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en 1726, et son autorité a déterminé dans ce sens une conversion moutonnière; Laferrière, néanmoins, après examen à son tour, est porté à croire à la conquête : l'un et l'autre déclarant, du reste, que la question, réduite comme elle l'est aujourd'hui, n'offre plus un grand intérêt (1). Nous en voyons un cependant qui, bien que secondaire, n'est pas sans valeur ce serait de savoir si Irnérius et les premiers glossateurs, antérieurs à 1137, ont eu connaissance et fait usage du manuscrit de Pise. Certes, s'il était vrai, ce que niait déjà Cujas (Observ., II, 1), qu'il ne fût survenu aux glossateurs que par suite du sac d'Amalphi, et seulement en 1137, il est probable qu'une aussi subite apparition d'un tel manuscrit, en de telles circonstances, aurait laissé dans leurs écrits quelques traces de l'événement, tandis qu'il n'y en a absolument aucune.

622. Le manuscrit des Pandectes florentines est le seul qui soit antique parmi ceux que l'on possède aujourd'hui. Tous les autres remontent au plus au temps des glossateurs. Il est certain cependant que ceux-ci en ont eu de plus anciens qui existaient en Italie à leur époque et qui se sont perdus depuis, précisément sans doute à cause de leurs travaux. C'est à l'aide de ces manuscrits divers, en les comparant entre eux et avec le manuscrit de Pise, que les glossateurs ont établi graduellement le texte des Pandectes nominé texte bolonais (littera Bononiensis), ou la Vulgate (Vulgata), texte accrédité, vulgarisé, généralement reçu. - Qu'on remarque les trois acceptions de ce terme : la Vulgate, version latine de la Bible, seule approuvée comme texte canonique par le concile de Trente; la Vulgate, version latine des Novelles, contenue dans l'Authenticum, que l'on reporte volontiers, sans preuve précise, jusqu'aux traductions faites par les ordres de Justinien pour la promulgation en Italie; enfin la Vulgate, texte des Pandectes reconstitué par les travaux des glossateurs au moyen de la critique des anciens manuscrits, et courant généralement.

623. Un fait singulier, c'est que le manuscrit florentin des Pandectes offrant, dans le dernier titre, une interversion des

(1) SAVIGNY, Histoire du droit romain au moyen âge, t. III, p. 71 et suiv. de la trad. franç. LAFERRIÈRE, Histoire du droit français, t. IV, p. 369

et suiv.

lois, causée sans doute, en un temps ancien inconnu, par un dérangement des feuillets et par une reliure fautive de deux d'entre eux, tous les manuscrits connus offrent la même interversion. On serait tenté d'en conclure qu'ils ont tous eu pour original les Florentines, ou bien qu'un manuscrit plus ancien encore, où se trouvait l'interversion, a été l'original commun et d'eux et des Florentines. Cependant certains passages qui manquent ou qui se trouvent évidemment erronés dans les Florentines, et qu'on trouve rétablis ou rectifiés dans la Vulgate, sont la preuve de l'existence de manuscrits distincts. Parmi les explications de cette singularité, qui a suscité bien des controverses, la plus simple est celle-ci que les manuscrits possédés par les glossateurs ne contenaient pas la fin des Pandectes, et qu'on a eu recours à une copie des Florentines pour les compléter dans la dernière partie qui leur manquait.

624. Le manuscrit florentin est d'un seul volume, contenant toutes les Pandectes dans leur ensemble; mais il n'en était pas de même de tous les manuscrits qui pouvaient exister en Italie. Les textes dont les premiers glossateurs ont usé leur étaient parvenus en plusieurs volumes et à différentes fois : Odofredus, dont nous avons déjà parlé, qui écrivait au treizième siècle, marque dans quel ordre (1). De là était sortie pour les Pandectes, en y joignant des raisons de prix, de maniement plus commode, d'ordre et de distribution pour l'enseignement, la division, devenue traditionnelle dans la Vulgate, en trois volumes : Digeste ancien (Digestum vetus), Infortiat (Infortiatum), et Digeste nouveau (Digestum novum) :

Je sais le Code entier avec les Authentiques,

› Le Digeste nouveau, le vieux, l'Infortiat. ▾

la belle déclaration à faire à une dame! dit le Dorante de Corneille, dans la comédie du Menteur.

Tout ce qui a été mis en avant, d'ingénieux ou de baroque pour expliquer cette qualification d'Infortiat n'est pas à rapporter

(1) ODOFREDUS, glose sur l'Infortiat, liv. 35, tit. II, Ad leg. Falied., loi 82, frag. d'Ulp., au mot Tres partes: Cum libri fuerunt portati, fuerunt portati hi libri: Codex, Dig. vetus et novum, et Institutiones; postea fuit inventum Infortiatum sine tribus partibus; postea fuerunt portati Tres libri; ultimo liber Autenticorum inventus est: et ista ratio quare omnes libri antiqui habent separatum.»

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ici. Et sur cela, dit Estienne Pasquier dans ses Recherches de « la France (liv. 9, ch. 33), font des contes à perte de veue, ou bien pour demeurer dedans les termes du vieux proverbe françois, font des contes de la peau d'asne, auxquels il n'y a rien que de l'asnerie. » Odofredus, en attribue l'origine à Irnérius luimême, qui aurait dit, en voyant cette partie intermédiaire du Digeste arrivée à lui après les deux autres: « Voilà qui renforce notre droit (unde dixit Ir. Jus nostrum augmentatum, infortiatum est) (1). Bartole objecte qu'il aurait fallu dire dès lors infortians et non pas infortiatum (Præterea si hoc esset verum iste liber diceretur Infortians non Infortiatum) (2). Et voici qui donne satisfaction à l'objection par une raison ou par une autre, la coupure des manuscrits s'était trouvée faite de telle manière que celui de la partie intermédiaire se terminait vers la fin d'une loi, dans le milieu d'une phrase, avant les mots tres partes, et la phrase se continuait,, avec la suite du Digeste, au volume suivant: « Tres partes, etc. n (3). C'était évidemment une copie coupée au hasard en volumes séparés, sans souci du sujet ni de Ja phrase, à dessein ou par accident. Les glossateurs reprirent, dans le dernier volume cette continuation tres partes, avec la suite jusqu'à la fin du livre 38, et reportèrent le tout dans le volume intermédiaire, qui se trouva ainsi renforcé (infortiatum) (4). Cette explication, qui est celle qu'adopte Savigny, est aujourd'hui couramment reçue. Estienne Pasquier, avec son sens droit et sa

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(1) ODOFREDUS, au commencement de l'Infortiat, et aussi dans le Proemium du Digestum vetus.

(2) BARTOLE, au commencement de l'Infortiat. C'est à ce propos qu'il dit ailleurs que cette partie des Pandectes n'a jamais été perdue, que le volume entier des Pandectes a toujours été à Pise et qu'il s'y trouve encore (ci-dess., p. 523, note 2).

(3) C'est la loi 82, fragment d'Ulpien, liv. 35, tit. II, Ad legem Falcidiam, vers la fin de cette loi. Le second volume du manuscrit se terminait à ces mots: in quatuor partes dividantur; et le troisième volume commençait en continuant la phrase: tres partes ferant legatarii, etc.

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(4) D'après ce dernier arrangement, la contenance des trois volumes était celle-ci : DIGESTUM VETUS, liv. 1er jusqu'au liv. 24, tit. II, De divortiis, inclusivement; - INFORTIATUM, liv. 24, tit. III, soluto matrimonio, jusqu'à la fin du livre 38; ceci s'appelait Infortiatum cum tribus partibus; — Digestum NOVUM, liv. 39 jusqu'à la fin des Pandectes.

pointe de raillerie, se refusait à entrer dans ces obscurités il n'y avait là, pour lui, qu'une sotte distinction avec trois sottes dénominations que l'ignorance avait produites, et dont l'ignorance empêchait de rendre bon compte (au liv. déjà cité).

La division des Pandectes en ces trois coupures s'est transmise dès glossateurs à la série des jurisconsultes postérieurs. Lorsque l'imprimerie fut appliquée aux recueils de droit, toutes les éditions des Pandectes, y compris même, pour la plupart, celles du seizième siècle, furent faites d'après cette division. Dans la bataille du Lutrin, le coup d'éclat et le coup final est celui qui est lancé par le chanoine Fabri, lorsque (il faut lire la description. du volume dans le poëme),

Il saisit un vieil Infortiat,

» Grossi des visions d'Accurse et d'Alciat. »

et que sous cette masse abattant ses deux adversaires, il les envoie rouler longtemps l'un et l'autre sur les degrés. Depuis le dix-septième siècle, cette division, étrangère au droit romain, a disparu de nos éditions.

625. Nous n'avons rien de saillant à faire remarquer sur les manuscrits des Instituts, qui, à cause du caractère élémentaire de l'ouvrage, se sont trouvés répandus en plus grand nombre. Ni sur ceux du Code, si ce n'est cette observation que dans les manuscrits dont usaient les glossateurs étaient compris seulement les neuf premiers livres; les trois derniers, qui traitent du droit public, étant réservés à part, soit comme volume, soit comme objet d'enseignement. C'était la collection des neuf premiers livres qui portait le nom de Codex, et le surplus celui de Tres libri. Il n'est plus question de cette séparation dans nos éditions. -Enfin, nous n'ajouterons rien à ce que nous avons déjà dit sur les manuscrits des Novelles (ci-dess., n° 952 et suiv., et p. 482), si ce n'est qu'Irnérius, lorsqu'il fut revenu de la dénégation qu'il en avait faite d'abord, en tira lui-même des sommaires ou extraits, quant aux dispositions modificatives du Code et des Instituts, et annexa ces extraits, en forme de gloses, en regard des passages modifiés, avec indication de la Novelle ou Authentique d'où ils étaient tirés (1). Quelques-uns de ses successeurs en aug

(1) ODOFREDUS, après avoir conté l'anecdote rapportée ci-dessus, p. 452, en

mentèrent le nombre. Ces annotations, sous la qualification d'Authentiques, firent corps, en quelque sorte, avec le texte du Code. Nos éditions les portent encore, et elles y sont d'une grande utilité; celles des Instituts ont été moins conservées.

127. Écoles des jurisconsultes résumant ou remplaçant celle des glossateurs jusque dans le courant du seizième siècle.

626. Si l'on écoute la renommée commune et les noms qui sonnent dans les lettres, à l'oreille même des personnes les plus étrangères à la science du droit, comme types de nos anciens jurisconsultes européens, on en perçoit trois, Accurse, Bartole, Alciat, auquel vient se joindre, avec non moins d'autorité, celui de Cujas. Pour qui n'appartient pas à la profession, les noms intermédiaires sont effacés. C'est le résumé populaire des célébrités juridiques générales jusqu'au milieu du seizième siècle.

Savigny, qui, dans son bel historique du droit romain au moyenàge, a porté l'étude non-seulement sur les généralités, mais aussi sur les individualités, signale, durant le douzième et le treizième siècle, à partir d'Irnérius, quarante-sept jurisconsultes de renom, auxquels il consacre des notices biographiques, et durant le quatorzième et le quinzième siècle, plus de cent, parmi lesquels seulement six Allemands et quatre Français; tous les autres sont dus à la fécondité de notre mère juridique, l'Italie. Savigny n'a pas abordé, dans son livre, le seizième siècle, qui n'appartient pas au moyen âge.

627. Estienne Pasquier, qui commença à publier ses Recherches de la France en 1561, voulant mettre quelque ordre en cette série des jurisconsultes romanistes jusqu'à son époque, en distingue trois âges ou chambrées :- des premiers, que l'on appelle Glossateurs; — des seconds, qui furent nommés, dit-il, par la populace des écoles Scribentes, et qu'il veut appeler d'un mot plus sortable, Docteurs de droit; - enfin, des troisièmes qu'il lui plaît appeler Humanistes, « pour avoir meslé en beau langage latin les Lettres Humaines avec le Droict ».

note, ajoute Sed ipse postea mutavit opinionem suam... et dixit quod standum erat illo libro; et in illo libro studuit optime, et bene scivit eum, quod apparet ex eo quod ipse utilitatem posuit super C. signando auth. quæ leguntur super Codice.,

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