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§ IV. ÉLÉMENTS INSEPARABLES DES FAITS.

59. Le temps (dies); le lieu (locus).

169. L'idée du fait en comprend essentiellement, inséparablement, deux autres : celle du temps, fraction de l'éternité, et celle du lieu, fraction de l'immensité : la place que le fait occupe dans la durée, celle qu'il tient dans l'étendue; chacune avec sa part d'influence dans le droit.

170. Le temps se désigne communément, dans la langue du droit romain, par l'expression de dies; car, dans la plupart des cas, c'est le jour qui est la mesure juridique du temps.

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Le temps où l'événement s'est accompli, la relation d'antériorité ou de postériorité du fait avec tel autre (1); - Le temps de sa durée (2); Le temps, par rapport à la vie des personnes, depuis la naissance jusqu'à la mort, ce qui constitue les divers degrés de l'àge; Le temps à partir duquel les droits commencent à exister ou à être exigibles (dies a quo; a die; ex die); celui où ils devront expirer (dies ad quem; ad diem): ce qui constitue le terme (nommé aussi en droit romain dies); - Le temps où la poursuite judiciaire des droits peut ou doit avoir lieu; Le temps, dans la négligence mise à cette poursuite voilà autant d'aspects sous lesquels se présente l'influence du temps sur les droits. A cette matière se réfèrent l'antique distinction des jours en fastes ou néfastes, ceux qui étaient ou ceux qui ne pouvaient être consacrés aux affaires et aux procédures juridiques (dies fasti, dies nefasti); la mesure par jours utiles, c'est-à-dire en ne comptant que ceux durant lesquels nul obstacle, ni physique ni juridique, n'empêchait d'agir, et celle par jours continus, c'est-à-dire par les jours dans leur écoulement successif, sans interruption, sans distinction des uns ni des autres (tempus utile, dies utiles; tempus continuum, dies continui); enfin les diverses autres manières de compter le temps, car la mesure n'est pas toujours la même dans les diverses applications du droit.

Injuriam quæ tibi facta est,

quuntur incommoda.» DIG., 50, 17, 10, f. Paul. penes te manere quam ad alium transferri æquius est. » DIG., 46, 1, 67, f. Paul. (1) Par exemple, pour la naissance ou pour le décès des personnes, quant au droit d'hérédité.

(2) Par exemple, pour l'acquisition par la possession.

171. Le lieu (locus) figure aussi, quoique avec moins d'importance que le temps, dans la constitution des droits. Ainsi, par exemple, le lieu de la naissance, le lieu du siège juridique ou domicile, le lieu de la présence corporelle des personnes, le lieu de la situation des choses, le lieu où certains droits doivent être exercés ou les engagements accomplis, le lieu où leur poursuite judiciaire doit se faire.

§. V. CONSTATATION DES FAITS.

60. Preuves (de probationibus).

172. Il ne suffit pas de l'existence du fait, pour que le droit puisse en être déduit; il faut que cette existence soit constatée; et, en cas de contestation, de dénégation de la part de ceux qui y ont intérêt, que la preuve en soit faite.

La preuve (probatio) consiste toujours, sans aucune exception, dans une opération du raisonnement, dans une déduction logique, qui, de certains faits connus, nous fait conclure à l'existence du fait inconnu.

Les déclarations de témoins (testes); les monuments (monumenta de monere, avertir); les écrits; les marques, signes ou vestiges quelconques; les aveux (confessio); le serment (jusjurandum), sont autant de faits qui peuvent servir à tirer celte consequence, avec plus ou moins de certitude dans la déduction, ou, comme on dit, des moyens de preuve plus ou moins concluants.

173. A tous ces moyens de preuve, s'applique, en droit romain, l'expression de instrumenta, prise dans son acception la plus générale (1). Ils sont ou publics (instrumenta publica), ou privės (privata), ou même domestiques (domestica).

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Toutefois, daas un sens plus restreint, instrumenta désigne plus spécialement les écrits dressés pour constater le souvenir de l'acte écrits auxquels on donne aussi une multitude d'autres noms: ceux de scripta, scriptura, tirés de l'écriture même; ceux de tabulæ, codex et son diminutif codicilli, ceræ (tablettes enduites de cire), membrane (parchemin), charta (papier), tirés de la matière qui porte l'écriture; ceux de chirographum (de yɛip, main,

(1) Instrumentorum nomine ea omnia accipienda sunt, quibus causa instrui potest. DIG., 22, 4, De fid. instr., 1, f. Paul.

et ypaço, écrire), pour l'écrit émané de la main de la personne engagée (1); syngraphæ (de oùv, avec, et ráp, écrire), pour les écrits signés des diverses parties et remis en exemplaires différents à chacune d'elles; apocha, quittance (de añé, recevoir), et son correspondant, antapocha (de avtì, en échange de, et apocha), déclaration qu'on a reçu la quittance (2); enfin quelquefois le nom très-général de cautio (de cavere, prendre ou donner sûreté), parce que l'écrit, fournissant un moyen de preuve, est une sûreté (3).

174. Souvent, lorsqu'un acte juridique s'accomplit, ou même lorsqu'un fait, un événement non juridique est survenu, les personnes intéressées font intervenir dans l'acte, ou recueillent après l'événement, divers éléments de preuves qui leur serviront à constater l'existence du fait, générateur pour elles de certains droits. Il est important de ne pas confondre dans l'accomplissement des actes juridiques les formalités qui interviennent ainsi par précaution, pour la preuve seulement (ad probationem), sans qu'elles soient nécessaires à l'existence de l'acte (sauf la difficulté d'en prouver l'existence), avec les solennités essentielles, dont l'accomplissement est indispensable à la validité de l'acte juridique, et sans lesquelles cet acte n'existerait pas.

175. La question de savoir sur qui, en cas d'incertitude ou de dénégation d'un fait, tombe l'obligation d'en faire la preuve, est une des plus importantes et souvent des plus délicates dans le droit. Elle est dominée par ce principe général, que c'est à celui qui invoque un fait comme ayant créé, modifié ou éteint quelque droit, à prouver l'existence de ce fait (4). Qu'est-ce, en définitive, qu'un fait? Rien autre qu'un changement dans l'état du monde des perceptions. C'est donc à celui qui prétend qu'il y a eu chan

(1) DIG., 2, 14, 47, § 1, f. Scævol. 22, 1, 41, § 2, f. Modest. (2) C., 4, 21, De fide instr., 19 const. Justinian.

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(3) DIG., 2, 14, 2, § 1, f. Paul; et 47, § 1, f. Scævol. 22, 3, 25, § 4, f. Paul. Il faut bien se garder de donner, en droit romain, à caut o le sens spécial que nous lui donnons en droit français. C'est une expression trèsgénérale, qui s'applique à toute sûreté, à toute garantie donnée par une partie à l'autre.

a

(4) Ei incumbit probatio, qui dicit, non qui negat. (DIG., 22, 3, De probat., 2 f. Paul.)

gement, que quelque chose de nouveau est survenu dans ce monde, et par suite dans l'état des droits, à prouver le changement jusqu'à cette preuve, on reste dans le statu quo.

61. Présomptions (de præsumptionibus).

176. Quelquefois le droit (chez les Romains, la jurisprudence, la science juridique, plus souvent que la loi positive), sait lui-même, et à l'avance, l'opération du raisonnement: il tire lui-même à l'avance, de certains faits connus ou posés en hypothèse, la conclusion à l'existence du fait inconnu. C'est ce qui se nomme véritablement présomption (præsumptio : de præ et de sumere, prendre à l'avance.) Le droit, dans une opération logique ainsi faite à l'avance, ne peut pas évidemment prendre sa conclusion dans les détails particuliers des faits qui ne sont pas encore arrivės; mais il la prend dans les faits généraux, dans ce qui a lieu toujours cu le plus souvent. Il conclut du général au particulier. Il fait une induction.

:

177. Dans certains cas, le droit fait cette induction impérieusement, irrévocablement, sans permettre qu'on la combatte par les détails particuliers de chaque fait. Tel est le cas de cette maxime Res judicata pro veritate accipitur (1); » tel est celui de la règle qui repousse de la famille, comme n'appartenant pas au mari, l'enfant né plus de dix mois après la mort de ce dernier (2); tels sont encore quelques autres cas (3). C'est cette présomption que les commentateurs ont nommée, dans un latin barbare qui n'a jamais appartenu au droit romain: Præsumptio juris et de jure.

Dans d'autres cas, le droit fait son induction, mais en admettant, avec plus ou moins de latitude, la preuve contraire, c'està-dire en permettant aux parties de combattre l'induction des faits généraux par les détails propres à chaque fait particulier, afin d'établir ainsi que la conclusion n'est pas exacte dans le cas dont il s'agit (4). C'est cette présomption que les commentateurs ont

(1) DIG., 50, 17, De reg. jur., 207, f. Ulp.

(2) Dig., 38, 16, De suis et legit., 3, § 11, f. Ulp.

(3) Par exemple, INST., 3, 21, et C., 4, 30, 14, const. Justinian., l'exception non numeratæ pecuniæ.

pour

(4) Par exemple, les diverses présomptions relatives à la filiation : « Pater is

nommée, toujours de leur seule autorité : præsumptio juris tantum. Elle rejette l'obligation de la preuve sur celui contre qui existe la présomption.

178. On voit que la présomption consiste dans une même nature d'opérations intellectuelles que la preuve : c'est toujours la conséquence tirée de faits connus à un fait inconnu. Seulement, dans la présomption, l'opération est faite à l'avance, et par voie d'induction du général au particulier, indépendamment de tout examen du détail de ces faits particuliers dont il s'agit. On voit aussi combien il serait erroné, cédant à des idées et à l'impression du langage vulgaire, de se figurer la présomption, dans la langue du droit, comme inférieure à la preuve, comme ayant moins de force, moins de certitude qu'elle, tandis qu'elle la prédomine, et quelquefois lui commande irrévocablement.

179. Quant aux présomptions, c'est-à-dire aux inductions. anticipées et tirées de la généralité des faits, qui peuvent se former dans l'esprit du juge ou des particuliers, elles ne sont pas, dans le droit romain, classées à part, ni séparées des autres variétés de preuves.

180. Toute cette matière, c'est-à-dire tout ce qui se réfère à la constatation des faits, était du reste traitée avec soin par les jurisconsultes (1).

62. Faits douteux (de rebus dubiis).

181. Enfin il est des cas où un doute difficile à résoudre enveloppe les faits.

Cela peut se présenter dans les actes juridiques, quant aux intentions, quant aux expressions des parties; surtout dans ceux

est quem nuptiæ demonstrant. » DIG., 2, 4, 5, f. Paul. « Credendum est eum qui ex justis nuptiis septimo mense na'us est, justum esse.» DIG., 1, 5, 12, f. Paul, et 38, 16, 3, § 12, f. Ulp.; et pour le cas d'absence du mari: DIG., 1, 6, 6, f. Ulp. Pour la remise du titre au débiteur : DiG., 2, 14, 2, § 1, f. Paul; pour le titre biffé: DIG., 22, 3, 24, f. Modest.; pour l'intention présumée de comprendre ses héritiers dans les actes qu'on fait : 22, 3, 9, f. Cels.

(1) DIG., 22, 3, De probationibus et præsumptionibus; 4, De fide instrumentorum; 5, De testibus; 42, 2, De confessis; 12, 2, De jurejurando sive voluntario, sive necessario, sive judiciali. — Et, dans le Code de Justinien, les titres correspondants.

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