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& d'exalter notre Nature, nous don ner de grandes idées de l'Immortalité & nous encourager au mépris de cette Pompe apparente, en quoi les Juifs faifoient confifter la gloire de leur Meffie?

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Il n'y a rien, dit LONGIN, qui puie être grand, lorsqu'il y a de la grandeur d'ame à le méprifer. La poffeffion des biens & des richeffes ne fauroit rendre un Homme grand, parce qu'il y a une véritable grandeur à les négliger, & à n'en faire pas l'objet de nos défirs. C'eft pour cela même, que je fuis difpofé à croire, qu'il y a des Hommes cachez dans la foule, qui font plus grands que ceux que nous voïons paroître fur la Scène & qui s'attirent les yeux & l'admiration du Monde. Nous n'aurions jamais entendu parler de VIRGILE, fi fes malheurs domeftiques ne l'euffent fait fortir de fon obfcurité, & ne l'euffent conduit à Rome.

Si nous fuppofons qu'il y a des Ef prits ou des Anges qui obfervent toutes nos démarches, comme la chofe eft très-probable par les lumiéres de la Raifon & de la Révélation, quelle différence ne doit-il pas y avoir entre les idées qu'ils fe forment de nous, & celles que nous avons nous-mêmes les uns des autres ? S'ils devoient nous donner leur Catalogue des Perfonnes de Mérite qui vivent de nos jours, combien ne différeroit-il pas de

la Lifte. qu'aucun de nous en pourroit dreffer?

Nous fommes frappez par la magnificence des Titres, l'oftentation du Savoir, & le bruit des Victoires: Eux, au contraire, voient le Philofophe, dans une Cabane, pofféder fon Ame en patience & avec actions de grace, fous le poids de ce que les petits Efprits appellent Infortune & Pauvreté. Ils ne cherchent pas les grands Hommes à la tête des Armées, ni dans la Pompe des Cours; mais, ils les trouvent fouvent à l'ombre des Bocages, au milieu des Solitudes, & dans les fentiers reculez d'une Vie privée. La promenade, qu'un Philofophe fait tout feul vers le foir, paroit plus intéreffante à leurs yeux, que la Marche d'un Général à la tête de cent mille Hommes. Une heure emploïée à méditer fur les Ouvrages de Dieu, un Acte volontaire de Justice qui nous caufe quelque perte, un zéle ardent pour le bonheur du Genre Humain, des larmes répandues en fecret pour les calamitez des autres, un défir criminel ou un reffentiment étouffé, en un mot, un acte fincère d'Humilité, ou de toute autre Vertu, font les Exercices ou les Talens qui leur paroiffent glorieux, & les feuls qui puiffent amener les Hommes à la véritable Grandeur. Ils regardent fouvent, avec pitié, mépris, ou indignation, les plus fameux d'entre nous, pendant qu'ils regardent

avec amitié, eftime, & approbation, les plus obfcurs de notre Efpèce.

La Morale de cette Spéculation revient à ceci: Que nous ne devrions pas nous laiffer entrainer par les Cenfures ou les Applaudiffemens des Hommes ; mais, .confidérer la figure que chacun de nous fera un jour, lorfque la Sageffe fera juftifiée par fes Enfans, & que rien ne paffera pour grand ou illuftre, s'il n'aide à embellir & à perfectionner la Nature Humaine:

L'Hiftoire de GYGès, ce riche Monarque de Lydie, nous fournit un Exemple mémorable, qui vient ici bien à propos. Sur la Demande qu'il avoit fait à l'Oracle de lui dire, qui étoit l'Homme le plus heureux qu'il y eut au Monde, il lui fut répondu, que c'étoit AGLAUS. GYGES, qui efpéroit de s'entendre nommer à cette occafion, fut bien furpris d'une telle Réponse, & très-curieux de favoir qui pouvoit être cet Homme-là. Après une infinité de récherches, il fe trouva, que c'étoit un bon Homme de la Campagne, qui menoit une vie obfcure, & qui emploïoit tout fon tems à cultiver un Jardin, avec quelques arpens de terre qu'il avoit autour de fa Maifon.

L'agréable Récit, que notre Poëte COWLEY en fait, fervira de cloture à ce DISCOURS. Voici de quelle maniere il s'exprime:

Aglais, ignoré des Hommes, quoi que

parfaitement connu des Dieux, après avoir vécu fans nom, & dans une humble Obscurité, fut regreté de tous après fa Mort. Le Roi Gygès, inquiet & riche, confulta un jour Apollon O! toi, ditil, qui és l'Oeil du Monde, connois-tu aucun Mortel plus heureux que moi ? Le bonheur d'Aglais; repondit Apollon, eft plus grand que le tien. Alors Gygès, enflammé de dépit, demanda où pouvoit être ce Roi, dont perfonne ne lui avoit jamais parlé? Y auroit-il, continue-t-il, quelque Héros de ce Nom, ou quelque grand Général, fameux par fes victoire ? ou bien fe trouveroit-il quelqu'un fur la Terre, qui fût encore plus riche que moi? Cet Aglaüs, dont Gygès fe formoit une fi fauffe idéé, habitoit dans une fombre Vallée de l'Arcadie, où il fut trouvé cultivant fon champ de fes propres mains.

Grand Dieu! s'il eft permis de méler ton augufte Nom avec celui des faux Dieux, fais que, parvenu à un Age avancé, mes jours s'écoulent dans une paifible Obfcurité; & qu'avant que d'arriver au bout de ma Carriére, j'obtienne déjà quelques avant-gouts de la Félicité que tu referves à tes fidéles ferviteurs!

XLI. DIS

XLI. DISCOURS.

Perfide, fed duris genuit te Cautibus horrens
Caucafus, Hyrcanæque admorunt Ubera Ti

gres

VIRG. Æneid. L. IV. 366.

*Non, cruel, tu n'ès point le Fils d'une
Déelle,

Tufuças en naifant le Lait d'une Tigreffe;
Et le Caucafe affreux, t'engendrant en

courroux

Te fit l'Ame & le Cœur plus durs que fes
Cailloux.

PRET à renvoier toutes chofes, d'a

bord qu'il s'agit de rendre le moindre fervice à quelque Perfonne de mérite & qui a du malheur, je vais publier ici la Lettre fuivante, qui vient de me tomber entre les mains. Elle eft fi joliment tournée, que je n'ai pas voulu y changer un feul mot.

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. MR. LE SPECTATEUR,

Je me flatte, que vous aurez non feu- Lettre ,,lement compaffion du trifte & mal- de LES. heureux état où je fuis tombée, BIE fur avec plufieurs autres de mon Sexe, die de fon mais Amant.

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> la Perfi

* Tradu&ion d'un Poëte François, dont le Nom m'eft inconnu.

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