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un ouvrage vraiment délicieux, jonché de fleurs, abondant en fruits, orné de toutes sortes de très-belles plantes; où règne un beau printemps avec des campagnes fertiles, des jardins verts, arrosés d'eaux, de sources et de fontaines; des parfums naturels et de composés. On y voit de belles colombes ; on y entend le doux murmure des tourterelles ; il y a abondance de lait, de miel et de vins exquis: la beauté jointe à la pudeur éclate dans les deux sexes; leurs baisers sont saints, leurs embrassements innocents, leurs amours tendres et chastes; si les rochers, les montagnes et les cavernes des lions y paroissent affreuses, c'est pour faire un tableau plus agréable, en mêlant cette variété parmi tant de beautés. Mais pourquoi recueillir en un seul livre tant de belles choses, si ce n'est afin qu'étant touché de leur beauté, nous comprenions combien est encore plus beau celui qui en est l'auteur, et que dès cette vie nous commencions le cantique de l'amour divin dont la force et la beauté consiste, dit saint Grégoire, en ce que ceux qui ont à parler du corps sortent hors du corps, et que par des discours de l'amour humain ils apprennent combien ils doivent être embrasés du saint amour 1? Il ne faut donc pas craindre de parler de l'amour humain, mais il faut promptement passer à l'amour céleste, de peur que ce qui doit servir à élever l'esprit ne l'abatte au contraire et ne l'accable.

Après ce discours nous allons entreprendre notre ouvrage, espérant que ceux qui le liront en tireront ce fruit, que quand ils verront les inquiétudes d'un amour qui ne peut être satisfait, ou qu'eux-mêmes ils en sentiront quelques étincelles, ils reconnoissent que des transports si véhéments ne peuvent s'arrêter à la créature ni aux choses passagères, mais qu'ils doivent s'élever au seul souverain bien et à la seule véritable beauté. Que JésusChrist lui-même brûle nos cœurs du feu de cet amour, pour bien entendre le poëme qui en exprime toute la force; et qu'il nous fasse la grace de suivre l'Epoux et l'Epouse avec des cantiques de réjouissance, nos lampes ardentes à la main, afin que nous méritions d'entrer au festin de leurs noces Amen, amen.

1 Præf, in Cant.

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Le baiser de la bouche; l'amour de l'Epoux, ses parfums, ses attraits, sc3 cabinets; l'Epouse est noire, mais belle; ses parures, sa beauté; le lit, les solives et les lambris.

PREMIER JOUR.

L'ÉPOUSE.

1. Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche: car (hébr.) votre amour vaut mieux que le vin 1.

2. (hébr.) Vos parfums sont de bonne odeur: votre nom est un parfum répandu : c'est pourquoi les filles vous aiment.

3. Tirez-moi nous courrons après vous, à l'odeur de vos parfums. Le roi m'a conduite dans ses cabinets: nous nous y réjouirons à cause de vous, nous souvenant (hébr.) de votre amour qui vaut mieux que le vin. Ceux qui sont droits vous aiment.

4. O filles de Jérusalem, je suis noire, mais je suis belle, comme les tentes de Cédar, comme les pavillons de Salomon.

5. Ne prenez pas garde si je suis noire; c'est le soleil qui m'a gâté le teint. Les enfants de ma mère se sont élevés contre moi : ils m'ont fait garder les vignes; je n'ai point gardé la mienne.

6. Dites-moi, mon bien-aimé, où vous paissez vos troupeaux, où vous les faites reposer à midi: de peur que je ne m'égare parmi les troupeaux de vos compagnons.

1 Vulg. « Vos mamelles sont meilleures..... >>

:

Vulg.: «Votre odeur surpasse les parfums exquis. » — 3 « A l'odeur de vos parfums » n'est pas dans P'hébreu. — ↳ Vulg.: De vos mamelles meilleures que le vin.

1

L'ÉPOUX

7. Si vous l'ignorez, ô la plus belle des femmes, sortez, suivez les traces des troupeaux, et paissez vos chevreaux près des cabanes des bergers.

8. Je vous compare, ma bien-aimée, (hébr.) à ma cavale attelée au char de Pharaon 1.

9. Vos joues égalent la beauté des tourterelles; et votre gorge, celle des colliers les plus riches.

10. Nous vous donnerons des pendants d'or, marquetés d'argent.

L'ÉPOUSE.

11. Le roi étant assis sur son lit, mon nard a répandu son odeur. 12. Mon bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe; il se reposera sur mon sein.

13. Mon bien-aimé est semblable à une grappe de troëne des vignes d'Engaddi.

L'ÉPOUX.

14. Que vous voilà belle, ma bien-aimée, que vous voilà belle! Vous avez des yeux de colombe.

L'ÉPOUSE.

15. Que vous voilà beau et agréable, mon bien-aimé!

15. Notre lit est semé de fleurs; les solives de nos maisons sont de cèdre, et nos lambris de cyprès.

EXPLICATION.

Ce livre est intitulé Cantique des Cantiques, non parce qu'il est le plus long de tous les cantiques, mais parce qu'il en est le plus sublime, et nonseulement de tous ceux que Salomon a composés en grand nombre, car il a fait jusqu'à vingt mille pièces de poésie, mais même de tous les cantiques que nous avons, puisque le très-saint mystère de l'union du Verbe incarné et de l'Eglise y est célébré, avec la charité qui ne finira jamais et qui est la plus excellente de toutes les vertus. Ce qui a fait dire à saint Bernard: « Ce cantique nuptial, à cause de son excellence, porte seul avec raison le titre de

1 Vulg.: « A mes chevaux attelés au char» (voy. la note).—I Cor., XIII, 8, 43.

Cantique des cantiques, comme celui pour qui il est fait se nomme seul le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs 1. De Salomon, du Pacifique. Son nom répond à l'entrée de son livre, qui commence par le baiser, signe de la paix 2. »>

1. Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche. Le festin nuptial étant achevé suivant la coutume avec la prière solennelle, dont on peut voir des exemples dans la Genèse et au livre de Tobie, sur le soir l'Epouse très-chaste est conduite à l'Epoux 3, et là se doit prendre l'entrée de la semaine des noces, selon l'usage des Hébreux qui commençoient le jour au soir. Dans tout le livre, l'Epoux paroît transporté d'amour; mais sans se laisser vaincre à la mollesse, dès le grand matin il s'en va à son travail ordinaire de la vie champêtre et pastorale. Cependant l'Epouse s'éveille, et dans l'excès de son amour elle tombe en défaillance. En vain les filles, ses compagnes, cherchent à la consoler et à la faire revenir; après bien des vœux et des désirs inutiles, elle s'écrie L'époux est toute ma consolation, lui seul est mon amour, qu'il me baise d'un baiser de sa bouche. D'un baiser: des baisers; (hébr.) de l'un de ses baisers. Je veux recevoir ses innocents baisers en confusion et sans nombre; mais cependant il me rendra la vie par un seul baiser de cette bouche si belle, si douce et qui a tant de graces, en faisant passer son esprit en moi, et en attirant mon ame en lui, comme font les amans. Car Jésus-Christ est ma vie, et ce n'est plus moi qui vis. Ainsi l'Eglise ou sa plus noble partie, les ames élevées touchées de l'amour de Dieu et remplies de son esprit, tiennent le même langage toutes ensemble et chacune à part. La Synagogue d'abord: Qu'il vienne donc lui-même, après avoir parlé si longtemps par les Prophètes! Ensuite l'Eglise du Nouveau Testament, que nous regardons ici surtout, déjà liée et unie à son Epoux ; elle lui demande de se découvrir, non plus dans un miroir, dans des figures ou par la foi, mais par la claire vue. De même les saintes ames: Que les autres demandent ce qu'il leur plaira, pour moi je veux le saint bajser, non des pieds qui est pour les pénitentes, mais de la bouche qui appartient à l'Epouse. Elle reçoit ce baiser de la bouche de l'Epoux, lorsqu'attentive à la parole de vie qui sort de cette divine bouche, elle la recueille dessus ses lèvres et attire en elle la grace qui y est jointe en abondance 7, s'écriant avec saint Pierre : « A qui irons-nous, Seigneur? vous avez les paroles de la vie éternelle 8. » Puis elle en est pénétrée, non par le son qu'on entend au dehors, mais dans l'intérieur par l'impression même du Saint-Esprit, qui est le baiser du Père et du Fils. Où nous voyons une ame justifiée de ses péchés, reçue dans l'alliance du Verbe, s'avancer à une vie plus parfaite et désirer Jésus-Christ avec plus d'ardeur, après l'avoir une

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1 S. Bern., Serm. 11 in Cant. 2 S. Bern., ibid. Tob., VII, 15, 17, 19. — S. Ambr., de Isaac, cap. III. • Gal., 11, 20. — 7 Ps. XLIV, 3.— a Joan., VI, 69.

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fois goûté. Mais une marque de la véhémence de l'amour, est de demander d'abord le baiser sans détour, et même sans nommer l'Epoux. Ainsi étoit transportée Madeleine, lorsqu'elle dit à Jésus-Christ qu'elle prit pour un jardinier : « Si c'est vous qui l'avez enlevé 1? » De là vient que le discours passe tout d'un coup d'une personne à l'autre ; l'Epouse quitte ses compagnes et, dans le transport de son amour, elle s'adresse à l'Epoux comme s'il étoit présent: Votre amour vaut mieux que le vin. Le mot hébreu signifie amour, et non mamelles; et il le faut prendre en ce sens dans tout le Cantique. Toutefois les anciens interprètes ont traduit mamelles, parce qu'avec quelque petit changement le même mot hébreu peut signifier ces deux choses. Ce qui ne s'éloigne point du véritable sens, puisque les mamelles sont les délices et les tendresses de l'amour mème. Par les mamelles de l'Epoux, les saints Pères entendent les deux Testamens qui inspirent l'amour de Dieu par JésusChrist, que l'un nous a promis et que l'autre nous a donné. Or les mamelles nous retracent l'idée d'une mère et d'une nourrice, pour apprendre au fidèle qu'il doit s'abaisser à la simplicité de l'enfance chrétienne, s'il veut s'attacher aux mamelles de Jésus-Christ et en sucer le lait. Votre amour vaut mieux que le vin au sens de cette femme dans les Proverbes : « Venez, enivronsnous de plaisirs 2. » L'amour de Jésus-Christ enivre et transporte l'esprit hors de lui-même, comme le dit saint Paul, «soit que nous soyons enlevés en esprit, c'est pour Dieu; soit que nous nous rabaissions, c'est pour vous 3. » Et encore : « Gardez-vous des excès du vin, mais remplissez-vous du SaintEsprit.» Ce que saint Pierre reconnoit être une ivresse dans les disciples pleins du Saint-Esprit ".

2. Vos parfums sont de bonne odeur. C'est l'hébreu à la lettre. L'Epoux dit la même chose de l'Epouse au chapitre iv, verset 10. L'amour de JésusChrist a tous les attraits qui peuvent gagner les ames : le goût qu'elles y trouvent se fait sentir comme la saveur du vin; sa force, jointe à ses détices, les transporte hors d'elles-mêmes; et sa bonne odeur attire à Jésus-Christ celles mêmes qui sembloient s'en éloigner davantage. C'est là le vrai fruit de la grace chrétienne, qui nous tire hors de nous-mêmes, lorsque nous sommes le plus éloignés de Dieu, pour nous enlever à lui, comme on verra dans la suite. Ainsi la prédication de l'Evangile accompagnée de la douceur de la grace, est la bonne odeur de Jésus-Christ. Un parfum répandu : en latin oleum, une huile; mais en hébreu c'est le même mot que la Vulgate traduit parfum, au commencement de ce verset. Votre nom : le nom de Christ ou de Messie signifie l'Oint du Seigneur. Aussi, comme une huile mystérieuse, sa connoissance s'est répandue jusqu'aux extrémités de la terre par la prédication de l'Evangile ; ce qui est aussi marqué dans le Psaume : « C'est Joan., XX, 15. - Prov., VII, 18: Inebriemur uberibus, sive amoribus.— II Cor., v, 13. Eph., V, 18..

. 5 Act., II, 15, 16, 17.

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