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humains, répandu chez ces peuples, existait encore aux premiers âges de Rome, même jusqu'après l'expulsion des rois, et a laissé pour longtemps dans leurs lois des termes consacrés : sacer esto (ci-dess., n° 16). On sait à l'aide de quels jeux de mots, deux fois répétés, les traditions attribuaient à Hercule, dans les temps fabuleux, et au consul Junius Brutus, au temps de la République romaine, d'en avoir dissuadé les peuples ou d'en avoir ordonné la cessation. Hercule, qui engage les nations italiques à offrir à Saturne des flambeaux allumés et non des victimes humaines, parce que le mot pura de l'Oracle signifie à la fois des hommes ou des flambeaux; Junius Brutus, qui fait cesser les sacrifices d'enfants immolés encore de son temps aux dieux Lares et à Mania, durant les fêtes compitales, et ordonne d'offrir, en place de ces enfants, des têtes d'ail ou de pavot, parce que l'Oracle avait dit : « Intercédez pour les têtes avec des têtes (1). » Et néanmoins, quelques sacrifices humains, pour conjurer des calamités publiques, sont encore consignés plus d'une fois dans l'histoire romaine jusqu'en des temps bien postérieurs (TITE-LIVE, liv. 22, § 57golovéh Ce fut surtout des Étrusques que les Romains recurent leur science et la plupart de leurs pratiques religieusesOn sait que les Étrusques avaient des rituels, probablement ceux¡ que, les Lucumons prétendaient avoir écrits sous les enseignements du miraculeux Tagès, et on peut voir, par l'énumération qu'en donne Festus, accommodée aux institutions romaines, tout ce qu'ils contenaient de relatif au droit public (2). Le jurisconsulte Labéon en avait fait un commentaire en quinze volumes, qui se sont perdus.

Les fonctions sacerdotales, chez les Romains de même que chez les Étrusques et chez les autres nations italiques, furent

(1) MACROBE, Saturnales, ch. 7: Ut pro capitibus, capitibus supplicaretur. -Du jeu de mots attribué à Hercule, et des offrandes faites à Saturne en place des sacrifices humains, vint la coutume de s'envoyer, au temps des Saturnales, des flambeaux de cire. On voit que les présents de bougie pratiqués, chez noús, avant la Révolution, en quelques compagnics, viennent de loin.

(2) FESTUS, au mot Rituales : Rituales nominantur Etruscorum libri, in quibus præscriptum est, quo ritu condantur urbes, aræ, ædes sacrentur, qua sanctitate muri, quo jure portæ, quomodo tribus, curiæ, centuriæ distribuantur, exercitus constituantur, ordinentur, cæteraque ejus modi ad bellum ac pacem pertinentia.

considérées pour la plupart comme des charges civiles, privilége de la caste patricienne. Elles ne séparèrent point de la société celui qui en fut revêtu; il resta semblable aux autres citoyens, capable de se marier, pouvant aspirer en général aux autres dignités, et soumis du reste à presque toutes les obligations publiques. Les prêtres formèrent des collèges dont le roi fut le premier magistrat. Aucune entreprise importante n'eût été faite sans immoler des victimes aux dieux et sans consulter les augures; et souvent la validité d'un acte public, son maintien ou sa cassation, dépendirent des décisions sacerdotales. Cette magistrature des augures, dont nous aurons à suivre le développement, consistait à présager le résultat de l'entreprise sur l'aspect du ciel, sur l'observation des entrailles des victimes, sur le vol, le chant ou l'appétit des oiseaux. Divers peuples italiques étaient renommés en quelqu'une de ces sortes de divination, et les Romains en avaient tiré d'eux la pratique; les Ombriens l'étaient pour les présages par les oiseaux; les Étrusques, surtout, pour leurs études sur les fulgurations, sur les phénomènes ou les prodiges célestes; le sénat romain en vint à décréter que six enfants des premières familles patriciennes seraient confiés à chacun des divers peuples de l'Étrurie pour y être instruits en cet art (1).

Les sacrifices et les rites à accomplir au nom et aux frais de la cité (sacra publica) formaient un ensemble religieusement réglé, suivant chaque occasion, chaque dieu, chaque temps (2).

40. Ce ne fut pas seulement dans les affaires publiques que la religion intervint, ce fut encore dans les affaires privées. Tous les actes importants des Romains prirent un caractère religieux. Ce fut là que les citoyens puisèrent cette foi inviolable du serment, ce respect des choses sacrées, la vénération des tombeaux, le culte de leurs lares et de leurs dieux domestiques: culte qui, avec l'obligation aux sacrifices qu'il entraînait (sacra privata), se transmettait dans les familles comme une partie de l'hérédité, et

(1) CICERON, De divinatione, liv. 1, § 41.

(2) FESTUS, au mot Publica: Publica sacra, quæ publico sumptu, pro populo fiunt, quæque pro montibus, pagis, curiis, sacellis; at privata, quæ pro singulis hominibus, familiis, gentibus fiunt. - Et au mot Popularia : ■ Popularia sacra sunt, ut ait Labeo, quæ omnes cives faciunt, nec certis familiis adtributa sunt: Fornacalia, Parilia, Laralia, Porca præcidania. ›

qui devait rester éternel: « Ritus familiæ patrumque servanto; sacra privata perpetuo manento, » dit Cicéron dans son traité Des lois (1).

Nous trouvons chez les écrivains romains, pour certaines illustres familles, par exemple pour les gentes Claudia, Horatia, Fabia, Nautia et d'autres encore, plus d'un vestige des sacra privata qui leur étaient propres (2).

9. Calendrier, jours fastes ou néfastes.

41. La fixation du calendrier fut confiée aux pontifes. Pour que cette fixation n'offre aucun inconvénient, il faut que l'année comprenne tout le temps précis que la terre met à tourner autour du soleil. Alors les diverses époques se développent avec les diverses saisons; quand la terre achève son cours, l'année termine le sien, et toutes les deux recommencent périodiquement leurs révolutions, qui s'accordent toujours. Les années des anciens peuples italiques étaient loin de présenter cet avantage. Nous lisons dans Censorinus que ces divers peuples, notamment les Ferentins, les Laviniens, les Albains, avaient pour la plupart leurs années particulières, différentes entre elles; mais ils en savaient assez dès cette époque sur le cours des astres pour reconnaître les irrégularités de leurs années usuelles, et pour chercher à se remettre en accord, de temps en temps, avec l'année solaire, au moyen d'intercalations de mois faites à de certaines périodes (3). Les Romains, suivant de savants

(1) CICERON, De legib., liv. 2, § 9.-Voici comment, dans son traité Sur la République, il parle des lois religieuses de Numa, en ajoutant qu'on les conserve encore dans les monuments, et en les louant d'avoir organisé des sacrifices de manière à en écarter les dépenses: Idemque Pompilius et auspiciis majoribus inventis, ad pristinum numerum duo augures addidit; et sacris e principum numero pontifices quinque præfecit; et animos, propositis legibus his quas in monumentis habemus, ardentes consuetudine et cupiditate bellandi, religionum cæremoniis mitigavit; adjunxitque præterea flamines, salios, virginesque vestales; omnesque partes religionis statuit sanctissime. Sacrorum autem ipsorum diligentiam difficilem, apparatum perfacilem esse voluit. Nam quæ perdiscenda, quæque observanda essent multa constituit, sed ea sine impensa. Sic religionibus colendis operam addidit, sumptum removit. (De Republica, liv. 2, § 14.)

(2) Voir notamment FESTUS, aux mots Propudianus, Porcus et Saturno; TITE-LIVE, liv. 1, § 26, et liv. 5, § 46.

(3) CENSORINUS, De die natali, § 20: « Nam, ut alium Ferentini, alium

témoignages que cite Censorinus, parmi lesquels figure celui de Varron, avaient eu d'abord l'année et les mois en usage chez les Albains (1). Cette année était basée sur la révolution lunaire, et composée seulement de dix mois, dont le premier était celui de mars, et le dernier celui de décembre. Ces dix mois ne formaient que trois cent quatre jours, et comme le temps que la terre met à tourner autour du soleil est de trois cent soixante-cinq jours et un quart, le mois de mars, qui avait commencé l'année, reparaissait avant que la terre eût achevé sa révolution et que les quatre saisons fussent terminées : ainsi il se trouvait successivement en hiver, en automne, en été, etc., et chaque mois subissait un déplacement pareil. Ce désaccord entre les mois et les saisons ne pouvait qu'entraîner une confusion qui se révélait d'elle-même physiquement, et les Romains, pour rentrer dans l'ordre, avaient recours, comme les autres nations italiques, au système des intercalations à faire de temps à autre.

C'est à Numa qu'on attribue la première correction; aux dix mois qui existaient déjà, il en joignit deux autres, janvier et février, l'un au commencement, l'autre à la fin de l'année; mais ces douze mois ne contenaient que trois cent cinquante-quatre jours, et, d'après quelques écrivains, trois cent cinquante-cinq. La différence avec le cours de la terre autour du soleil était donc encore de onze ou de dix jours et un quart. Les pontifes furent chargés de corriger cette inexactitude au moyen des intercalations. D'après quelles règles? C'est un point qui est bien loin d'être éclairci. Plutarque rapporte que Numa avait ordonné lui-même qu'on ajouterait tous les deux ans un mois intercalaire de vingtdeux ou vingt-trois jours alternativement; mais cette méthode, qui du reste n'était pas entièrement exacte, paraît avoir été abandonnée pour un arbitraire que les pontifes s'étaient arrogé (2).

Lavinii, itemque Albani vel Romani habuerunt annum ita et aliæ gentes. Omnibus tamen fuit propositum suos civiles annos, varie intercalandis mensibus, ad unum verum illum naturalemque corrigere. »

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(1) CENSORINUS, De die natali, § 20: Sed magis Junio Gracchano, et Falvie, et Varroni, et Suetonio, aliisque credendum, qui decem mensium putaverunt fuisse ut tanc Albanis erat, unde orti Romani.»

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(2) Ibid. : « Quod delictum (l'inégalité entre l'année solaire et l'année civile) ut corrigeretur, pontificibus datum est negotium, eorumque arbitrio inter

Toujours est-il qu'on voit ces historiens se plaindre souvent de cet arbitraire des intercalations et de l'irrégularité du calcul du temps, que la haine ou la faveur des pontifes pouvait modifier (1).

42. Ce calcul se liait intimement au droit public et au droit privé; la durée des magistratures, la classification des jours de fête, fêtes publiques ou fêtes privées pour les dieux de la famille, fêtes à jour fixe ou fêtes mobiles; les jours comitiales où les comices pouvaient être tenus et ceux où ils ne pouvaient l'être (2), et surtout, ce que remarquera le jurisconsulte, les jours où le magistrat pouvait exercer sa juridiction, où il lui était permis de prononcer les paroles consacrées, DO, DICO, ADDICO, dans lesquelles se résumaient les divers actes de cette juridiction : les premiers nommés à cause de cela jours fastes (de fari licet), et les seconds jours néfastes (de fari non licet) (3). Tout cela dépendait de la détermination de l'année et de l'arrangement du calendrier; tout cela était par conséquent dans le ressort et au pouvoir des pontifes d'où pour eux et pour la caste patricienne à laquelle ils appartenaient une grande prépondérance dans les affaires publiques et dans les affaires privées.

Les jours fastes ou néfastes ont été, dans ces dernières affaires, d'une importance majeure chez les Romains. La procédure sacramentelle, dont se composait ce qu'on appelait les actions de la loi, ne pouvait s'accomplir aux jours néfastes, non-seulement pour les affaires contentieuses, mais même pour une multitude

calandi ratio permissa.

Voir aussi MACROBE, Saturnales, liv. 1, ch. 13, qui explique pourquoi on s'en remit à cet arbitraire.

(1) CENSORINUS, ibid. Sed horum plerique, ob odium vel gratiam, quo quis magistratu citius abiret, diutiusve fungeretur, aut publici redemptor ex anni magnitudine in lucro damnove esset, plus minusve ex libidine intercalando, rem sibi ad corrigendum mandatam, ultro depravarunt.

(2) MACROBE, Saturnales, liv. 1, ch. 16: Comitiales sunt, quibus cum populo agi licet.,

(3) VARRON, De lingua latina, liv. 6, § 29 . Dies fasti per quos prætoribus omnia verba sine piaculo licet fari. » — - § 30: Dies nefasti, per quos dies nefas fari prætorem : DO, DICO, ADDICO; itaque non potest agi; necesse enim aliquo eorum uti verbo, cum lege quid peragitur. »— Et plus loin, § 53 : « Hinc fasti dies quibus verba certa legitima sine piaculo prætoribus licet fari. Ab hoc - nefasti quibus diebus ea fari jus non est, et si fati sunt, piaculum faciunt. »

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