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XII. DISCOURS.

Nec morti effe locum:

VIRG. Georg. IV. 226.

Il n'y a rien de tout ce qui éxifte qui retombe dans le néant.

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dictions,

eft à ve

Un jeune Débauché, à la vue d'un Contravieux Hermite, qui alloit nuds- où les piéds, lui dit, Mon Père, vous êtes dans Hommes un Etat bien trifte & bien malheureux, s'il n'y tombent a pas une autre Vie après celle ci. Cela eft de la Vie à l'égard vrai, mon Fils, lui repliqua l'Hermite; préfente mais, quel est votre Etat, s'il y en a une? & de L'Homme eft une Créature déftinée à celle qui deux différentes maniéres d'exifter, ou nir. plûtôt à deux Vies différentes. L'une eft courte & paffagére: l'autre eft permanente, & d'une éternelle durée. La Question eft de favoir, Dans laquelle de ces deux Vies nous devons penfer à nous rendre heureux ? Ou pour me fervir d'autres termes, Si nous devons tâcher de nous affûrer les plaifirs d'une Vie incertaine & d'une très-courte durée dans fa plus grande étendue, ou ceux d'une Vie durable & qui ne finira jamais? A l'ouïe de cette Queftion, il n'y a perfonne qui ne fente d'abord de quel côté il doit fe déterminer. Mais, quelque juste que foit nôtre Théorie à cet égard, il eft certain, que, dans la Pratique, nous

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embraffons le mauvais Parti. Nous travaillons pour cette Vie, comme fi elle ne devoit jamais finir; &, pour l'autre comme fi elle ne devoit jamais commen

cer.

Suppofé qu'un Efprit d'un Ordre fupérieur, qui n'auroit pas la moindre connoiffance de la Nature Humaine, vint par accident fur cette Terre, & qu'il en voulût examiner les Habitans, quelle idée fe feroit-il de nous ? Ne croiroit-il pas, que nous fommes une espéce d'Etres deftinez à une tout autre fin qu'à la véritable? Ne s'imagineroit-il pas, que nous avons été mis dans ce Monde, pour y accumuler des Richeffes & des Honneurs, & que nôtre Devoir nous engage à ce pénible travail? Que dis-je? Ne fe perfuaderoit-il pas, que la Pauvreté nous eft défendue, avec menaces d'être punis éternellement, fi nous y tombions; & que la recherche de tous les Plaisirs de la Vie nous eft ordonnée, fous peine de la Damnation éternelle. Il jugeroit à coup fùr, que nous fommes gouvernez par des Maximes tout-à-fait oppofées à celles qui nous font prefcrites. Il feroit même fondé à conclurre de-là, que nous fommes les Créatures les plus obéiffantes qu'il y ait au Monde; que nous fommes inféparablement attachés à nôtre Devoir; & que nous avons toûjours en vue but pour lequel Dieu nous a

créez.

Mais, dans quelle furprise ne tombe

roit-il pas, lorfqu'il fauroit, que nous ne devons refter ici-bas qu'environ foixante-dix ans, & que la plupart même de ceux de notre Efpéce n'arrivent pas à cet âge? De quel étonnement & de quelle horreur ne feroit-il pas faifi, lorf qu'il apprendroit, que ces Hommes, qui emploient tous leurs efforts pour l'entretien d'une Vie, qui mérite à peine ce nom, doivent jouir de l'Eternité dans un autre Monde, pour lequel ils ne font aucun préparatif? Il n'y a rien de plus honteux à la Raifon Humaine, que de voir des Etres, qui croient cette double Existence, s'occuper fans relâche aux befoins d'une Vie de foixantedix ans, & négliger tout ce qui en regarde une autre, qui, après des milions & des milions d'années fe renouvellera toûjours: fi l'on confidére fur-tout, que nos efforts pour obtenir des Biens, des Honneurs, ou tout au tre chofe en quoi nous plaçons nôtre Félicité, peuvent être inutiles & manquer de fuccès; au lieu que, fi nous travaillons avec ardeur & de bonne-foi à nous rendre heureux dans une autre Vie, nous pouvons compter fûrement d'en venir à bout, & que nôtre espérance ne fera pas trompée.

Un des Scholaftiques fait la Question fuivante. Suppofe, dit-il, que tout le ,,. corps de la Terre fût un vafte Globe du plus menu fable, & qu'un feul de fes grains s'anéantît de mille en mille ,, ans,

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,, ans. Suppofé d'ailleurs, qu'il fut à vổ,, tre choix d'être heureux pendant tout le tems que ce prodigieux amas de fable fe confumeroit ainfi d'une maniére imperceptible jufqu'à ce qu'il n'y ,, en reftât plus un grain, à condition ,, que vous feriez malheureux enfuite ,, pour toute l'éternité: Ou, fuppofé ,, que vous puiffiés être heureux pour ,, toûjours, à condition que vous feriez malhereux jufqu'à ce que cette Maffe de fable fut entiérement anéantie fur le pié d'un grain au bout de mille an,, nées: lequel des deux Partis choifiriés-vous?

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Il faut avouer, que, dans ce Cas, tant de milliers d'annés paroiffent à l'Imagination comme une espèce d'Eternité quoi qu'au pié de la lettre ils ne foient pas plus proportionnez à la durée qui doit les fuivre, que l'Unité l'eft au plus grand Nombre de Chifres que vous puiffiez mettre enfemble, ou qu'un feul de ces grains de fable l'eft au monceau fuppofé. De forte que la Raifon nous dicte, fans balancer le moins du monde lequel des deux elle devroit choifir. Mais, il pourroit bien arriver, que la Raifon, entrainée par l'Imagintion, fuccomberoit, lorfqu'elle viendroit à réfléchir fur la prémiére partie de cette longue durée & fur l'éloignement de la feconde qui la doit fuivre. L'Esprit,. dis-je, peut fe laiffer gagner au Bonheur préfent, à caufe de cela même.

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qu'il eft fi proche, & d'une fi longue, durée. Mais, lorfque le choix que nous avons à faire roule actuellement fur ceci, favoir, S'il vaut mieux être heureux l'espace de foixante-dix ans, que dis-je ? d'un jour, ou d'une heure, & malheureux enfuite pour toute l'Eternité: Ou s'il vaut mieux être miférable durant le cours de quelques années, & jouïr à la fin d'un Bonheur éternel? Quels termes y a-t-il, qui puiffent exprimer la folie & l'égarement de ceux qui font un mauvais choix en pareil cas?

J'ai mis les chofes au pis. Iorfque j'ai fuppofé, que la Pratique de la Vertu rend les Hommes malheureux dans ce Monde, ce qui arrive fort rarement. Mais, fi nous fuppofons, ce qui eft affez ordinaire, que la Vertu contribue plus à nôtre Bonheur dès cette Vie, que l'abandon' au Vice, qui ne s'étonneroit de voir la Stupidité de ceux qui font capables de faire un choix fi abfurde?

Ainfi, tout Homme fage ne peut qu'emplorer cette Vie à obtenir le Bonheur de celle qui eft à venir, & facrifier gare. ment tous les Plaifirs de quelques Années à ceux de l'Eternité.

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