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qui ne sont pas soumis aux formules prescrites, immuables dans leurs termes il y a lieu alors à interprétation.

Cela peut arriver aussi à l'égard des événements. Et quelquefois la situation juridique est telle, que, quelle que soit l'incer titude, il faut absolument en sortir d'une manière ou d'autre; il faut donner une solution quelconque. Alors la loi, la science juridique en donnent une, souvent moins parce qu'elle est probable que parce qu'elle est indispensablement nécessaire, ou conforme à des sentiments d'humanité, de bienveillance ou d'utilité (1). Les jurisconsultes romains ont exercé, en mainte occasion, sur ces cas douteux, la subtilité de leur esprit (2).

§ VI. FAITS DE PURE CRÉATION, DE PURE SUPPOSITION JURIDIQUE.

63. Fictions du droit civil ou du droit prétorien.

182. Le droit crée des personnes et des choses qui n'existent pas de même, il crée, en abstraction, des faits purement imaginaires.

:

C'est-à-dire que ces faits, quoique n'ayant aucune réalité, sont établis intellectuellement, et que les droits en sont déduits comme s'ils avaient véritablement existé.

C'est là ce qu'on nomme des fictions (fictiones). La jurisprudence romaine nous en offre un grand nombre : quelques-unes appartenant au droit civil lui-même (3), la plupart imaginées par le droit prétorien. Et les commentateurs, surenchérissant, en ont vu dans bien des hypothèses où il n'en existait aucune (4). 183. Le but le plus fréquent de ces fictions a été de ménager

(1) Tels sont, avec des nuances distinctes, les cas de diverses personnes ayant des droits réciproques subordonnés au décès de l'une ou de l'autre, et mortes dans le même événement, sans qu'il soit possible de déterminer, en fait, laquelle a succombé la première. DIG., 34, 5, 9, § 4, f. Tryph.; 16, pr. f. Marcian.; 22, f. Javol.; 23, f. Gai.

(2) DIG., 34, 5, De rebus dubiis.

(3) Telles sont celles dont il était question dans un passage des Instituts de Gaius, où une page entière du manuscrit a manqué, et sur lesquelles nous n'avons que deux paragraphes. Gar., 4, §§ 32 et 33.

(4) Ainsi le postliminium, ni même les dispositions de la loi CORNELIA, que les commentateurs nomment généralement fiction de la loi Cornelia, n'out été qualifiés ainsi en droit romain. Voir pourtant ce que nous en dirons cidessous, tom. II, Inst., 1, 12, § 5 et 2, 12, § 5.

la transition du droit civil primitif, rude et inflexible, à un droit plus équitable et plus philosophique. Pour étendre les résultats. du droit civil à des cas qui réellement se trouvaient en dehors de ses dispositions, ou pour écarter ces conséquences lorsqu'elles paraissaient trop rigoureuses, on a supposé tels faits, telle qualité de pure invention, et l'on a agi comme si ces faits existaient. C'est le préteur surtout qui a usé de ce subterfuge, dans son travail incessant de civilisation sur le droit primitif (1).

184. En somme, et à part cet usage particulier formant un des traits caractéristiques du droit romain, les fictions ou suppositions juridiques de faits ne sont autre chose qu'une manière plus laconique de formuler les dispositions qu'on veut appliquer à une situation, en disant on déterminera les droits comme si tel fait avait eu lieu (2).

Le domicile, ou le siège, la demeure juridique d'une personne pour l'exercice ou pour l'application de certains droits, n'est autre chose, surtout dans notre législation, qu'un fait de cette nature, c'est-à-dire un fait de création juridique.

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE.

64. Génération des droits.

185. Tous les éléments indispensables à cette génération nous sont connus. Nous avons le sujet actif et le sujet passif, dans les personnes; l'objet, dans les choses; la cause efficiente, dans les faits.

A toute situation, à toute combinaison de ces trois éléments, qu'on applique soit la notion philosophique de ce qui est bon et équitable (jus, ars boni et æqui), soit la notion positive de ce qui est ordonné législativement (jus, lex, quod jussum est), on aura pour conséquences immédiates et variées, selon les cas, les droits (jura), c'est-à-dire les facultés et avantages conférés par

le droit.

(1) C'est ainsi qu'il suppose quelquefois l'existence de la qualité d'héritier (GAI., 4, § 34); l'usucapion accomplie (GAI., 4, § 36), ou, en sens inverse, non accomplie (Inst., 4, 6, § 5); la qualité de citoyen à un étranger (GAI., 4, § 37); la diminution de tête non avenue, quoiqu'elle ait eu lieu (GAI., 4, § 38). De là toutes ces actions nommées fictitiæ actiones.

(2) Ce qui concerne le postliminium et la loi CORNELIA n'est pas autre chose.

186. Ainsi, c'est le droit (jus), pris dans sa première acception (v. ci-dessus, no 8 et suiv.), suivant la conscience de ce qui est bon et équitable, ou l'autorité de ce qui est ordonné, qui, appliqué à la combinaison de ces trois éléments : les personnes, les choses, les faits, donne pour conséquence les droits (jura), pris dans la seconde acception du mot (ci-dess., n° 15), comme effet, comme résultat.

Les droits sont engendrés. Donnons quelques idées générales et rapides sur ce qui les concerne, en les considérant en eux

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65. Droits personnels; droits réels: classification non formulée en droit romain. 187. Droit est ici toute faculté qu'a une personne de faire, d'omettre ou d'exiger quelque chose (ci-dess., no 15).

La sphère est large il faut que l'esprit d'analyse vienne discerner les variétés et préciser les idées par une bonne classification.

La jurisprudence romaine n'a pas formulé de division géné rale, sous laquelle elle ait rangé toutes les diverses espèces de droits. Elle a procédé plus parcellairement. Mais de quelques indications éparses et du rapprochement des résultats analogues, on a tiré une classification, aujourd'hui vulgaire et acceptée par tous, qui, bien qu'elle n'appartienne pas au droit romain, en a été déduite.

Les droits se divisent en droits personnels et droits réels. Nous acceptons cette division, parce qu'elle est exacte, pourvu qu'elle soit bien définie.

66. Idée du droit personnel et du droit réel.

188. Sur cette définition, autant d'auteurs, presque autant d'idées.

Faisant un moment abstraction des traditions romaines, pour avoir recours au pur raisonnement philosophique, voici la notion que nous croyons pouvoir en donner :

Il n'existe de droit que de personne à personne; tout droit a donc nécessairement un sujet actif, et un ou plusieurs sujets passifs; lesquels, soit actifs, soit passifs, ne peuvent être que des personnes. Sous ce rapport, tout droit est donc personnel.

Tout droit, outre le sujet actif et le sujet passif, a de plus et nécessairement un objet, lequel, dans sa plus grande généralité, est désigné sous le nom de chose. Tout droit a donc une chose pour objet; et, sous ce rapport, tout droit est réel.

Ainsi, tout droit, sans exception, est à la fois personnel, quant à son sujet tant actif que passif; et réel, quant à son objet.

189. Mais la manière dont peuvent figurer et fonctionner dans le droit, soit les personnes en qualité de sujet actif ou passif, soit les choses en qualité d'objet, présente deux nuances bien distinctes.

Tout droit, en définitive, si l'on veut aller au fond des choses, se résume en la faculté pour le sujet actif d'exiger du sujet passif quelque chose or, la seule chose qu'il soit possible d'exiger immédiatement d'une personne, c'est qu'elle fasse ou qu'elle s'abstienne de faire, c'est-à-dire une action ou une inaction. C'est à cela véritablement que se réduit tout droit. Cette nécessité, pour le sujet passif, de faire ou de s'abstenir, est ce qu'on nomme dans la langue juridique, une obligation. Tout droit, en définitive et sans exception, si l'on veut aller au fond des choses, consiste donc en des obligations.

190. Mais ces obligations sont de deux sortes:

L'une générale, qui pèse sur la masse, sur l'ensemble de toutes les personnes, et qui consiste dans la nécessité, pour tous sans distinction, de laisser faire le sujet actif du droit, de lui laisser retirer le profit, l'utilité que son droit lui attribue, de n'y apporter aucun trouble, aucun obstacle. C'est une obligation générale de s'abstenir. Cette obligation existe dans tout droit quelconque.

Dans tout droit quelconque, chacun est tenu de s'abstenir de tout trouble, de tout obstacle à la jouissance, à l'exercice du droit. On peut dire que dans tout droit il y a toujours, d'une part, le sujet actif, à qui le droit est attribué; et, d'autre part, la masse de tous les hommes, de toutes les personnes, obligés de s'abstenir, de laisser faire celui à qui le droit appartient, de lui en laisser librement retirer le profit, les avantages.

191. Mais si cette obligation générale et collective existe dans tout droit, il est des cas où elle est seule, où il n'en existe pas d'autre, où le droit confère au sujet actif la faculté de retirer directement d'une chose une utilité, un avantage plus ou moins étendus, sans autre obligation que celle imposée à tous de le laisser faire, de s'abstenir de tout trouble ou de tout obstacle.

Il est des cas, au contraire, dans lesquels, outre cette obligation générale toujours existante, le droit confère au sujet actif la faculté de contraindre une personne individuellement à une action, comme donner, fournir, faire quelque chose, ou à une inaction, comme souffrir, laisser faire quelque chose. Dans ce cas le sujet passif du droit est pour ainsi dire double; d'une part, la masse, l'ensemble de toutes les personnes obligées toutes, uniquement, à n'apporter aucun obstacle à la jouissance du droit; d'autre part, le sujet individuellement passif, obligé de faire ou de ne pas faire quelque chose.

On s'est habitué, soit pour ne l'avoir pas suffisamment aperçue, soit parce que, existant dans les deux cas, on peut n'y avoir aucun égard pour marquer la différence, on s'est habitué à faire abstraction de l'obligation générale qui pèse toujours sur l'ensemble de toutes les personnes.

Cette abstraction ainsi faite, la différence qui existe entre les deux cas se dégage en ces termes :

Dans le premier cas, il n'existe aucune personne qui soit individuellement le sujet passif du droit; de sorte qu'en analysant ce droit on n'y trouve, à part la masse de toutes les personnes, obligées, chacune, de s'abstenir de tout trouble, on n'y trouve qu'une personne, sujet actif, et une chose, objet du droit. C'est ce droit qui a été appelé réel.

Dans le second cas, il existe, en outre, une personne comme sujet individuellement passif du droit, c'est-à-dire contre laquelle

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