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struction. Enfin on montre encore aujourd'hui, à Rome, sur la pente du Capitole, au-dessus du Forum, la prison Mamertine, sorte de cachot de peu d'étendue, dont la solide construction, en larges masses de pierres unies sans ciment à la manière étrusque, est attribuée à Ancus Martius, duquel elle a pris le nom (1). C'est aussi à Ancus Martius que l'histoire fait remonter la fondation d'Ostie, colonie romaine à l'embouchure du Tibre, dont les deux rives avaient été par lui occupées jusqu'à la mer (2).

49. Comme ce fut pendant le règne d'Ancus Martius que vint s'établir à Rome, avec sa nombreuse suite et ses grandes richesses, L. Tarquin, à qui la tradition romaine attribue une origine corinthienne par son père, Cicéron en a pris texte pour dire qu'alors affluèrent à Rome les sciences et les arts de la Grèce, non comme un faible ruisseau, mais comme un fleuve immense (3). C'est là une assertion anticipée : les travaux et les monuments de cette époque attestent une application de l'art étrusque, et non encore de l'art grec.

50. Ce L. Tarquin, lucumon venu de Tarquinies (4), qui prit à Rome les noms de Tarquinius Priscus (plus généralement Tarquin l'Ancien) (5), apparaît comme ayant commencé contre les premières institutions, basées sur la distinction des origines nationales des Ramnenses, des Tatienses et des Luceres, et contre l'oligarchie déjà trop étroite des anciennes familles patriciennes, une révolution que son successeur, Servius Tullius, poussa plus

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(1) Mamers, en langue osque suivant Festus, en langue sabine suivant Varvon, ce qui peut être vrai des deux parts, était le nom du Dieu Mars. D'où les prénoms de Mamercus ou Martius, et l'épithète de Mamertinus. Voir Festus,

Sous ces mots.

(2) Voir pour tous ces points, TITE-LIVE, liv. 1, §§ 32 et 33, CICERON, De republica, liv. 2, §§ 18 et 19.

(3) CICERON, De republica, liv, 2, § 19 : « Influxit enim non tenuis quidam e Græcia rivulus in hanc urbem, sed abundantissimus amnis illarum disciplinarum et artium. »

(4) Peut-être de Coré, où la tombe des Tarchenas a été découverte en 1845. (5) La divergence sur le sens du mot Priscus, appliqué à L. Tarquin, est de longue date. TITE-LIVE en fait un surnom : « Urbem ingressi sunt, domici Jioque ibi comparato, L. Tarquinium Priscum edidere nomen. » (Liv. 1, § 34.) →→→ Paul, d'après FESTUS, en fait une épithète : Priscus Tarquinius est dictus, quia prius fuit quam Superbus Tarquinius.» (Au mot Priscus,)

avant, et que la plèbe devait élargir et poursuivre jusqu'à de bien autres extrémités. Le moment était venu où le cadre primitif dans lequel étaient distribués les citoyens par tribus et par curies, suivant leur origine de Ramnenses, de Tatienses ou de Luceres, ne pouvait plus suffire ou devenait un non-sens à l'égard des citoyens nouveaux qui ne se rattachaient à aucune de ces trois origines, mais dont Rome s'était recrutée successivement, et qui y formaient une population toujours croissante. Plusieurs de ces nouveaux venus avaient appartenu dans leur ville à la classe supérieure, et cependant, à l'exception d'un très-petit nombre auquel le patriciat avait été accordé en même temps que les droits de cité, ils avaient dû prendre rang à Rome dans la plèbe, où ils avaient été en position, à cause de la franchise perpétuelle de leur lignage, de former la souche de gentes plébéiennes, contrairement à l'état antérieur d'après lequel les patriciens seuls pouvaient former une gens. L. Tarquin lui-même était au nombre des nouveaux venus, et plusieurs de ses amis ou partisans qui l'avaient suivi et qui avaient été admis avec lui aux droits de cité, et distribués dans les tribus et dans les curies (1), se trouvaient dans la situation que nous venons de décrire.

51. L. Tarquin ne put accomplir tout ce qu'il avait eu le projet de faire à ce sujet. Quand il voulut mettre de côté les noms des tribus de Ramnenses, de Tatienses et de Luceres, en désaccord avec les nouveaux éléments de la population, il rencontra une opposition énergique, qui se concentra, sous couleur de religion, dans la personne de l'augure Attius Navius, et il dut y renoncer (ci-dess., n° 21). Il était réservé à son successeur d'y réussir sous une autre forme.

Toutefois, il éleva au patriciat cent ou cent cinquante nouveaux personnages (les historiens varient entre ces deux chiffres), et leur donna place au Sénat. L'orgueil des vieux patriciens ne les admit pas dans la classe supérieure sur le pied de l'égalité; ils y formèrent le commencement de ces minores gentes qui, de génération en génération, furent toujours distinctes des gentes majores, dont la souche ingénue et nobiliaire allait se perdre dans les origines de Rome (ci-dess., no 33).

(1) DENYS D'HALICARNASSE, liv. 3, § 71

52. Parmi les nombreux monuments de l'époque de L. Tarquin, qui commençaient à annoncer la grandeur et l'éternité de la ville, on montre encore à Rome la cloaca maxima, entreprise par lui et terminée par Tarquin le Superbe. Ce grand et utile travail à la manière étrusque a résisté aux siècles et à l'abandon. L'imagination poétique a pu y voir des créations cyclopéennes ou pélasgiques, vestige mystérieux de civilisations inconnues.

53. (An 176.) Servius Tullius, qui se fit élever à la dignité de roi par un détour, sans se commettre aux patriciens (non commisit se patribus), sans passer par la désignation préalable du Sénat ni par la nomination des curies; qui n'eut recours qu'après coup à cette nomination et à l'investiture de l'imperium par la loi curiate (1), porta un coup décisif à la vieille distribution du peuple par tribus suivant les anciennes origines, distribution que ne comportait plus la population nouvelle et dès lors considérable de Rome; et s'il laissa subsister encore nominalement, par le respect des auspices et de quelques vieilles formes du droit primitif, les comices par curies tenus d'après cette étroite distribution, il plaça à côté, pour la réalité des affaires, d'autres comices dans lesquels toute la population actuelle ou future des citoyens pouvait venir se ranger suivant une autre classification (2). Cette population était alors de plus de quatre-vingt mille citoyens, d'après le premier recensement qu'en fit faire Servius Tullius. Cela suffit pour montrer combien devait s'y trouver noyée celle qui se rattachait aux origines primitives des Ramnenses, des Tatienses ou des Luceres. Servius Tullius lui-même, soit qu'on s'en tienne aux récits fabuleux des Romains sur son extraction, soit qu'on accepte celui des annales étrusques qui en faisaient un chef de bande étrusque (ci-dess., p. 14, note 1), était, avec les siens, parmi les nouveaux venus. Familier et conseiller de L. Tarquin, son prédécesseur, il en continua l'œuvre et la réalisa. L'innovation profonde qu'il opéra dans la constitution politique venait placer à côté de l'aristocratie de race, renfermée dans la caste supérieure du vieux patriciat, l'aristocratie d'argent, ouverte à

(1) CICERON, De republica, liv. 2, § 21. (2) Suivant M. BELOT (Hist. des Chevaliers romains, p. 44), cette révolution aurait été opérée ultérieurement par les patriciens et mise sous le nom populaire de Servius Tullius.

tous. Ainsi arrivaient à leur part d'influence les nombreux citoyens dont la population de Rome s'était accrue, et qui, malgré le rang qu'ils avaient pu tenir, eux ou leurs ancêtres, en leur pays natal, et quelle que fût la fortune qu'ils pussent avoir, restaient à Rome en dehors du patriciat, au nombre des plébéiens.

54. L'impôt jusqu'alors avait été une capitation, c'est-à-dire un tribut par tête (viritim), imposé à chaque individu par une appréciation arbitraire, sans règle fixe ni proportion déterminée entre le pauvre et le riche. La division du peuple par tribus et par curies avait été une division par les origines, et les comices assises sur cette division (comitia curiata), une assemblée votant d'après les origines (ex generibus), où, n'importe par quel mécanisme resté inconnu dans ses détails, la suprématie était dévolue à l'ancienne caste patricienne. Il s'agit, pour Servius, de substituer à la division et au vote d'après les origines une division et un vote d'après les fortunes, et de proportionner, en définitive, le tribut et le vote de chaque citoyen à l'importance de son avoir.

L'institution du cens, la distribution du peuple par classes et par centuries, les comices par centuries, l'ordre naissant des chevaliers et l'organisation de nouvelles tribus suivant les localités, appellent ici notre attention.

12. Le cens (census).

55. Chaque chef de famille fut obligé de se faire inscrire sur un tableau, en indiquant, sous la foi du serment, le nombre des personnes qui composaient sa famille, et ses biens de toute nature, fidèlement estimés, sous peine de confiscation pour ceux qu'il aurait omis (1). L'opération terminée, le peuple, passé en revue dans le Champ de Mars, fut religieusement purifié par une lustration (populum lustrare); et tous les cinq ans la même solennité dut se reproduire : d'où le nom de lustre (lustrum) pour désigner un espace d'années quinquennal. Ce tableau, ce registre, qu'on nomma cens (census), dans lequel un chapitre (caput) était ouvert à chaque chef de famille, fit connaître à des époques pėriodiques la population des Romains et leurs fortunes respectives.

(1) DENYS D'HALICARNASSE, liv. 4, § 16.

L'inscription sur le cens fut l'apanage des seuls citoyens romains; les fils de famille y étaient inscrits sans doute sous le chapitre du chef; les femmes, les hommes au-dessous de seize ans accomplis, n'ayant pas encore quitté la prétexte pour la robe virile, n'y figuraient que pour le dénombrement; les esclaves n'y étaient indiqués que par leur quotité, parmi les choses mobilières de leurs maîtres, et par la suite le mode de les affranchir consista simplement à les faire inscrire sur ce tableau.

13. Les classes (classes) et les centuries (centuriœ).

56. De l'institution du cens, qui avait déterminé la fortune de chaque citoyen, dériva la distribution du peuple par classes et par centuries, assise principalement sur l'ordre des richesses. Cette distribution fut conçue de manière à répondre à ces trois nécessités sociales: le tribut, le service militaire et le vote politique. Les classes et les centuries furent donc une organisation du peuple pour l'impôt, pour le combat et pour les comices, quoiqu'il ne faille pas cependant pousser l'assimilation trop loin, et qu'il dût y avoir forcément quelques différences de règles entre ces trois buts fort distincts. Ainsi les fils de famille, qui ne pou→ vaient avoir à cette époque aucune propriété à eux, ne se ran geaient dans les classes que sous le cens de leur père, ne pouvaient contribuer à l'impôt que comme compris dans celui du père, et cependant, à coup sûr, ils comptaient individuellement dans l'armée pour le service des armes, et dans les comices pour l'exercice de leur droit de suffrage.

57. La division des classes en ce qui concerne l'impôt repose exclusivement sur la considération de la fortune. Ces classes sont au nombre de cinq, car on ne comptait pas pour une classe toute la multitude dont l'avoir se trouvait au-dessous du dernier chiffre marqué, et que la révolution de Servius rendait franche d'impôt (1). Quelle était la gradation de fortune d'une classe à l'autre? les chiffres indiqués par les historiens offrent quelques variantes, et surtout il nous est bien difficile d'en apprécier la valeur relative

(1) C'était ainsi que l'entendaient les Romains, et que le disent Cicéron et Tite-Live. Denys d'Halicarnasse en compte six, parce qu'il qualifie aussi de classe toute cette multitude qui ne comptait pas pour l'impôt.

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