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lois supplémentaires; elles furent adoptées comme les premières, et le droit se trouva fixé par ces douze Tables.

Telle est l'origine de ce mouvement primitif du droit des Romains, de cette loi fondamentale nommée, par excellence, la Loi (Lex, ou avec plus de précision : lex ou leges XII Tabularum, lex decemviralis); de ce carmen necessarium, que l'on faisait apprendre par cœur aux enfants, et dans lequel de riches et brillantes imaginations, prenant l'expression à la lettre, ont cru voir un vrai poëme, une sévère poésie (1); lois obtenues après tant de débats, qui traversèrent les divers âges de Rome et survécurent même à la république; lois qu'on respectait jusqu'au point de n'oser y déroger qu'à l'aide de subterfuges; lois dont Cicéron lui-même parle avec une sorte d'enthousiasme (2).

Les dispositions en sont quelquefois grossières et même barbares, le style concis, impératif, souvent pour nous incompréhensible. On peut y lire les mœurs actuelles de la nation et son degré de civilisation.

26. Fragments, des Douza Tables qui nous sont parvenus.

112. Voici les fragments qu'on a recueillis épars dans les divers auteurs; quelques présomptions seulement ont servi de guide dans l'ordre des matières. Cependant Cicéron nous apprend que la première Table contenait le mode d'appeler in jus, la dixième, les ceremonies des funérailles; et l'une des deux dernières, la défense du mariage entre l'es patriciens et les plébéiens. Denys

(1) Bien qu'on puisse trouver de certaines désinences rhythmiques dans la plupart des lois des Douze Tables, elles ne peuvent pas être prises sériensement pour un chant en vers. L'expression carmen, chez les Romains, a un sens beaucoup plus générak.

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(2) « Fremant omnes licet, dicam quod sentio: bibliothecas, meherculė, ▾ omnium philosophorum unus mihi videtur XII Tabularum libellus, si quis legum fontes et capita viderit, et auctoritatis pondere et utilitatis ubertate » superare. » (Qu'on en soit révolté, mais je dírai ce que je pense.. Pour celui qui remonte à la source et aux principes des lois, je trouve que le petit livre des Douze Tables est, par sa force et son utilité, bien au-dessus des bibliothèques de tous les philosophes.) CICERON, De orat., 1, 43. — « Corpus omnis romani juris. Fons publici privatique juris., selon TITE-LIVE, 3, 4-a Finis aqui juris, dit TACITE, Annal., 3, 27.

d'Halicarnasse indique comme se trouvant dans la quatrième Table le droit accordé au père de vendre ses enfants. Ces indices certains ont servi de point de départ, et d'après quelques autres considérations (1), on est parvenu à tracer dans un ordre probable le sujet de chaque Table.

Cet ordre des Douze Tables ne resta pas sans influence dans le droit postérieur des Romains. Il servit comme de type, comme de moule primitif. Ce fut dans une disposition semblable, pour ainsi dire dans ce cadre antique et fondamental, que se formèrent les monuments législatifs des époques subséquentes : l'Édit des préteurs, le Code de Théodose, même le Code et le Digeste de Justinien.

113. C'est à Jacques Godefroy que sont dues les recherches les plus complètes sur ce monument, et les auteurs venus après lui, en France ou à l'étranger, ont tous profité de son travail (2). Mais on lui reprochera avec raison de n'avoir pas été assez difficile. Une présomption légère, une phrase d'un auteur lui suffisent bien des fois pour supposer une loi des Douze Tables, pour en composer le texte et lui assigner une place. Dans les lois même dont les termes nous sont parvenus, il n'a pas craint de suppléer aux altérations de ces termes par des corrections que le sens lui indiquait. M. Haubold a procédé dans l'esprit d'une critique plus rigoureuse, ne prenant que les vestiges qui nous sont donnés pour les termes mêmes des Douze Tables, et réduisant à un très-petit nombre les fragments arrivés jusqu'à nous (3). Enfin, en dernier lieu, MM. Dirksen et Zell ont modifié le travail de

(1) Gaius a écrit six livres sur les Douze Tables; on trouve au Digeste vingt fragments de cet ouvrage, avec l'indication du livre dont ils sont extraits. On a supposé que chacun des six livres correspondait à deux Tables, et cette supposition a servi de guide. L'ordre de l'Édit des préteurs, celui du Code de Théodose, et enfin du Code et du Digeste de Justinien, paraissent dériver évidemment de cette origine.

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(2) Jacq. GODEFROV, Fragmenta XII Tabularum, suis nunc primum tabulis restituta, probationibus, notis et indice munita. Heidelberg, 1616, in-4o. Réimprimés dans son recueil: Fontes iv juris civilis. Genève, 1638, in-4o; et 1653, in-4°.

(3) HAUBOLD, Instit. juris rom. privat. hist. dogm. epitome. Lips., 1821, P. 129.

Godefroy, en y introduisant plus de pureté; en plaçant simplement, pour les dispositions perdues, mais qui nous sont indiquées par les auteurs, les passages d'où ressortent ces indications; et, enfin, en complétant les anciennes données par les nouvelles que nous ont fournies la découverte de la République de Cicéron, et surtout celle des Instituts de Gaius (1). Je profiterai de tous ces travaux antérieurs, et surtout de ce dernier, que je suivrai de préférence. Toutefois, je crois devoir y faire plusieurs modifications et quelques additions. D'une part, MM. Dirksen et Zell n'ont pas fait usage des fragments du Vatican, où nous trouvons cependant quelques indices sur les dispositions des Douze Tables (2). D'autre part, je m'attache rigoureusement à séparer de tout mélange ce qui nous est arrivé comme fragment réel des Douze Tables; car, selon moi, plutôt que de toucher à ces débris, il vaut mieux les présenter incomplets et mutilés par les années. Encore est-il indubitable que, même pour ces rares vestiges, ce n'est pas un texte pur et primitif que nous possédons. Avec le temps, la langue et son orthographe s'étaient successivement modifiées, adoucies; et c'est en cet adoucissement graduel, consacré dans l'usage quotidien et dans la littérature des Romains, que quelques fragments des Douze Tables nous ont été transmis.

(1) H. E. DIRKSEN, Uebersicht der bisherigen Versuche zur Critik und Herstellung des Textes der Zwolf-Tafel-Fragmente (Révision des tentatives faites jusqu'à ce jour pour la critique et la reconstruction du texte des fragments des Douze Tables). Leipzig, 1824.

(2) Voir ci-dessous, p. 109, Table V, § 8; et p. 112, Table VI, § 11.

DES DOUZE TABLES".

TABLE I.

De l'appel devant le magistrat (de in jus vocando).

I. SI IN JUS VOCAT, NI IT, ANTESTATOR; IGITUR EM CAPITO (2).

II. S CALVITUR, PEDEMVE STRUIT : MANUM ENDOJACITo (3).

III. SI MORBUS ÆVITASVE VITIUM ESCIT, QUI IN JUS VOCABIT JUMENTUM DATO; ȘI NOLET, ARCERAM NE STERNITO (4).

IV. ASSIDUO VINDEX ASSIDUUS ESTO;

I. Si tu appelles quelqu'un devant le magistrat, et qu'il refuse d'y aller, prends des témoins et arrête-le.

II. S'il cherche à ruser ou à s'enfuir, opère mainmise sur lui.

III. S'il est empêché par la maladie ou par l'âge; que celui qui appelle devant le magistrat fournisse un moyen de transport, mais non un chariot couvert, si ce n'est bénévolement.

IV. Que, pour un riche, un riche

(1) C'est par fidélité pour le monument dont nous poursuivons la reconstruction que je ne crois pas, à côté des fragments qui nous sont parvenus comme formant le texte même des Douze Tables, devoir placer les passages des écrivains où nous trouvons l'indication de quelque autre disposition restée inconnue dans ses termes. Je me borne à analyser ces sortes de dispositions, en rejetant la citation dans les notes. Il est inutile de prévenir que l'intitulé de chaque table est de pure indication, et sans aucune prétention d'exactitude textuelle. Les termes qui y sont employés sont même fort souvent étrangers à la langue juridique de l'époque des Douze Tables.

(2) PORPHYRIO, Ad Horat., Sat. 1, 9, vers 65. — CICERON, De leg., 2, 4. LUCILIUS, Sat., liv. 17, d'après NONIUS MARCELLUS, De propr. serm., cap. 1, § 20, au mot Calvitur. AULU-GELLE, Noct. attic., 20, 1. — Auctor Rhetor. ad Herenn., 2, 13.

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DIG., 50, 16, De verbor.

signif., 233 f. GAI., liv. 1 de son Comment. sur les Douze Tables. - LUCILIUS,

à l'endroit précité.

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VARRO, dans NON. MARCELL., De

(4) AUL.-GELL., Noct. attic., 20, 1. propr. serm., cap. 1, § 270. - VARRO, De ling. latin., 4, 31.

PROLETARIO QUOL QUIS VOLET VINDEX seul puisse être vindex (sorte de réESTO: (1).

V. REM UBI PAGUNT, orato (2),

VI. NI PAGUNE, IN COMITIO AUT IN FORO ANTE MERIDIEM CAUSAM CONICITO,

QUOM PERQRANT AMBO PRÆSENTES

VII. POST MERIDIEM, PRÆSENTI STLITEM ADDICITO (4).

pondant prenant sa cause); pour un prolétaire, quiconque voudra l'être. V. S'ils pactisent (c'est-à-dire s'ils transigent), que l'affaire soit ainsi arrêtée et réglée.

VI. S'il n'y a pas de transaction, que l'exposé de la cause ait lieu, avant midi, au Comitium ou au Forum, contradictoirement entre les plaideurs présents tous deux.

VII. Après midi, que le magistrat fasse addiction du procès à la partie présente

(Ce qui signifie qu'il lui attribue la chose ou le droît objet du litige ; ou seulement, suivant une interprétation que nous croyons moins probable, qu'il lui accorde l'organisation du procès devant un juge.)

VIII. SOL OCCASUS SUPREMA TEMPESTAS ESTO (5).

IX. VADES... SURVADES (6)...

VIII. Que le coucher du soleil soit le terme suprême (de tout acte de procédure).

IX. Les vades..... les subyades.....

(1) AUL.-GELL., Noct. attic., 16, 10. — VARRO, dans NON. MARCELL., De prop. serm., cap. 1, § antepenult.

(2) Auctor Rhetor. ad Herenn., 2, 13. 5, 32.

(3) Aul.-Gell., Noct. attic., 17, 2. nat., 7, 60.

PRISCIANUS, Ars grammat., 10,

- QUINTILIANUS, 1, 6.

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PLINIUS, Hist.

(4) AUL.-GELL., Noct. attic., 17, 2. - On peut mettre en doute si ces deux fragments (VI et VII) se rapportent à l'office du magistrat ou à celui du juge, et par conséquent à la première ou à la deuxième Table. La Cause conjectio, ou exposé sommaire de la cause, et la décision par défaut contre le plaideur absent, appartiennent à la procédure devant le juge, ainsi que nous l'expliquerons dans notre Expl. hist. des Instit., tom. III, en traitant des actions, et cependant le mot addicito ne peut s'appliquer qu'au magistrat. Nous adoptons ce dernier sens, expliquant la difficulté par la différence d'époque. (5) AUL.-GELL., ibid. FESTUS, au mot Supremus. VARRO, De ling. latin., 5, 2, et 6, 3. MACROBIUS, Saturn., 1, 3. ·CENSORIN., De die nat.,

cap. fin.

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(6) AUL.-GELL., Noct. attic., 16, cap. 10. Conférez avec GAIUS, Instit., comm. 4, §§ 184 et suiv., sur le vadimonium; VARRO, De ling. latin., 5, 7; et ACRON., Horat. Satyr., 1, 1, vers 11.

Le travail de MM. DIRKSEN et ZELL réfère encore à cette première Table cette

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