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79. Propagation du christianisme.

422. Dès le règne de Tibère, les apôtres, parcourant les provinces de l'empire, avaient répandu autour d'eux la religion nouvelle qu'ils annonçaient aux peuples. Cette morale pure, cette idée grande de la Divinité, frappaient les esprits et couvraient de honte ou de ridicule les principes et les dieux du paganisme. Comme foi, le polythéisme, déjà abandonné par la philosophie et par les hautes classes de la société romaine, s'en allait de jour en jour. Il n'existait plus que comme institution, comme culte extérieur, dans les habitudes et les pratiques de la vie publique et de la vie privée. La croyance des apôtres, qui venait apporter la plus grande révolution sociale, non par la force, mais par l'esprit, par le sentiment, appelait à elle les petits comme les grands, les faibles comme les forts, les pauvres comme les riches. Le nombre des personnes qui s'y ralliaient augmenta rapidement; les églises où elles se réunissaient se multiplièrent; tout contribuait chez les particuliers, dans l'ordre privé, à propager la religion chrétienne. En était-il de même dans le gouvernement?

423. On n'a pas assez considéré ce point sous le rapport des lois politiques. Jusqu'ici nous avons fait voir le droit sacré de Rome fortement attaché au droit public, et formant une partie intime de ce droit. Les pontifes étaient des magistrats du peuple nommés dans les élections comme les autres magistrats, faisant intervenir leurs fonctions dans les affaires majeures de l'État; la première puissance du droit public, l'empereur, était aussi la première puissance du droit sacré, le souverain pontife. L'unité de lois religieuses n'était pas moins essentielle au gouvernement que l'unité de lois politiques, puisque ces lois se confondaient les unes avec les autres. Cette unité avait toujours été produite précisément par la pluralité des dieux. Une province nouvellement ajoutée à Rome avait-elle de nouvelles divinités, on les recevait, on leur élevait des temples, on leur donnait des prêtres, et le système religieux n'était pas troublé un seul moment : les dieux du paganisme étaient accommodants. Mais lorsque parut une religion qui, révélant l'existence d'un seul Dieu infini, ne pouvait être reçue sans anéantir toutes les institutions actuelles;

une religion qui donnait des prêtres indépendants du choix des autorités civiles, qui se séparait entièrement de la puissance publique, et qui disait : « Mon empire n'est pas de ce monde, mais d'un autre », alors le droit public se trouva attaqué dans une de ses bases fondamentales. Les chefs du gouvernement durent songer à le défendre ou à le changer totalement : ce fut le premier parti qu'ils prirent. Quelque absurde que fût le polythéisme, l'homme ne revient pas si facilement de ses erreurs, surtout lorsqu'à ces erreurs est attaché le gouvernement d'un grand empire. Comme empereurs et comme souverains pontifes, les princes voulurent arrêter une religion qui menaçait le droit de l'État, et, pour accomplir leurs desseins, ils employèrent, lors même qu'ils n'y étaient point portés par la férocité de leur caractère, le moyen le plus vicieux, celui de la force et des cruautés. Les persécutions de Néron, de Domitien, de Verus et de Gallus, ne firent que des martyrs : les chrétiens se multiplièrent au milieu des souffrances; la religion se répandit plus brillante et plus vénérée, et bientôt ces vastes provinces, sur toute leur face, virent les habitants divisés en deux classes distinctes : les chrétiens et les païens. Une guerre, une peste, un fléau quelconque frappaient-ils l'empire, les païens ne manquaient pas de l'attribuer aux innovations funestes des chrétiens, et ceux-ci de le rejeter sur l'aveuglement et sur l'obstination des païens.

424. Les jurisconsultes, hommes de la loi régnante et des institutions, furent dans la lutte contre le christianisme naissant les auxiliaires des chefs du gouvernement, et souvent leurs ministres comme dépositaires des pouvoirs publics. Leur philosophie, venue de la Grèce, naturalisée à Rome, et cultivée par eux comme la mère de toutes les sciences, avait progressivement substitué au droit civil quiritaire, droit matérialiste, exclusivement propre aux seuls citoyens, un droit plus rationnel et plus large, ouvert à tous les hommes; mais ils l'avaient fait à l'aide de procédés ingénieux, en proclamant le droit civil, et prenant sa place, quand ils ne paraissaient que se mettre à côté. Le christianisme fut pour eux un ennemi de l'État et des institutions, à repousser; peut-être un rival de leur science philosophique, qu'avec sa simplicité il venait détruire radicalement. Toutefois, il est permis de conjecturer que leur morale allait, même à leur

insu, s'éclairer aux lumières nouvelles de cet ennemi; que l'influence des doctrines évangéliques pénétrait indirectement leur propre philosophie; et que, même lorsqu'il était proscrit et persécuté, le christianisme agissait sur les progrès de la jurisprudence et de la législation dans une voie plus large et plus douce pour l'humanité.

:

80. Irruption des Barbares.

425. Les Romains dans les forêts de la Germanie, par delà le Danube, chassant devant eux des peuplades sauvages et libres, avaient refoulé les hommes vers le nord. Une force de compression retenait des nations nombreuses accumulées entre des limites froides et incultes mais la force diminua; les armées romaines faiblirent; la barrière se rompit sur divers points, et la réaction repoussa ces nations dans l'empire. Sous Domitien, sous Adrien, sous Marc-Aurèle, sous Gallus, sous chaque empereur, on vit les barbares s'avancer sur les terres romaines, puis rentrer avec leur butin; reparaître plus nombreux, rentrer encore dans leurs forêts, et, chaque jour enhardis davantage, apporter dans leurs excursions nouvelles plus d'audace, plus de force. Des empereurs les éloignèrent avec de l'argent : alors attirés par l'appât du gain et du pillage, les Scythes, les Goths, les Sarmates, les Alains, les Cattes, les Quades, les Francs, parurent à la suite les uns des autres, et bientôt presque tous à la fois. C'était ainsi qu'ils préludaient à ces irruptions terribles qui devaient un jour morceler l'empire et l'anéantir.

Telle était au dehors et au dedans la situation critique de l'État lorsque Dioclétien fut appelé à gouverner.

A. de R. A. de J. C.

(1037-284.) DIOCLETIEN (Diocletianus).

(1039-286.) DIOCLETIEN et MAXIMIEN AA. (Maximianus Herculius).

CONSTANCE et GALERE, Césars.

426. Porté d'une famille d'affranchis dans la classe des empereurs, Diocletien par son énergie dissipa les troubles, remit les légions sous la discipline, fit reculer les barbares, et rendit quelque stabilité au trône qu'il occupa.

C'est un des empereurs les plus féconds en rescrits et en consti

tutions sur des matières de législation, à en juger par

les extraits

qui nous sont parvenus; car nous en trouvons, sous son nom, plus de mille deux cents, dans le Code de Justinien. Ce qui signale le plus son règne dans l'histoire du droit, c'est le changement qu'il accomplit dans la procédure, en substituant définitivement et généralement la connaissance extraordinaire aux instances organisées par la formule. Ce fut lui qui introduisit à la cour le costume oriental et la cérémonie de l'adoration. Nous signalons plus loin, dans l'ordre politique, le partage de l'empire et du gouvernement.

La

81. Décadence de la procédure formulaire ou de l'ordo judiciorum. procédure extraordinaire (judicia extraordinaria) devient le droit commun. -Juges pédanés (judices pedanei).

427. De même que la procédure formulaire ne s'est pas substituée brusquement et sans transition au système des actions de la loi, mais que nous l'avons vue préparée et amenée graduellement (ci-dessus, no 252), de même en fut-il aussi de la disparition que subit, à son tour, le système formulaire, et du remplacement définitif de ce système par la procédure extraordinaire.

Le principe de la cognitio extraordinaria, consistant en ce que le magistrat connaît de l'affaire et la résout lui-même, ce principe était existant déjà dans le système des actions de la loi et dans celui des formules. C'est l'exercice le plus simple, le moins ingénieux, le moins savant du pouvoir judiciaire. Seulement dans les deux premiers systèmes de la procédure romaine, et surtout dans celui des formules, il n'existait que comme exception. La procédure par formules, qui offrait la séparation du jus et du judicium, la garantie du juge-juré choisi ou agréé par les parties, et le règlement formulaire de la mission de ce juge, cette procẻdure était le droit commun. Le magistrat ne connaissait et ne statuait lui-même que comme mesure extraordinaire (extra ordinem): dans des cas où sa juris-dictio pouvait terminer l'affaire; dans des cas où il avait besoin de faire usage de son imperium; dans des cas où il n'y avait pas d'action ouverte d'après le droit civil ni d'après l'édit, et où l'on avait extraordinairement recours au pouvoir même du magistrat (cognitio extraordinaria, persecutio, et non pas actio). Mais, sous le régime impérial, où l'omnipotence du prince s'établit de jour en

jour, où sa volonté et ses décisions avaient une autorité supérieure, où les affaires évoquées ou portées devant lui se multiplaient, où ses officiers, son préfet du prétoire, ses lieutenants, participaient, par délégation, aux pouvoirs du maître, l'usage des cognitiones extraordinaria se multiplia considérablement. Le prince ne jugeait pas toujours lui-même ces affaires dans lesquelles il intervenait extraordinairement : il en déléguait souvent la connaissance, soit au Sénat, soit à un officier, soit à un citoyen; mais comme c'était sans emploi de formules, sans observation de l'ordre des procès (ordo judiciorum): et comme celui à qui la connaissance était renvoyée prononçait sans distinction, en son office du jus et du judicium, il y avait toujours là une procédure extraordinaire (cognitio extraordinaria).

Voilà ce qui avait été répandu de plus en plus par l'usage, avant même les dispositions de Dioclétien sur ce point. D'un autre côté, déjà à cette époque on a perdu toute trace de ces listes annuelles de juges-jurés, de ces décuries dressées annuellement au Forum, au milieu du peuple, et affichées publiquement. Tout nous indique que ces institutions de la république, conservées pendant quelque temps sous l'empire, étaient tombées en désuétude, et que le choix du juge n'était plus renfermé dans les mêmes limites et ne se faisait plus selon les mêmes règles.

428. Ce fut en cet état de choses que Dioclétien, par une constitution que nous trouvons insérée dans le Code de Justinien (an de J. C. 294), ordonna aux présidents des provinces de connaître eux-mêmes de toutes les causes, même de celles pour lesquelles il était dans l'usage auparavant de donner des juges. Cette règle, qui ne paraît s'appliquer, dans les termes de la constitution, qu'aux provinces, se généralisa pour tout l'empire. Dioclétien réserve bien aux présidents le droit de donner aux parties des juges inférieurs, lorsque leurs occupations publiques ou la multiplicité des causes les empêchent d'en connaître euxmêmes (1); mais le renvoi devant ces juges ne se fait plus, selon

(1). Placet nobis, Præsides de his causis, in quibus, quod non ipsi possent cognoscere, antehac pedaneos judices dabant, notionis suæ examen adhibere : ita tamen, ut, si vel propter occupationes publicas, vel propter causarum multitudinem, omnia hujusmodi negotia non potuerint cognoscere, judices dandi habeant potestatem. Cod., 3, 3, De pedaneis judicibus, 2 const. Dioclet. et Maximian.

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