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fer corrompre au préjudice de la Société où il nous a placés. Elle rend la Converfation douce & agréable, & donne une entiére ferénité à l'Efprit.

Entre les différens moïens, qu'on peut mettre en ufage, pour acquérir cette Habitude, je n'en rapporterai que deux. L'un eft de confidérer ce que nous avons au de là de ce qu'il nous faudroit pour fubvenir à nos befoins réels: & l'autre, de penfer que nous pourrions être beaucoup plus malheureux que nous ne fommes.

I. Le prémier de ces Articles me rappelle la Réponse d'ARISTIPPE à un de fes Amis, qui le plaignoit d'avoir perdu une Maifon de Campagne. Vous avez tort, lui-dit-il, de vous affliger pour moi, &je devrois plutôt vous plaindre vousmême, puis qu'il me reste encore trois Maifons de Campagne, & que vous n'en avez qu'une. Tout au contraire, la plupart des Hommes font plus d'attention à ce qu'ils ont perdu, qu'à ce qu'ils poffedent, & ils fixent plûtôt la vue fur ceux qui font plus riches que fur ceux qui fe trouvent dans un plus trifte état qu'euxmémes. Tous les folides plaifirs, & toutes les commoditez de la vie, fe renferment dans des bornes affez étroites; mais c'eft le foible de tous les Hommes de chercher toujours à les étendre plus loin, & à s'élever au plus haut dégré d'honneur & de richeffes auquel ils puiffent atteindre. De-là vient que,

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comme on ne peut appeller proprement riches, que ceux qui ont au-delà de ce qu'il leur faut, il n'y en a guères de tels dans les Nations les plus polies, qu'entre les Perfonnes d'un rang médiocre, qui bornent leurs défirs à leur fortune, & qui ont plus de bien, qu'ils ne fauroient en dépenfer. Ceux d'un rang plus diftingué vivent dans une brillante mifère, & font toujours dans le befoin; parce qu'au lieu de fe fixer aux plaifirs réels de la vie, ils tâchent de fe furpaffer les uns les autres en plaifirs chimériques & apparens. De tout tems, les Hommes les plus fages fe font divertis à voir jouer cette Comédie, pendant qu'ils refferrent eux-mêmes leurs défirs, & qu'ils jouiffent de toute la fatisfaction intérieure après laquelle les autres courent, fans pouvoir jamais la trouver. Il eft certain, qu'on ne fauroit trop fe moquer du ridicule qu'il y a dans la pourfuite des plaifirs imaginaires, puis qu'elle eft la fource de tous les maux qui caufent la ruine d'un Peuple. Qu'un Homme ait d'auffi grands Biens qu'il vous plaira, il eft pauvre, s'il dépenfe au-delà de fon revenu; & il fe met, pour ainfi dire, en vente, prêt à fe li vrer à tout autre, qui le voudra païer fa jufte ou fa prétendue valeur. Lors que le Roi de Lydie offrit à PITTACUS une groffe Somme d'Argent, celui-ci, qui avoit hérité d'un beau Domaine par la mort de fon Frére, le remercia de fon Tome VI. D

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offre, & lui dit qu'il avoit déja la moitié plus de bien qu'il ne lui en falloit. En un mot, le Contentement tient lieu de Richeffe, & le Luxe conduit à la Pauvreté; ou, pour m'exprimer en d'autres termes, je dirai, avec SOCRATE, que le Contentement eft une Richesse naturelle & j'ajouterai moi-même, que le Luxe eft une Pauvreté artificielle. Que ceux-là donc, qui afpirent toûjours à de nouveaux plaifirs, & qui ne veulent pas se borner à cet égard, fe fouviennent de cet excellent Mot du Philofophe BION, Qu'il n'y a point d'Homme qui s'expofe à tant de chagrin, que celui qui donne le plus d Etendue à fon Bonbeur.

II. Le fecond Article, que j'ai résolu de toucher, regarde ceux qui fe trouvent dans quelque état d'affliction ou de mifére. Ceux-ci peuvent bien fe confoler, s'ils penfent qu'il y en a d'autres beaucoup plus malheureux, & qu'ils auroient pû tomber eux-mêmes dans un plus grand malheur. J'admire le Sentiment de ce bon Matelot Hollandois, qui, après s'être laiffé tomber du haut du grand Mât d'un Vaiffeau, & s'être caffé une jambe, dit à fes Camarades qui le relevérent, qu'il étoit fort heureux de ne s'être pas caffé le cou. Ceci me rappelle une autre Avanture, moins tragique d'un ancien Philofophe. Il donnoit un jour à diner à quelques-uns de fes Amis, lors que fa Femme vint en furie dans la Chambre où ils mangeoient,

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le gronda en leur préfence, & renverfa la Table avec tout ce qu'il y avoit deffus. Maître de fes Paffions, le Philofophe dit, fans s'émouvoir, Chacun a fon écharde dans ce Monde, & celui-là eft beureux, qui n'en a pas une plus rude. La Vie du Docteur HAMMOND, écrite par l'Evêque FELL, nous fournit un bel Exemple de fa Patience Chrétienne: Cet illuftre Théologien, fujet à une complication de maux, lors qu'il avoit la Goute, remercioit Dieu de ce que ce n'étoit pas la Gravelle; & lors qu'il avoit une attaque de celle-ci, il lui rendoit graces de ce qu'il ne les avoit pas toutes deux à la fois.

Je ne faurois finir ce Difcours fans obferver, qu'il n'y a jamais eu aucun Syftème de Philofophie, qui fût auffi capable de produire le Contentement de I'Efprit, que le Chriftianisme. Pour nous rendre fatisfaits de nôtre Etat préfent, plufieurs des anciens Philofophes nous difent, que le chagrin ne fert qu'à nous tourmenter nous-mêmes fans remédier à nos maux. D'autres foutiennent, que, quelque malheur qui nous arrive, nous ý étions prédeftinez par une fatale néceffité, à laquelle les Dieux eux-mêmes font affujettis: pendant que d'autres avancent d'un air fort grave, que, fi quelcun eft malheureux, il le doit être néceffairement, pour entretenir l'harmonie de l'Univers; & que, fi cela n'étoit pas, le Plan de la Providence feD 2

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roit interrompu & bouleverfé. Toutes ces Raifons, & autres pareilles, peuvent bien réduire un Homme au filence; mais, elles ne le fatisferont jamais. Elles peuvent le convaincre, que fes plaintes font inutiles & mal-fondées; mais, elles ne fauroient le foulager dans fes maux. Elles fervent plûtôt à le mettre au défespoir, qu'à le confoler. En un mot, il pourroit repliquer à ces Philofophes ce qu'AUGUSTE dit à un de fes Amis, qui l'exhortoit à ne pas s'affliger de la mort d'une Perfonne qu'il chériffoit, puis que fa douleur ne la feroit pas revivre: C'est pour cela même, que je m'afflige.

Tout au contraire, la Religion Chrétienne a des Egards plus tendres pour la foibleffe de la Nature Humaine. Elle prefcrit les moïens à tout Homme malheureux de rendre fon Etat plus fupportable, & lui fait voir, que, s'il reçoit fes Afflictions avec toute la Patience requife, il en fera tôt ou tard délivré. Elle ne peut que le tranquilifer ici bas, puis qu'elle lui promet un Bonheur éternel dans le Siècle à venir.

Enfin, le Contentement de l'Esprit eft la plus grande Bénédiction, dont un Homme puiffe jouir dans ce Monde : & fi fon Bonheur ici-bas vient des bornes qu'il preferit à fes défirs, on peut dire qu'il confiftera dans le Ciel à les fatisfaire dans toute leur étendue.

XII, DIS

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