dans ma douleur et dans le transport de mon amour, je reçoive de vous cette consolation. C'est ainsi qu'un amant veut que sa bien-aimée lui accorde

1 Ambr. in Ps. CXVIIII, octon. 6. II Tim., IV, 2.
Matth., XXIV, 32. 5
- Orig. Hom. III in Cant.

3 Hom. II in Cant.

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de bon cœur ses moindres faveurs, et il en est de même de Jésus-Christ à sa manière.

15. Prenez-nous les petits renards: enfin l'Epouse se lève après se l'être fait dire tant de fois : et alors l'Epoux adresse la parole aux jeunes filles, ses compagnes, les invitant toutes à chasser avec elle les petits renards qui rongent la vigne. Ainsi finit le second jour, avec ses divertissemens de la campagne; l'Epouse, fatiguée d'avoir couru à travers les champs en suivant la chasse, revient la première à la maison, sollicitant l'Epoux de s'y rendre incessamment : car elle ne peut vivre sans lui, ni lui sans elle; ce qui lui fait dire :

16. Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui : ce qu'elle répète encore au ch. vi, vers. 2, et au ch. vii, vers. 10, où se rapporte cette parole de l'Apocalypse: «Je souperai avec lui, et lui avec moi 1. » Il patt ses troupeaux parmi les lis: cette version est plus conforme à l'hébreu. Ainsi l'Epoux, qui conduit ses brebis dans des pâturages semés de lis, prend aussi sa nourriture et son repos dans des lieux très-agréables. Ce que l'Epouse répète encore au ch. vi, vers. 2, envisageant toujours l'Epoux au milieu des fleurs et des délices du printemps. Saint Ambroise fait ici cette belle remarque : « Peu de personnes peuvent dire Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui. Celui-là le dit avec vérité, qui s'attache à Dieu de tout son cœur, et n'en détourne jamais ses pensées ailleurs mais non celui à qui le Fils de Dieu ne peut suffire, quoiqu'il possède tout; non encore celui qui s'attrista, lorsqu'il lui fut ordonné de tout vendre, mais celui-là le dit bien qui peut s'écrier avec confiance : « Nous avons tout quitté pour vous suivre 3. »

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17. En attendant que le jour vienne : jusqu'à ce que le jour vienne. Dès que le jour commence à poindre, un petit vent souffle et les ténèbres se dissipent. C'est de ce zéphyre que le poëte fait dire à Anchise: « J'ai été saisi du vent qu'excitent dans l'ardeur de leur course les chevaux du soleil montant sur l'horizon. » Et que les ombres se dissipent: «que elles s'enfuient,» dit l'hébreu. Revenez, mon bien-aimé, soyez comme le chevreuil et le faon d'une biche, qui habitent sur les montagnes de Béther : Adrichomius a remarqué que dans la tribu de Benjamin, il y a des montagnes couvertes de forêts, semées de plantes aromatiques, où les cerfs et les chevreuils se plaisent beaucoup. L'Epouse veut donc que l'Epoux dans sa retraite égale la vitesse de ces animaux, si légers et si vifs. Revenez, lui dit-elle, plus vite que les chevreuils et que les biches, vous reposer avec moi, jusqu'à ce que le jour vous rappelle à votre travail.

1Apoc., III, 20.

• Serm. II sur le Ps. CXVIII. * Matth., XIX, 22, 27.

RÉFLEXION.

Sous ces figures nous est représentée une ame élevée, qui, morte à ses sens et jouissant en elle-même d'une profonde paix, ne se laisse émouvoir qu'à la voix de l'Epoux qui lui parle intérieurement. Il souffle donc comme il lui plaît: il vient, il s'échappe, il s'approche, il se hâte, il se retire et se fait encore appeler, il se fait voir à la fenêtre et par la jalousie ; car en cette vie il ne se découvre point dans sa gloire. Il presse et sollicite l'Epouse de secouer la paresse qui la retient enfermée, et de venir à lui dehors; de faire effort pour le voir, non plus à travers des jalousies et des fenêtres, mais en public et face à face 1. Le printemps qui succède à l'hiver, signifie la rémission des péchés par la pénitence, où l'on voit naître les prémices des vertus, comme des fleurs qui promettent tôt après des fruits: et alors l'ame, attentive à elle-même, répand une douce odcur très-délicieuse à l'Epoux. Ainsi cette agréable nouveauté de vie est pour le second jour : et de là vient qu'il est parlé de l'hiver nouvellement passé, à cause que la conversion ne fait que commencer; et de fleurs plutôt que de fruits, car quoiqu'on voie déjà beaucoup de vertus, il y en a encore plus à espérer et du temps de tailler la vigne, parce qu'il reste beaucoup de défauts à corriger et enfin, ce qui revient au même sens sous une autre figure, c'est l'ordre que l'Epoux donne de chasser les petits renards. Car, selon Origène, les malins esprits sont figurés par les petits renards, qui vont aux vignes par leurs terriers, en ronger les premiers bourgeons, et emportent ainsi toute l'espérance des fleurs2. On y doit aussi entendre les mauvais désirs, qu'il est aisé d'étouffer dès leur naissance, de même qu'il est aisé de prendre les renards lorsqu'ils sont encore petits. Il faut donc écraser contre la pierre les petits de Babylone, de peur que les cupidités dangereuses ne prennent racine en nous : saint Bernard suit cette interprétation d'Origène et des autres Pères. L'Epoux sautant les montagnes et s'élevant au-dessus des collines, c'est Jésus-Christ qui laisse les anges et sauve la postérité d'Abraham. Le même Jésus-Christ nous est encore figuré, dit Origène, découvrant intérieurement les mystères de l'Ecriture à une ame étonnée de sa profondeur, lorsque l'Epoux s'approche de l'Epouse pour lui parler, se tenant d'abord caché derrière le mur, puis se faisant voir au grand jour par les fenêtres et par les châssis 3. Car à mesure que JésusChrist s'approche de l'ame, qu'il éclaire ses doutes et dissipe ses ténèbres, il lui paroît s'élever à proportion au-dessus des collines et des montagnes, parce qu'alors il répand en elle l'intelligence des vérités les plus hautes. L'hiver marque encore la passion du Sauveur, et le printemps la naissance

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