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compter juridiquement pour tous les individus, d'après les degrés mêmes de l'agnation respective des uns et des autres.

18. Le client, dépendance, lui avec les siens, de la gens du patricien son patron, était un familier (familiaris) pour ce patron, c'est-à-dire compris dans sa famille, ce mot de familia étant pris en sa plus large acception, laquelle s'étendait aux biens, aux esclaves, aux affranchis, aux clients, comme aux autres personnes placées, à un titre ou à un autre, sous la puissance du chef. Quelques-uns de ces clients demeuraient dans la maison même du patron; d'autres recevaient de lui des lots à cultiver dans les terres dont les patriciens avaient la possession. Ces distributions de terre par les patriciens aux plébéiens leurs clients, apparaissent en plus d'un texte. Lydus, en son traité sur les magistratures de la république romaine (liv. 1, § 20), nous dit que les patriciens ont nommé les familiers leurs clients, du nom de clientes, par contraction de colientes, à cause du culte de respect et de dévouement qu'ils devaient en recevoir; ne serait-ce pas plutôt à cause de la culture de leurs possessions, et le mot de clientes ne correspondrait-il pas, dans son principe, à celui de colons?

19. Les étymologistes romains ont varié dans les origines qu'ils ont cherchées aux mots de patres, patricii, donnés aux sénateurs et aux membres de la classe supérieure et dominante. Les patres auraient été les sénateurs, et les patricii leurs descendants. Le nom de patres aurait été donné aux sénateurs soit à raison de leur âge, soit à cause de leur sollicitude paternelle, soit parce que le sénat était chargé de distribuer des terres aux plébéiens comme des pères à leurs enfants (1), et celui de patricii à ceux qui pouvaient désigner leur père, c'est-à-dire qui étaient d'origine perpétuellement libre et ingénue (2). La vérité est que le mot pater emporte

(1) CICERON, De republica, liv. 2, § 8 : « In regium consilium (Romulus) delegerat principes, qui appellati sunt propter caritatem Patres. › Et § 12: • Quibus ipse rex tantum tribuisset, ut eos patres vellet nominari, patriciosque eorum liberos. » — SALLUSTE, Catilina, § 6: Hi vel ætate, vel curæ similitudine, Patres appellabantur. › FESTUS, au mot Patres: Patres appellantur, ex quibus senatus constat, quos initio urbis conditæ Romulus C. delegit, et sic appellavit, quorum consilio atque prudentia respublica administraretur atque gubernaretur; quique agrorum partes adtribuerent tenuioribus perinde ac liberis, ac pecunias dividerent. ›

(2) Voir ci-dessus, page 28, note 1.

essentiellement dans la langue des mœurs et dans celle du droit, suivant le caractère des époques primitives, l'idée de puissance, et chez les Romains des anciens temps celle d'une puissance presque absolue. Ainsi le chef de famille s'appelle-t-il chez les Romains pater familias, qu'il ait ou qu'il n'ait pas d'enfants, marié ou non marié, fût-il lui-même au berceau, sa famille ne se composât-elle que de biens, que d'esclaves, d'affranchis ou de clients. Ainsi pour exprimer que la femme était passée en la puissance du mari, les Romains disaient-ils qu'elle était loco filiæ, et la plaçaient-ils dans la famille en la même situation qu'une fille; ainsi pour caractériser la puissance sur les affranchis et sur les clients, moins énergique que celle sur les enfants et sur les esclaves, les Romains avaient-ils fait un diminutif du mot pater, celui de patronus. Les noms de patres, patricii, donnés à la classe supérieure à l'époque originaire où cette classe, soit par les liens de l'affranchissement, soit par ceux de la clientèle, tenait sous sa puissance toute la plèbe, n'ont pas été puisés à d'autre source qu'à celle de cette puissance. Ce n'est pas, en ees vieux temps, l'idée de tendresse, c'est l'idée de puissance qu'ils expriment. Florus a été bien plus dans la vérité lorsqu'il a dit, en parlant du sénat: « Ex auctoritate Patres, » et Festus y est tout à fait lorsqu'il prend dans Verrius l'explication suivante : « Il est manifeste que les patriciens ont été appelés patrons par les anciens, parce qu'ils étaient, d'après la coutume, les maîtres de leurs clients, comme les pères le sont de leurs enfants (1).» Le nom de patres a été le plus ancien, celui de patricii en est dérivé et en a été synonyme, bien qu'il soit possible de signaler entre eux quelque nuance délicate. Les patres ont été les chefs de famille de la classe supérieure, tenant distribuée en leur puissance toute la plèbe; les patricii tous les membres de cette classe, chefs ou fils de famille. La qualification de patres n'a pas commencé par les sénateurs, elle ne leur a pas appartenu exclusivement, et les patricii n'ont pas été seulement les descendants des sénateurs; car ce n'est pas du sénat qu'est née la classe supérieure et dominante, mais c'était,

(1) FLORUS, liv. 1, § 1: Consilium reipublicæ penes senes esset, qui ex auctoritate Patres, ob ætatem Senatus vocabantur. » -FESTUS, au mot Patronus: Patronus ab antiquis cur dictus sit, manifestum : quia ut patres filiorum, sic hi numerari inter dominos clientum consueverunt. »

en sens inverse, dans la classe supérieure et dominante que se formait, en toutes les villes italiques, le sénat. Patres et plebs, telle est l'antithèse permanente.

Nous sommes maintenant en état, par tout ce qui précède, de comprendre cette antique définition des patriciens : « Qui patrem ciere possent, id est nihil ultra quam ingenuos. » Le vrai sens antique était celui-ci : « Ceux qui peuvent citer pour leur origine un pater, ceux qui sont nés dans une gens (1). » Et la contrepartie se rencontre dans la définition de la plèbe telle que la rapportait encore le jurisconsulte Capiton: « Plebs, in qua gentes civium patricia non insunt »; cette partie du peuple dans laquelle ne sont pas comprises les gentes patriciennes (2). Il devient évident que Publius Decius Mus, dans la manière dont il présentait la vieille définition des patriciens, jouait sur les mots et sur l'altération que la valeur en avait déjà subie de son temps; mais il se rapprochait jusqu'à un certain point de l'ancienne signification lorsqu'il s'écriait ensuite : « Déjà je puis citer un consul pour père; déjà mon fils pourra le citer pour aïeul!»

20. Pas davantage ne croyons-nous devoir accepter l'opinion de Niebuhr, suivant en cela les traces de Vico, que les plébéiens, dans l'origine, n'auraient pas fait partie du peuple romain. Dès les premiers temps, comme toujours, le POPULUS ROMANUS est l'ensemble des patriciens et des plébéiens. Telles sont les définitions qu'en ont données à toutes les époques les jurisconsultes et les écrivains romains. Les passages nombreux invoqués par Niebuhr (tom. II, p. 163 et suiv. de la traduct.), dans lesquels les deux mots populus plebsque romana se présentent réunis, n'autorisent pas plus la conclusion qu'il croit pouvoir en tirer, qu'on ne serait autorisé à conclure de cette formule consacrée, SENATUS POPULUSQUE ROMANUS, que les membres du sénat n'étaient pas compris dans le peuple. La même tournure de langage se

(1) Nous ne traduisons pas, comme on le fait ordinairement, Ceux qui peuvent indiquer leur père, ce qui serait ridicule : pater a ici le sens du vieux droit romain, un chef.

(2) AULU-GELLE, liv. 10, ch. 20: Plebem autem Capito in eadem definitione seorsum a populo divisit: quoniam in populo omnis pars civitatis omnesque ejus ordines contineantur; plebes vero ea dicitur in qua gentes civium patriciæ non insunt. ›

retrouve avec le double pleonasme à une époque où, certes, aucun doute ne saurait être soulevé, dans la suscription d'une lettre de Lepidus, au recueil des lettres familières de Cicéron (liv. 10, épître 35): « LEPIDUS, Imperator ITERUM, PONTIFEX MAXIMUS, SALUTEM DICIT SENATUI, POPULO, PLEBIQUE ROMANÆ. » Et c'est toujours la trace du même pleonasme qui s'apercoit dans ces deux énonciations bien significatives de Festus, qui, dans le manuscrit de Farnèse, sont à la suite l'une de l'autre et se complètent mutuellement : Populi commune est in legibus ferendis cum plebe suffragium. Patrum commune cum populo suffragium : quibus suffragantibus fit populiscitum.» (1). — Enfin, suivant M. Fustel de Coulanges (Cité antiq., 275-281), les familles plébéiennes seraient celles qui seraient demeurées étrangères au culte privé; mais cette opinion ne trouve point d'appui dans les textes.

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3. Tribus et curies (tribus, curia).

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21. Le peuple romain est présenté comme divisé, dès les premiers temps, en trois tribus la tribu des Ramnenses, celle des Tatienses et celle des Luceres. Si, comme nous le lisons dans Cicéron, dans Varron, dans Festus, qui le rapportaient d'après de plus anciens écrivains, ces trois dénominations sont venues des noms de Romulus chef des Latins, de Tatius chef des Sabins, et du Lucumon chef des Étrusques, on sera autorisé à voir dans ces trois tribus les trois nationalités distinctes qui concoururent à former la population romaine : la tribu des Latins, celle des Sabins et celle des Étrusques. Varron toutefois nous dit de ces dénominations qu'elles étaient toutes les trois étrusques. La même division en trois tribus était en même temps une division territoriale; le territoire romain ou ager romanus ayant été divisé en trois parties, assignées l'une aux Ramnenses, l'autre aux Tatienses, et la troisième aux Luceres de sorte que ces trois tribus primitives sont à la fois locales et personnelles (2). Nous lisons dans Cicéron que L. Tarquin

(1) FESTUS, au mot Populi.

(2) CICERON, De republica, liv. 2, § 8: Populumque et suo et Tatii nomine, et Lucumonis qui Romuli socius in Sabino prælio occiderat, in tribus tres, curiasque triginta descripserat (Romulus).-VARRON, De lingua latina, liv. 5, § 55: Ager Romanus primum divisus in partes tres, a quo tribus appellata Tatiensium, Ramnium, Lucerum : nominatæ, ut ait Ennius, Tatienses

avait eu le désir, au nombre des modifications qu'il opéra, de changer ces noms de Tatienses, Ramnenses et Luceres, mais qu'il ne le put, à cause de l'opposition qu'il rencontra dans le fameux augure Attius Navius (1).

22. Une première subdivision, partageant chaque tribu en dix curies, nous offre le peuple romain distribué en tout en trente curies. La tradition populaire racontait que ces curies reçurent chacune le nom de l'une des femmes sabines qui, après leur enlèvement, s'étaient jetées au milieu du combat entre les Romains et les Sabins, et avaient été les médiatrices de la paix. Cicéron lui-même n'a pas dédaigné de rapporter cette tradition, qui se retrouve dans Tite-Live, dans Festus et ailleurs (2), mais qui n'était pas acceptée par tous, d'autres écrivains romains donnant une autre origine aux noms des curies.

Une seconde subdivision de chaque curie en dix décuries, indiquée par Denys d'Halicarnasse (liv. 2, § 7), est moins connue et moins importante à noter pour l'histoire de la constitution et pour -celle du Broit; mais la division du peuple en trente curies joue dans cette double histoire un rôle considérable et mérite une saffention particulière dès sa première apparition.

23 Les membres d'une même tribu et ceux d'une même curie, outre les liens d'une origine nationale commune, latine, sabine ou étrusque, lesquels durent aller en s'affaiblissant à mesure que la fusion des populations s'accomplit, étaient unis entre eux par d'autres liens de diverse nature: - par des liens religieux, chaque

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a Tatio, Ramnenses a Romulo, Luceres, ut Junius, a Lucumone. Sed omnia hæc vocabula Tusca, ut Volnius, qui tragoedias Tuscas scripsit, dicebat. FESTUS, au mot Titiensis: Titiensis tribus a prænomine Tatii regis appellata videtur. Titia quoque curia ab eodem rege est dicta. »—Au mot Lucomedi, cité ci-dessus, p. 15, note 3.

(1) CICERON, De republica, liv. 2, § 20: Nec potuit (L. Tarquinius) Titiensium et Ramnensium et Lucerum mutare quum cuperet nomina, quod auctor ei summa augur gloria Attius Navius non erat.»

(2) CICERON, ib., § 8: « Populum... in tribus tres, curiasque triginta descripserat (Romulus), quas curias earum nominibus nuncupavit, quæ ex Sabinis virgines raptæ, postea fuerant oratrices pacis et fœderis. » — -TITE-LIVE, liv. 1, § 13 Ex bello tam tristi, læta repente pax cariores Sabinas viris ac parentibus, et ante omnes Romulo ipsi, fecit. Itaque, quum populum in curias triginta divideret, nomina earum curiis imposuit. »

TOME I.

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