Page images
PDF
EPUB

manquer à fon devoir, quand il avoit pris une bonne refolution de s'en acquiter. Cependant, le jeune Mede n'eut pas plutôt cette belle Captive en fa garde, qu'il en devint amoureux, qu'il mit tout en œuvre pour la fuborner, & qu'au defefpoir de ce qu'il ne pouvoit en venir à bout, il fe préparoit à quelque extremité fàcheufe, lorfque CvRUS en eut la nouvelle. Ce Prince, qui l'aimoit dès l'enfance, le manda au plus vite, lui repréfenta fon crime avec beaucoup de douceur, & lui rappella ce qu'il avoit dit lui-même à cette occafion. Là deffus ARASPE, touché d'u ne vive douleur, & penétré de honte, verfa un torrent de larmes & lui répóndit en ces termes: * Voulez-vous, Seigneur, que je vous dife la Vérité ; j'éprou ve fenfiblement, que j'ai deux Ames. C'eft une nouvelle Philofopbie, que l'Amour, ce grand Sopbifte, m'a enfeignée. En effet, fi je n'avois qu'une Ame, elle ne pourroit pas être tout-à la fois bonne & mauvaise, ni aimer en même tems le bien & le mal, ni vouloir tout emfemble faire une certaine chofe & ne la pas faire. Cela prouve clairement, que j'ai deux Ames: quand la bonne eft la plus forte, elle fait le bien; quand la mauvaise d l'avantage, elle entreprend les actions vicieufes. Maintenant, que vous êtes venu à mon fecours, ma bonne Ame eft la plus puissante. Je

Hift. de Cyrus, traduite du Grec de Xenophon par Mr. Charpentier, pag. 278, Edit, de Paris en 1661.

Je ne fai point fi mes Lecteurs voudront admettre cette découverte en Philofophie; mais, s'ils ne l'admettent pas, il faut qu'ils avouent, qu'il y a des Paffions auffi différentes dans une feule Ame, qu'il y en peut avoir en deux. A peine pouvons-nous lire la Vie de quelque grand Homme de l'Antiquité, ou nous entretenir avec quelqu'un de nos célèbres Contemporains, qu'il ne nous fourniffe un Exemple de ce que j'a

vance.

Je n'ai combatu jusques- ici, que la partialité & l'injuftice avec laquelle nous prononçons en gros fur les Hommes, quoi qu'ils foient un mélange de ver tus & de vices, de bien & de mal; mais, je pourrois étendre ma Remarqué plus loin, & l'apliquer à tout ce qui fe dit de la plupart de leurs actions. Si d'un côté nous pefions de bonne-foi toutes les circonftances où ils fe trouvent, nous verrions fouvent, qu'ils ont été reduits à faire une certaine démarche qui nous choque d'abord, pour en éviter une autre qui nous déplairoit encore davantage. Si d'un autre côté nous examinions à la rigueur celles qui jettent le plus d'éclat & qui nous éblouiffent, nous les trouverions prefque toutes defectueufes qu'elles ont quelque tacche, qu'elles doivent leur naiffance à quelque defir ambitieux & criminel, ou qu'elles tendent à une mauvaise fin. La même Action peut être quelque - fois

ac

accompagnée de circonftances fi bizarres, qu'il eft difficile de déterminer fi elle mérite recompenfe ou châtiment. Les Compilateurs de nos Lois en Angleterre ont fi bien fenti cet embarras, qu'ils ont pofé pour une de leurs principales Maximes, Qu'il vaut mieux fouffrir un Inconvenient, que de permettre un grand Mal; c'eft à-dire, en d'autres termes, Que, puis qu'aucune Loi ne peut embraffer tous les Cas, ni pourvoir à tout, il vaut mieux que les Particuliers fouffrent quelque Injuftice, que de ne pas remedier à un Grief public. C'est auffi ce qu'on allegue d'ordinaire, pour excufer les troubles où tombent quelques Membres de la Societé en certaines occafions, qu'il étoit impoffible aux Législateurs de prévoir. De-là vient que, pour remedier, autant qu'il fe peut, à ce Défaut, on a établi la Cour de la Chancelerie, qui mitige souvent & adoucit la rigueur du Droit Coûtumier, dans les Caufes civiles; de même que, dans les criminelles, la Perfonne qui eft fur le Trône a toujours le pouvoir de pardonner.

Malgré tout cela, dans un Gouvernement fort étendu, il eft prefque impoffible de diftribuer les Peines & les Récompenfes avec la derniere Préci fion. Il faut avouër, que la République de Lacédémone étoit d'une grande exac titude à cet égard; & je ne fache pas avoir trouvé dans toutes mes Lectures

un

un Exemple de Justice, qui approche de celui que PLUTARQUE nous rapporte, & qui fervira de cloture à ce DISCOURS.

1

La Ville de Lacédémone, attaquée à l'improvifte par une puiffante Armée de Thébains, couroit grand rifque d'être la proie de fes Ennemis, lorfque fes Ha bitans attroupez coururent aux armes, & fe batirent avec toute la vigueur qu'on pouvoit attendre de la néceffité où ils Te trouvoient: mais, il n'y en eut aucun qui fe diftinguât d'une maniere fi éclatante, au grand étonnement de l'une & de l'autre Armée, qu'ISADAS le Fils de PHOEBIDAS, qui étoit alors dans la fleur de fa jeuneffe, & très-remarguable pour la beauté de fa Perfonne. Il fortoit du Bain, lorfque l'allarme fut donnée; c'est-à-dire, qu'il n'eut pas le tems de mettre fes Habits, ni d'aller chercher fes Armes. Cependant, plein de zèle pour fervir fa Patrie dans une fi rude extremité, il arrache une Lance à l'un & une Epée à l'autre, & court tete baiffée au plus épais des Ennemis. Rien ne pût refifter à fon ardeur, par-tout où il tourna fes pas, il mit l'Ennemi en fuite, fans recevoir aucune bleffure. Je ne déterminerai pas,_ajoute PLUTARQUE, fi quelque Dieu pour

&

Voyez la Traduction de Mr. DACIER, impr. à Amfterdam in 12. chez les Freres WETSTEIN Tome V. p. 371.

Tome VI.

B

Refexions fur la vafte Etendue de l'U

pour le recompenfer de fa grande valeur, en eut un foin tout particulier dans cette journée, & le couvrit de fa protection; ou fi les Ennemis, frappez de la fingularité de fon équipage & de la beauté de fa perfonne, crurent qu'il y avoit en lui quelque chofe au-deffus de l'Homme.

Les Epbores, ou les principaux Magistrats de la Ville, trouverent tant de nobleffe & de bravoure dans cette action, qu'ils lui décernerent une Guirlande; mais, ils le condamnerent en même tems à une Amende de mille Drachmes, pour avoir paru à la Bataille fans être armé de toutes pièces.

V. DISCOURS.

Deum namque ire per omnes Terrasque, tractusque Maris, Cœlumque pro

fundum.

VIRG. Georg. IV. 221.

Dieu fe trouve dans toute l'Etendue des Terres, des Mers, & des Cieux.

J

E fis hier au foir une Promenade hors Ville jufqu'à ce que la Nuit vint infenfiblement me furprendre. Je m'amufai d'abord à contempler les différen tes beautez des couleurs qui paroiffoient & fur la à l'endroit de l'Horifon où le Soleil veDiu. noit de fe coucher. A mefure qu'elles

Nature de

s'é

« PreviousContinue »